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Citations de Julien Green (916)


Il aimait vraiment l’enfance ; c’était même ce qu’il y avait en lui de moins atteint, de moins suspect. Les dimanches de communion, les bons jours, comme on disait encore dans sa famille, alors qu’il s’agenouillait à la sainte table, il cherchait à se placer tout près d’un enfant, s’il y en avait un, afin de lui voler un peu de cet amour surnaturel dont il sentait que le petit être était l’objet inconscient ; et, ce soir, il surveillait du coin de l’œil le garçonnet qui chantonnait tout seul et dont il admirait l’innocence comme un spécialiste reconnaît et apprécie le spécimen parfaitement venu d’une espèce rare.
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« Tu as cédé », lui disait une voix. C’était la ruse suprême, car il n’avait pas encore cédé, mais il se laissait mollement persuader que déjà il était vaincu et que, par conséquent, résister devenait futile.
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En poussant les portes de ce logis démoralisant, le jeune homme se rappelait souvent la parole d’un de ses oncles, qui, le voyant étudier l’Evangile, lui avait dit un jour : « Celui qui aime la vérité ne sera jamais riche. » Or, pour M. Fruges, la vérité s’apprenait dans les livres et il en concluait que les livres l’avaient mené comme dans un cachot, droit à cette pièce étouffante ou glaciale selon la saison, mais toujours triste.
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Comment l’âme, qui était l’esprit, pouvait-elle pécher par le corps au point de se confondre avec lui, d’éprouver sa faim et de se vautrer dans ses joies ? N’eût-on pas dit que dans le fort des passions elle cherchait à se transformer en corps, alors que dans les révoltes contre la chair, c’était lui, le corps, qui tentait de se transformer en âme ? Mais pourquoi ce mariage de deux éléments contraires qui ne pouvait conduire qu’à des luttes terribles où l’anéantissement de l’un ou de l’autre semblait le but à atteindre ?
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Rassemblant ses forces, il ferma les yeux et récita intérieurement une oraison jaculatoire, puis une autre, mais, par un phénomène qui lui était familier, les paroles mêmes de ces prières revêtaient un sens de plus en plus suspect, jusqu’à provoquer enfin des associations d’idées monstrueuses. Alors il s’exaspéra, voulut obtenir de lui-même cette chose impossible qui est de ne penser à rien, vider son cerveau ou tout au moins l’emplir de la pensée de ce vide et par là détourner le flot d’imaginations sensuelles ; toutefois il ne pouvait faire qu’une part minime de sa volonté ne fût de mèche avec l’adversaire.
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La vie, crois-moi, vaut mieux que ce que tu tires. Quelle jeunesse assommante tu auras eue ! Et au nom de quoi ? Au nom d’un ensemble de propositions invérifiables qu’on appelle la foi. N’as-tu pas honte, en plein vingtième siècle, de raisonner encore comme un moine du quatrième ? Tu n’es pas seulement bizarre, tu es ennuyeux. Tu recrutes tes amis parmi les vieillards et les ratés. As-tu un seul ami qui ait ton âge et qui ait du succès, des aventures, et qui soit beau ? Dis ? En ce moment même où tu fatigues ton pauvre cerveau à désarticuler des phrases, songe à tous les rendez-vous qui se donnent dans cette ville…
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Ne pas comprendre ! … Jusqu’à ce jour il ne s’était jamais rendu compte de la souffrance que cela pouvait être. Entre lui et ces noms qui dansaient sous ses yeux il y avait quelque chose qui le faisait songer à de l’ombre ou à du brouillard.
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Là résidait un des plus grands dangers de cette aventure : en passant d’une personne à l’autre, il courait le risque de se trouver, un jour, dans la peau d’un indifférent et d’y rester.
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Mon moi est toujours le même, avec des attributs différents et un corps tout autre. D’abord qu’est-ce que le moi et où réside-t-il ? Je suis sûr que je ne me trouve plus dans le corps de Fabien. Ses souvenirs ne sont plus les miens, je ne sais plus ce qu’il avait en tête. Non, tout ce qui me reste de ma vie sous l’aspect de Fabien, c’est ce nom qu’il me faudra me rappeler coûte que coûte, cette formule sans laquelle je suis perdu (il se la récita) et la certitude que j’ai de pouvoir m’évader du corps que j’occupe. Rien de plus. J’ai la mémoire, la volonté et l’imagination d’un autre.
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- Cette nuit, par une faveur insigne, vous recevrez le don de changer votre personnalité contre celle qu’il vous plaira d’élire : vous deviendrez qui vous voudrez. Toute l’expérience humaine, éparse autour de vous, vous est offerte. D’un être à l’autre, selon le caprice de votre curiosité, vous voyagerez comme le voyageur qui s’arrête dans une ville le temps qu’il faut pour en épuiser les plaisirs ou satisfaire son goût de savoir. Vous ne connaîtrez de la souffrance que ce que vous en voudrez apprendre, et vous jouirez de tous les bonheurs possibles. L’humanité deviendra la bouche par laquelle vous assouvirez vos faims ; ses doigts, son corps, serviront à la dilatation énorme de vos appétits. Fabien, je vous donne le monde.
