Kaho Nashiki

Ma fille et la fille de ma fille sont sous ce même ciel. Dans un nouvel environnement. Choisir un nouveau chemin, et avancer sur ce chemin, n'est pas chose aisée quand les forces physiques et mentales ne sont pas en équilibre. Mais parfois, bien qu'ayant conscience de ce déséquilibre, il arrive que l'on n'ait pas d'autre choix que d'avancer. Le temps s'écoule irrémédiablement.
Malgré tout, je prie.
Pour qu'elles puissent surmonter ces épreuves.
L'un des pieds des arcs-en-ciel semble toucher
le coin aux ginryôsô.
Au plus profond de l'esprit de cette enfant réside paisiblement quelque chose de solide. De pur et beau. Son grand-père l'avait aussi. Une chose solitaire qui ne dépend de rien ni de personne, bien loin des réalités de ce monde, mais qui, tout comme les ginryôsô, est aussi un produit de la terre qui décompose et dissout toute chose.
Quelque chose comme un témoignage, une manifestation de la difficulté de vivre. Faites qu'elle ne soit jamais détruite. Faites que partout où cette petite aille, de petits miracles comme cet arc-en-ciel se produisent et lui montrent la voie.

Cette blessure ne sera pas mortelle.
J'ai reçu bien des coups que j'aurais pu considérer comme fatals, mais à chaque fois, je suis restée fidèle à la pensée de ma grand-mère, que je prononçais à la manière d'une formule magique.
Cette blessure ne sera pas mortelle. Même lorsque se succédaient les jours où il me paraissait impossible de me lever, ces mots, pareils à la lumière douce et chaleureuse de cet après-midi d'hiver, continuaient à être absorbés par la terre gelée à cœur.
Cela ne pourra jamais me détruire.
Cela ne pourra jamais te détruire.

Alors, comme Grand-mère l'avait fait deux ans plus tôt, Mai disposa les fleurs dans un vase à col long, qu'elle déposa devant la photo de Grand-père.
Puis elle décida d'aller arroser la Princesse
Myosotis qui poussait dans la petite pièce coincée entre deux portes. Elle se pencha en avant et sans trop savoir pourquoi, tourna les yeux vers la partie sale de la vitre. Le choc la foudroya à la manière d'une décharge électrique. Elle se laissa glisser sur le sol.
Des traits avaient été tracés au doigt dans la boue séchée, comme les enfants s'amusent souvent à le faire.
De la Sorcière de l'Ouest à la Sorcière de l'Est
Ame échappée avec succès.
Elle n'y était pas avant, elle en était certaine.
Cette inscription. Cette inscription n'était pas là, quelques instants plus tôt, quand Genji se tenait devant la porte. Ou peut-être bien que si. Peut-être ne l'avait-elle simplement pas remarquée.
Ah! Grand-mère... Grand-mère... Grand-mère... Elle s'en était souvenue. De sa promesse.
A cet instant, Mai sentit l'amour débordant de sa grand-mère inonder son corps, comme une lumière qui se déverserait à flot à l'intérieur de ses veines. Cette lumière écrasante fit fondre le cocon qui l'enveloppait et toutes les sensations qui avaient été scellées en elle revinrent à la vie. Alors la mort de Grand-mère devint une réalité. Mai ne savait pas si elle était triste ou heureuse.
Elle ferma les yeux. Serra les poings avec force, comme saisie. Et elle hurla. De toutes ses forces. Elle hurla comme si elle ne pouvait plus se retenir:
— Je t'aime tellement, Mamie !
Des larmes roulèrent sur ses joues.
Et Mai l'entendit.
La voix qu'elle désirait plus que tout entendre déferla dans son cœur et dans la cuisine, comme son sourire si chaleureux.
I know.

C'était trop tard. Les remords effroyables qui l'assaillirent balayèrent sa tristesse et recouvrirent son cœur comme du goudron noir. Une entaille longue et profonde sembla s'ouvrir dans sa poitrine, et ce fut comme si son existence entière se retrouvait comprimée dans cette douleur. Ses matins ne seraient plus jamais les mêmes qu'avant. Elle le savait.

Il a dit que, quand on meurt, tout prend fin.
On n'a plus conscience de rien et ce qu'on était finit par complètement disparaître. Quand je lui ai demandé si le soleil se lèverait encore le matin et si tout le monde continuerait de vivre une vie normale si je venais à mourir, il m'a répondu que oui, bien sûr.
Ses derniers mots l'avaient fait éclater en sanglots. Grand-mère, qui l'avait écoutée en silence, souleva un pan de sa couverture.
- Viens par ici, Mai, dit-elle avec douceur.
Mai se glissa dans le lit de sa grand-mère en pleurant. Grand-mère lui caressa le dos.
- Et cela te fait beaucoup souffrir, n'est-ce pas?
Ses sanglots redoublèrent. Grand-mère continua de lui caresser le dos pendant un long moment. Ses pleurs s'espacèrent enfin.
- Parlons un peu de ce que moi je crois qu'il y a après la mort, tu veux? murmura la vieille dame.
- D'accord, accepta Mai d'une petite voix.
— Je pense que les gens ont ce qu'on appelle une âme. Nous sommes constitués d'un corps fait de chair et d'une âme. D'où vient l'âme, ça je ne le sais pas très bien. Il y a de nombreuses théories à ce sujet. Notre corps est là de notre naissance à notre mort, mais l'âme, elle, doit continuer son long, très long voyage, même après la mort. Elle vient se loger dans le corps tout neuf du bébé qui vient de naître, mais elle était là depuis très très longtemps, et après avoir quitté ce corps usé par le poids des années, elle reprend à nouveau son long voyage. Mourir signifie que l'âme attachée au corps s'en détache et devient libre, c'est ce que je pense, en tout cas. J'imagine que c'est un soulagement et une joie pour elle.

