Karine Carville est interviewée par Laurence Ducournau
émission radiophonique "Les mots, des livres !" - idFM 98.0FM
samedi 13 novembre 2010
Je cligne des yeux pour m’extraire de la dérive de mes pensées. Allons, inutile de me perdre en conjectures : j’ai fait un choix de vie qui, comme n’importe quel choix, en exclut d’autres. Inutile donc de revenir sans cesse dessus. Je replonge vers mon carnet et barre la dernière phrase.
J’aimerais avoir un enfant, un jour…
Le cahier claque entre mes mains lorsque je le referme. Je contemple sa couverture usée et compte le nombre de pages qu’il me reste à y écrire.
Les images se succédaient, belles et intangibles, réminiscences comme toujours contrôlées par son esprit pourtant au repos. Rien ne pouvait le détourner de la scène qu’il se plaisait à revivre, ni le soleil déclinant qui nimbait les majestueux ifs d’une parure mordorée, ni la voix du père de Michèle qui appelait au loin. L’astre lumineux n’était là que pour vibrer au cœur de la chevelure rousse de sa compagne, la voix paternelle pour leur rappeler que la nuit qui s’annonçait serait bientôt pour eux seuls…
La lumière montre l'ombre et la vérité le mystère.
Pas un seul résident pour se précipiter à mon secours. Bande d'ingrats ! Après tout ce que je fais pour eux toute l'année, ils ne monteraient pas s'assurer que je vais bien !
La peur ne se crée pas, elle se raconte.
L'amour n'est-il qu'une illusion ?
Jamais une femme ne lui avait fait un tel effet ni déclenché chez lui un besoin presque viscéral de tout connaître d’elle. C’était à cette époque que le détective s’était présenté à l’agence, durant un jour de congé de Camille. Il avait l’air jeune, débrouillard et Dinagio avait conclu un contrat avec lui. Bien lui en avait pris ! En un temps record, son détective était revenu lui apporter des nouvelles fraîches et très intéressantes. Il avait rapidement compris que Camille s’était créé une tour inaccessible dans laquelle elle vivait pour sa fille et son travail, mais il ne désespérait pas de l’atteindre puisqu’ils se côtoyaient tous les jours.
Son cerveau tournait à cent à l’heure, imaginant en quelques instants ce que pourrait être une relation avec le quadragénaire d’origine italienne. Il semblait être quelqu’un de stable, de rassurant, pas forcément à son goût physiquement même si elle aurait été bien en peine d’expliquer pourquoi. Mais une aventure amoureuse ne démarrait pas forcément sur un coup de cœur : ils pouvaient apprendre à se connaître, elle lui présenterait Chloé et qui sait … ? Il était peut-être temps pour elle de passer à autre chose, de refaire sa vie… D’oublier Ronan pour de bon.
Ils avaient parlé de tout et de rien, du printemps qui s’annonçait, de la douceur du temps, des amours adolescentes, et il avait laissé ses doigts courir sur le dos de la main de la jeune femme. Elle n’avait pas bougé, lui adressant même un petit sourire timide. Enhardi, il avait laissé sa main sur la sienne jusqu’au moment de payer, bien résolu à l’embrasser dès que possible. Camille, sa Camille était enfin à lui ! Pas encore totalement, mais il estimait l’avancée de leur relation satisfaisante.
Les nouveaux arrivants hésitaient un peu avant de se lancer dans la marée humaine, attendant sur le seuil de leur cellule une trouée où s’immiscer, un regard plus avenant qu’un autre vers lequel glisser sans avoir trop peur. Mais avec les années, l’élan devenait irréfléchi, presque viscéral. Sortir prendre l’air, marcher un peu, échanger quelques paroles avec les autres prisonniers, récupérer son courrier, avoir des nouvelles de l’extérieur : c’était tout ça à la fois la sortie matinale.