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- […] Vous savez comme moi qu’une des causes majeures de l’ennui est l’étroitesse de notre destinée. Nous nous éveillons chaque matin les mêmes, et c’est en vain que les rêveurs de l’Antiquité ont soutenu que jamais la même personne ne passe deux fois par la même porte. La vérité est que chaque homme est condamné à vivre dans le même corps, à voir par les mêmes yeux, à comprendre et à méditer jusqu’à la mort par le secours du même cerveau. L’ingénieux supplice de l’identité crée un enfer beaucoup plus subtil que le lieu torride inventé par la superstition. Etre éternellement le même n’est pas supportable aux esprits affinés par la réflexion.
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Tout à coup, avec un grand soupir, il s’adossa contre un mur et se contraignit à demeurer immobile, à perdre irréparablement les deux ou trois minutes qui le sépareraient pour toujours de ce bonheur convoité avec tant de rage. Ce ne fut pas sans un plaisir amer qu’il assura ainsi sa propre défaite. Il supputa comme autant de voluptés les privations qu’il infligeait par avance à son corps, car il finissait par le prendre en haine, lui et les exigences de son ingouvernable appétit.
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Les livres l’ennuyaient ce jour-là, mais l’idée de rentrer chez lui le remplissait d’un sentiment qui allait jusqu’à l’horreur. Pourtant rien de pénible ne l’attendait dans ces deux pièces ; rien du tout ne l’y attendait, et c’était cela qu’il ne pouvait souffrir. Il savait trop bien que ce qu’il allait trouver dans sa chambre, c’était lui-même, et à certaines heures, cette pensée ne lui paraissait pas supportable.
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[…] il comprit que ce n’est pas en pressant un livre sur son cœur qu’on s’instruit, mais secrètement il regretta d’en savoir déjà si long, car il lui semblait qu’en apprenant une chose il en désapprenait une autre, et plus belle. Pourtant le goût du savoir lui vint avec les années, mais ce qu’il acquérait en étudiant se payait toujours d’un prix qu’il ne soupçonnait pas et ses maîtres le privaient peu à peu de toutes les ressources que contient ce que nous appelons l’ignorance. A présent il s’entendait à combiner des mots de manière à leur faire dire à peu près tout ce qu’il voulait, mais il ne savait plus parler au vent, ni à la pluie, ni à la lumière que le soleil versait à ses pieds comme avec un seau. Entre lui et tout ce qui ne parle pas le langage humain un grand fossé se creusa.
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Trop de choses lui manquaient pour qu’il exprimât les pensées qu’il avait en tête, et tout d’abord, il le savait, une ignorance profonde de l’expérience humaine. C’était, en définitive, à cause de cela que la langue lui résistait. Ce qu’il savait par intuition ne suffisait pas. La souffrance est l’étoffe dont sont faits les livres, et il n’avait pas encore assez souffert pour parler du bonheur.
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[…] tout à coup il fut repris par un monde qui lui parut aussi étroit qu’une geôle : les parents, la famille, la situation qu’il fallait se faire. Comment se pouvait-il que ces choses parussent moins vraies parce qu’il venait de regarder dans le ciel le Baudrier d’Orion, et Vénus, et la Grande Ourse ? Entre ces constellations et son sort ici-bas, quel rapport ?
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Avait-on jamais réussi à emprisonner dans une phrase un regard, un parfum, un accord musical ? Tout se réduisait à d’imparfaites allusions que chacun pouvait entendre à sa guise. Ainsi, devant les astres d’une nuit limpide, Fabien éprouvait la tristesse d’un muet cherchant à dire ce qui est en lui ; et il se demanda si jamais un homme avait pu délivrer son âme de ce grand poids de choses inexprimées dont se chargent les étoiles.
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Plus rien n’importait sur la terre, pensait-il, si cette terre était vraiment aussi petite que l’affirmaient les astronomes, mais si chétive qu’elle fût et si minuscule un être humain sur cette terre, cet être n’en avait pas moins toutes ces étoiles dans sa tête.
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L’orgueil de la vie, le jeune homme ne pouvait guère lire autre chose dans la façade de cet hôtel où circulait encore une rumeur d’histoire. Cette nuit, pourtant, il promena les yeux sur les persiennes closes et leur sut gré d’être là comme d’habitude, de lui offrir le spectacle d’un ennui prospère et de quelque chose d’indéfinissable qui ressemblait à un désespoir de bon ton. Cette lourdeur et cette tristesse mêmes que Fabien redoutait, et dont il cherchait par tous les moyens à studieusement abolir en lui la présence, il les accueillait maintenant, il remerciait le vaste et pesant hôtel d’être aussi stable et aussi solide, alors qu’en lui-même l’inquiétude faisait bruire le sang à ses tempes.
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P79
Lorsqu'elle fut seule et que le pas de Rose se fut éloigné dans le corridor, Elisabeth s'agenouilla sur la couverture et demeura immobile. Elle espérait qu'en ne bougeant pas le calme lui reviendrait, mais sa crainte était si forte et si profonde qu'il lui semblait entendre le bruit de son propre coeur battant sous les revers de son manteau. La peur d'un enfant est un monde dont les grandes personnes ne connaissent guère la configuration ténébreuse ; il a son ciel et ses abîmes, ciel sans étoiles, abîmes sans aurores. Le voyageur de dix ans s'enfonce malgré lui dans ce pays nocturne où le silence parle et l'ombre voit ; il sait qu'un regard luit au seuil des cavernes et que le long des chemins obscurs des cris lui seront jetés à l'oreille. Les mains à la tête et le dos rond, Elisabeth tenta de se faire plus petite, de retenir son souffle, comme pour échapper à l'attention de l'ennemi invisible. Si brave qu'elle fût en présence des humains, toute sa vaillance la quittait dès que mourait la lampe.
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