Citations de Kaho Nashiki (142)
Mai avait commencé à comprendre que la réalité, comme l’appelait Papa, et les histoires qui se déroulaient dans le cœur des gens étaient deux choses bien distinctes. Il ne fallait pas les confondre, mais sûrement que de temps en temps, on pouvait décider en secret de ce qu’était sa vérité à soi.
Fort heureusement, même si la volonté accordée à la naissance est faible, il est toujours possible de la renforcer. Il s’agit de la développer petit à petit et cela peut prendre beaucoup de temps, ce qui est aussi le cas pour la force physique. Au début, on peut avoir l’impression que rien ne change. Le doute, la paresse, l’envie de tout abandonner peuvent alors commencer à se manifester. Mais il faut les combattre, serrer les dents et persévérer. Et au moment où on se dit que rien ne changera jamais, il se produit un événement qui nous fait découvrir qu’on est différent de celui qu’on était avant. On continue de faire des efforts, dans une succession de jours monotones, et soudain, on découvre que celui qu’on est devenu est encore différent de celui qu’on était jusqu’à maintenant, et ainsi de suite. Grand-mère s’interrompit quelques secondes. Mais la grande différence avec l’entraînement physique ou le développement d’autres compétences, c’est qu’il est plus facile d’échouer, car ce sont souvent ceux qui manquent de volonté qui veulent relever le défi, conclut-elle lentement.
Il y avait peut-être quelque chose de miraculeux dans ces moments passés dans un espace clos entouré d’une épaisse forêt, alors que chacun de nous, oppressé par ses propres sentiments, ne supportait plus cette tension intérieure et, sans tomber dans ce qui aurait pu être d’assez conventionnels épanchements, ne retenait cependant pas tout en soi ; ces quelques soirées dans la maison de Morikata, ces discrets moments de relâchement, en ce qui me concerne du moins, sont comme une chose organique susceptible de se déliter et que je préserve avec le plus grand soin.
L’âme ne peut faire l’expérience de la vie qu’à travers un corps, et c’est seulement grâce à ces expériences qu’elle peut grandir. C’est pourquoi vivre en ce monde est une chance inespérée pour elle. Car l’opportunité de grandir lui est donnée.
-Tu ne veux pas que les autres pensent du bien de toi, tu veux simplement qu'ils te comprennent correctement, n'est-ce pas ? a-t-elle (* la grand-mère) déclaré avec la plus grande douceur, comme si elle déroulait délicatement le fil d'un cocon.
Sa manière de parler- le grand soin, la grande prudence avec lesquels elle choisissait ses mots, comme si elle avait affaire à quelque chose de très fragile-pouvait parfois résonner comme du japonais maladroit,mais elle n'en a pas changé tout au long de sa vie, du moins avec moi.
Pourquoi était-ce aussi naturel et facile chez elle, exactement comme si elle accomplissait un geste du quotidien? Aujourd'hui encore, quand j'y repense, cela me paraît particulièrement mystérieux. Peut-être parce que le japonais n'était pas sa langue
maternelle ?
Il existait une certaine tension entre elle et les mots et elle ne les laissait pas s'écouler en suivant leur cours- non, aucune habitude ne s'est installée entre eux jusqu'à la fin.
Elle tâchait d'être la plus précise possible.Elle ne se contentait pas de lancer les mots sans plus s'en préoccuper, non, elle s'assurait toujours que son interlocuteur les saisissait correctement, tout comme l'intention qu'ils traduisaient.Oui, c'était ainsi qu'elle parlait.
( p.193)
Notre destin est tissé de présages de toutes sortes.
Il y avait peut-être quelque chose de miraculeux dans ces moments passés dans un espace clos entouré d’une épaisse forêt,
Sur un chemin forestier désert, un râle d’eau avançait dans ma direction. Il marchait sur le même chemin que moi. Il ne semblait pas le moins du monde s’intéresser à moi.
Nous nous sommes croisés.
Je n’en croyais pas mes yeux. Avec un tel manque de méfiance, cet oiseau ne risquait-il pas de disparaître rapidement ? Je me demandais s’il ne faudrait pas que je le poursuive pour lui apprendre à se méfier des humains. J’ai regardé derrière moi : l’oiseau continuait son chemin et lui aussi venait de se tourner vers moi.
Nos yeux se sont croisés.
Immédiatement le râle d’eau a tourné la tête et repris rapidement son chemin.
Mai avait commencé à comprendre que la " réalité", comme l'appelait Papa, et les histoires qui se déroulaient dans le coeur des gens étaient deux choses bien distinctes. Il ne fallait pas les confondre, mais sûrement que de temps en temps, on pouvait décider en secret de ce qu'était " sa vérité à soi".
( p.187)
Il n’a jamais été aussi difficile qu’aujourd’hui de vivre simplement, de vivre une vie simple et sincère.
Tout humain découvre un jour qu’il est né sans l’avoir voulu. Sans avoir pu donner préalablement son avis sur son lieu de naissance ni choisir l’endroit où grandir.
Au moment où on se dit que rien ne changera jamais, il se produit un événement qui nous fait découvrir qu’on est différent de celui qu’on était avant.
Grand-mère avait tendance à complimenter ses proches sans se priver. Elle transmettait la fierté qu’elle éprouvait tout naturellement comme on donnerait de l’eau à une plante.
J'avais envie de me tenir dans un endroit maintenant silencieux mais où s'était passé quelque chose de décisif. Là il me serait possible de sentir, ne fût-ce qu'un peu, le sens de la vie humaine ou ce que peut être le temps.
Mon hôtesse s'appelait Uné. Elle avait un visage rond, tout ridé, comme une petite pomme de terre qui serait restée indéfiniment en terre.
Mai était embarrassée. Grand-mère avait tendance à complimenter ses proches sans se priver.Elle transmettait la fierté qu'elle éprouvait tout naturellement comme on donnerait de l'eau à une plante.
( p.43)
- Pourquoi est-ce que tu es venue au Japon, Mamie ?
Grand-mère souffla la fumée de sa cigarette.
- Au debut de l'ère Meiji, mon grand-père, ton arrière- arrière-grand-père , est venu en voyage au japon et il rentré en Angleterre profondément marqué par la politesse et la gentillesse des Japonais, leur détermination et leur honnêteté. Comme il m'a raconté tout un tas d'histoires sur le Japon dès mon plus jeune âge, je me suis mise à rêver de ce pays comme on rêve d'un futur amoureux.
Ce que possédaient ces humains un peu spéciaux s'est transmis de génération en génération, des parents aux enfants. Pas seulement les connaissances, mais aussi d'autres compétences particulières.
Chacun a sa propre définition du bonheur. Toi aussi, Mai, tu dois chercher ce qui te rend heureuse.
Le lendemain il pleuvait.
Les plantes du jardin, fières de leur vitalité presque effrayante en ce milieu d'été, étaient comme en transe, elles absorbaient sans retenue les gouttes que leur offrait le ciel. Dans l'impossibilité de sortir, je décidai de lire ; même en pleine journée, il faisait tellement sombre à l'intérieur qu'il fallait allumer la lumière. Les gouttes de pluie frappaient les feuilles qui à chaque fois vacillaient, toutes les plantes du jardin, dociles, oscillaient. Au moment où je m'aperçus de cette mobilité, je me sentis soudain minuscule au milieu de l'extraordinaire mouvement du monde. Le monde frappé par la pluie se balançait légèrement. Et moi aussi je vacillais. J'avais le sentiment de saisir ce que ressentaient les plantes.