Tu peux y arriver. L'astuce, c'est de t'approprier ce que tu ressens le matin, juste avant d'ouvrir les yeux, quand tu te trouves encore à la frontière entre les rêves et la réalité. A partir de maintenant, tous les matins, tu essaieras d'avoir réellement conscience de cet instant et de le capturer. Ensuite, tu devras t'entraîner à voir ce que tu as décidé de voir. Au début, cela pourra être ton mug ou une pomme, peu importe. Une fois que tu auras réussi, tu chercheras à voir ce que tu ne vois pas réellement.
J'ai envie de voir le contenu de cette boîte, par exemple. Il te faudra beaucoup de temps pour y parvenir. Mais écoute bien. Le plus important, c'est la force de la volonté, la volonté de voir, d'entendre ce que tu désires, et uniquement quand tu le désires.
Voir ou entendre quelque chose quand tu ne le souhaites pas, c'est dangereux et très désagréable, et c'est indigne d'une sorcière accomplie.

C'était comme ça à l'époque. Le don que possédait ma grand-mère a pendant longtemps été très mal vu. Dans une société régie par certaines normes, tout ce qui sortait du cadre de ces normes était destiné à être exclu. A son époque, sans aller jusqu'à l'exclusion, elle n'aurait pas pu prétendre au bonheur.

Mai était embarrassée. Grand-mère avait tendance à complimenter ses proches sans se priver. Elle transmettait la fierté qu'elle éprouvait tout naturellement comme on donnerait de l'eau à une plante.

Maman n'était plus fière d'elle. C'était le plus douloureux et ce qui la rendait la plus triste. Elle avait envie de se précipiter hors de son lit pour lui demander pardon. «Pardon, Maman.» Une enfant difficile à comprendre, difficile à vivre... Ces mots plongeaient comme une ancre au fond de son cœur.
Elle savait que c'était la vérité.

Mai était embarrassée. Grand-mère avait tendance à complimenter ses proches sans se priver. Elle transmettait la fierté qu’elle éprouvait tout naturellement comme on donnerait de l’eau à une plante.

Cette blessure ne sera pas mortelle.
J'ai reçu bien des coups que j'aurais pu considérer comme fatals, mais à chaque fois, je suis restée fidèle à la pensée de ma grand-mère, que je prononçais à la manière d'une formule magique.
Cette blessure ne sera pas mortelle. Même lorsque se succédaient les jours où il me paraissait impossible de me lever, ces mots, pareils à la lumière douce et chaleureuse de cet après-midi d'hiver, continuaient à être absorbés par la terre gelée à cœur.
Cela ne pourra jamais me détruire.
Cela ne pourra jamais te détruire.

Grand-mère avait tendance à complimenter ses proches sans se priver. Elle transmettait la fierté qu'elle éprouvait tout naturellement comme on donnerait de l'eau à une plante.

"Savoir ce qui va arriver enlèverait le plaisir de la surprise. Donc Je n'en ai pas besoin."

"Si tu accordes trop d'importance à cet incident à première vue mystérieux, tu te laisseras à chaque fois bouleverser par le même genre d'événement."

Tu ne veux pas que les autres pensent du bien de toi, tu veux simplement qu'ils te comprennent correctement, n'est-ce pas ? p.192

Quand on a une meilleure amie et qu'on devient amie avec une autre fille, ça ne veut pas dire que notre amitié pour elle disparaît. p.175

Il n’a jamais été aussi difficile qu’aujourd’hui de vivre simplement, de vivre une vie simple et sincère. Nashiki Kaho, Postface.

Afin que sa petite fille difficile à vivre ait les moyens de survivre dans un futur où elle ne pourrait pas être à ses côtés pour l’encourager.

Mourir signifie que l’âme attachée au corps s’en détache et devient libre, c’est ce que je pense, en tout cas. J’imagine que c’est un soulagement et une joie pour elle.

L’âme ne peut faire l’expérience de la vie qu’à travers un corps, et c’est seulement grâce à ces expériences qu’elle peut grandir. C’est pourquoi vivre en ce monde est une chose inespérée pour elle. Car l’opportunité de grandir lui est donnée.