Karel Capek

Vous savez, plus grande est la chose à laquelle on croit, plus on est acharné à mépriser ceux qui n’y croient pas. Et pourtant, la plus grande Foi ce serait de croire en l’homme.

Ils avaient tous mille et une objections politiques et économiques, plus juste les unes que les autres. Je ne suis ni politicien, ni économiste; je ne peux tout de même pas les convaincre. Que faire, peut-être le monde sera-t-il englouti et submergé? Mais au moins cela se produira pour des raisons politiques et économiques généralement reconnues, au moins cela se fera-t-il avec l’appui de la science, de la technique et de l’opinion publique et avec toute l’ingéniosité dont les hommes sont capables! Pas de catastrophe cosmique, mais seulement des raisons économiques, politiques et d’Etat.. On ne peut rien contre cela.

On aura beau faire, aucune révolution n'accélérera la germination ni ne fera fleurir les lilas avant le mois de mai, cette leçon rend l'homme plus sage.

Il fait donc à nouveau nuit, et les grands sabres des éclairs vacillent au-dessus d'une mer d'encre; signes précurseurs d'une tempête ou d'un temps calme?

Les tambours de la guerre dussent-ils cesser de battre un jour, il y aura toujours bien assez de place pour les hommes courageux et entiers.

Lentement, très lentement, la toundra nordique s'organise en une forêt clairsemée de mâts de sapins et de pins majestueux comme des coupoles de basiliques; comme pour certains visages humains, il y a des arbres dont on se souvient jusqu'à sa mort; il y a des arbres qui sont presque des saints.

Le ciel va se couvrir de haillons gris et dorés, les bourrasques vont souffler, le monde va disparaître derrière le brouillard et le grésil va fouetter le visage des fils d'Adam transis de froid.

Ca y est : tout à coup, un ciel infini et doré s'étend jusqu'à l'horizon, et, très bas vers le nord, juste au-dessus de la ligne de la mer, un étrange soleil, rouge et minuscule, perce le ciel tel une vrille incandescente.

Et voilà que le ciel s'ouvre à l'ouest sur un puits d'azur vert et froid; les nuages se déchirent, une lumière aiguë coule soudain, elle croît comme une énorme bulle arc-en-ciel; le sombre décor d'escarpements plongeant dans une mer nacrée se dévoile -- et les récifs se mettent l'un après l'autre à brûler d'un feu lourd et cuivré.

Soudain, le brouillard se dissipe un peu, et, trois cents mètres plus bas, luit une mer étincelante et opaline; là-bas, en bas, le soleil brille.

Les nuages passent l'un après l'autre; de près, ce sont d'affreux haillons de brume détrempés; on ne voit pas à cinq pas, il ne reste plus qu'à se blottir contre les flancs de la cahute et à trembler de froid avec empressement.

Ici, au sommet, la dryade rampe encore entre les éboulis, le silène des montagnes finit de fleurir, la saxifrage mousseuse se blottit; à part cela, quelques nards et linaigrettes, un marais glacial et frissonnant, du lichen blême et, partout, un pierrier pelé.

Tout du long, falaise après falaise, le même plateau dépouillé, tailladé par les ravins, terni par le lichen et recouvert d'une végétation rachitique évoquant la moisissure.

J'ai vu la grandeur du monde.

Désormais, c'est le vrai Nord qui commence; un désert, mes amis, un vrai désert, rien qu'une mer froide et des rochers nus; ici, même les montagnes ne sont pas parvenues à pousser, on dirait qu'elles ont été étêtées; rien que des blocs de granit qui tombent à pic dans la mer, avec, au sommet, un plateau pelé et vaguement verdi par une sorte de chancissure ou quelque chose du genre, rien d'autre.

Et parfois, quand dans le monde réel vient le crépuscule, un voile de brume monte des eaux, fin et dressé, duquel émergent les cimes et les massifs des montagnes, gonflés de nébulosités cosmiques; vous voyez, je vous le disais bien que c'est un autre monde!

Ici, la mer est parcourue de fines ondulations argentées, comme un lac de montagne; on contourne une langue de terre, et le sund vire au gris plomb, tandis que de longues vagues aux cimes blanches commencent à se renvoyer le bateau les unes aux autres.

Et cette vallée verte, avec son lac et ses gens, et ces montagnes et ce ciel; ainsi, n'y aurait-il jamais de fin du voyage, à la contemplation?

Voici déjà que prolifèrent les luxuriantes forêts scandinaves : des pins hauts comme des tours, ou comme des pins cembro, des myrtilles jusqu'aux genoux et des fougères jusqu'à la taille; plus bas, quelques chutes d'eau, des sapins et des épicéas, telles des cathédrales; puis, quelques cascades plus bas encore, nous voilà vraiment en bas, au milieu d'un moutonnement de sorbiers, d'aulnes, de saules et de trembles; ici, les frontières de la végétation sont si nettement marquées, si rapprochées les unes des autres qu'on en vient à se demander comment, en Norvège, la nature fait pour observer les lois fondamentales de la biologie et de l'écologie; mais ce doit être une question de culture générale.

Le bouleau, le saule, le lichen et l'homme : rien de plus résistant au monde.