En toutes circonstances, contempler la lune est une consolation. À quelqu’un qui disait : « Rien n’a de charmes que la lune », un autre de répliquer : « C’est la rosée qui est plus émouvante » – et ce fut une belle dispute. Est-il rien, à son heure, qui n’éveille l’émotion ? La lune, la fleur, il va sans dire, mais le vent surtout excelle à toucher le cœur humain. Le spectacle d’un flot limpide se brisant aux rochers est délicieux en toute saison.
(les Heures oisives, 21)
Solitaire, sous la lampe, c'est une joie incomparable de feuilleter des livres et de se faire des amis avec les hommes d'un passé que je n'ai point connu.
Avant-propos
Au gré de mes heures oisives, du matin au soir, devant mon écritoire, je note sans dessein précis les bagatelles dont le reflet fugitif passe dans mon esprit. Étranges divagations !
Sans que jamais séchât la rosée aux plaines d'Adashi, sans que jamais s'évanouissent les fumées du mont Toribe, s'il fallait vivre ainsi toujours où serait l'émouvante intimité des choses ? c'est son impermanence qui fait le prix de ce monde. A considérer ce qui vit, il n'est rien qui dure comme l'homme. L'éphémère borne même au soir de son attente, et la cigale d'été ne sait ni le printemps ni l'automne. Ne vécût-on une seule année, si on la vivait à loisir, rien ne vaudrait une telle paix. Mais si le regret ronge un coeur insatisfait, dût-on même vivre mille ans, ils sembleront le songe d'une nuit. En un monde où la vie ne saurait se poursuivre à jamais, à quoi sert de vouloir atteindre la vieillesse difforme ? A longue vie, nombreuses hontes. Il conviendrait de mourir à moins de quarante ans. Passé cet âge, l'esprit n'est plus sensible aux disgrâces de la forme ; on songe à se faire valoir dans le monde ; arrivé au couchant de sa vie, on chérit sa postérité, on voudrait prolonger ses ans jusqu'à voir ses fils prospérer, seules veillent au fond du coeur les convoitises des seuls biens de ce monde, et l'on en vient à ne plus goûter l'émouvante intimité des choses : tout cela est fort pitoyable.
(Les Heures oisives, 7).
Kamo no Chômei : Notes de ma cabane de moine ou le Hôjô-ki (littéralement, « La cabane de dix pieds carrés »), 1212.
... si l'on se conforme aux usages du monde, on ne peut qu'en souffrir ; si l'on n'en tient pas compte, on a l'air d'un fou. Où faudrait-il s'installer, que faudrait-il faire, pour être un peu tranquille, et pour goûter ne serait-ce qu'un instant le contentement du coeur ?
Si par une soirée tranquille, à ma fenêtre, je pense à de vieux amis tout en contemplant la lune, et si j'entends les cris du singe, je mouille ma manche de mes larmes. Lorsque, sur les buissons, je vois des vers luisants, c'est comme si j'apercevais au loin les feux de pêche de Makishima, et le bruit de la pluie matinale ressemble bien à celui du vent qui secoue les feuilles des arbres. Quand j'entends l'appel des faisans, j'ai l'impression d'entendre mon père, ou ma mère et si je constate que même les cerfs des sommets de la montagne s'approchent tout près de moi sans crainte, je comprends à quel point je suis loin du monde. Quand je m'éveille et ranime le feu qui couvait sous la cendre, j'y vois comme un compagnon fidèle de mes vieux jours. Je ne suis pas dans une montagne bien terrible ni déserte, mais alors que la simple voix du hibou suffirait à m'émouvoir, que dire de ces paysages de montagne, infiniment variés selon les saisons !
Traduit du japonais par le R. P. Sauveur Candau - pp. 90 & 95
Ainsi Tchouang-tseu, qui dans une méditation mythique, se demande tout à trac si le monde perçu par un papillon n’est pas plus réel que le nôtre. Questionnant la « réalité », Tchouang-tseu soudain glisse en un cristal d’abyme étourdissant : ai-je donc rêvé d’un papillon, ou suis-je seulement le rêve d’un papillon, à moins que le papillon ne rêvât de moi qui rêvais de lui, ou bien aurais-je rêvé d’un papillon qui rêvait de moi rêvant d’un papillon…
L’homme que le malheur a plongé dans la peine, qu’il n’aille pas à la légère se raser la tête ou se livrer à d’autres caprices, mais que plutôt, il ferme discrètement l’huis sur soi et vive sans rien attendre de ses nuits et ses jours.
A l’approche de la soixantaine , à l’âge où la vie devient aussi fragile que la rosée, j’ai cependant construit de nouveaux un abri pour mes vieux jours.
Au printemps je vois les glycines en fleur; elles s’étalent à l’ouest comme un nuage violet. En été j’entends le chant des coucous; et chaque fois, j’ai l’impression de faire un pacte avec eux pour qu’ils me servent de guides au suprême passage de la montagne de la mort. En automne, mes oreilles sont pleines du chant des cigales, qui semblent déplorer le caractère éphémère et fuyant de ce monde. En hiver, je contemple la neige, qui s’accumule ou fond, comme nos pêchés qui apparaissent et disparaissent.
Avant l’éveil, la montagne est la montagne
Pendant l’éveil, la montagne n’est plus la montagne
Après l’éveil, la montagne est la montagne –
Dit un célèbre kôan, maintes fois médité en terre nippone.
Solitaire, sous la lampe, c'est une joie incomparable de feuilleter des livres et de se faire des amis avec les hommes d'un passé que je n'ai point connu.
(Les Heures oisives, 13)