Ce recueil contient quelques extraits de «
Les Heures oisives » de
Urabe Kenkô et l'intégralité de « Notes de ma cabane de moine » de Kamo no Chômei . Les deux ouvrages sont des zuihitsu (« essais au fil du pinceau ») composés par des moines-poètes ermites du moyen-age.
« On naît le matin, on meurt le soir. Telle est la vie : une écume sur l'eau «
Notes de ma cabane de moine (Hojoki).
Je reprends ici ma chronique à l'édition le Bruit du temps. Il s'agit de la même traduction du R.P Sauveur Candeau.
Ce texte est une merveille. Il touche d'entrée grâce à sa poésie, vous met dans la confidence d'un vécu traversé de souffrances et de doutes et vous amène à réfléchir à votre propre vie de manière concrète, sans prétention doctrinaire.
Kamo no Chômei (1153-1216) était le fils d'un prêtre shintoïste mais à la suite d'une querelle de famille, il ne put prendre la succession du père, ce qui lui resta toute sa vie en travers du gosier. Il se tourne alors vers la poésie et devient un fameux joueur de biwa, il entre comme secrétaire au « Bureau impérial de la poésie » mais la vie de cour le dégoûte. Il devient bouddhiste. Il se retire dans les montagnes, près de Kyoto, s'installe dans une petite chaumière, une « cabane de deux mètres carrés » où il prend l'habitude d'écrire et de méditer. C'est là qu'il compose en 1212 le Hojoki qu'on traduit le plus souvent par Notes de ma cabane de moine.
Le Hojoki appartient à un genre littéraire difficilement classable au croisement de la poésie, de la chronique et de l'essai philosophique : « le zuihitsu » ou « l'écrit au gré du pinceau ». le texte est bref, une vingtaine de pages. La structure vient de Chine mais le fond est singulier, très libre. Chomei écrit à la fin de sa vie après avoir beaucoup vécu et été le témoin de terribles événements. Il débute par de magnifiques images sur l'impermanence. Puis il évoque dans un récit autobiographique toutes les catastrophes dont il a été le témoin quand il vivait dans la capitale impériale. L'incendie terrible de 1177 attisé par un typhon qui ravage un tiers de la ville. L'ouragan de 1180 qu'il compare à l'enfer et qu'il décrit de manière saisissante. La famine de 1181-82 qui s'ensuit avec son funeste cortège d'épidémies. Et le tremblement de terre de 1185 qui est la pire de toutes les calamités. Et puis il tourne en dérision la décision calamiteuse de transférer la capitale de Kyoto à Kobé. Et encore il ne parle pas des pillages ni des massacres liés aux guerres de succession. Après ce récit, on comprend sans peine sa décision de se retirer dans la montagne et de vivre en ermite. Mais il n'est pas facile de trouver la sérénité, de renoncer à attendre quelque chose surtout quand on est attaché à sa petite cabane tranquille.
Les Heures oisives ( Tsurezuregusa) est aussi un classique, plus philosophique mais tout aussi intéressant et agréable à lire. Il a été écrit vers 1330-1332. C'est un ouvrage en prose libre constitué de 243 courts textes de contenu varié : aphorismes, anecdotes, récits, listes etc qui sont numérotés. On y trouve souvent une portée morale. J'ignore ce qui a prévalu au choix des textes dans cette édition.
Urabe Kenko (aussi connu sous le nom Kaneyoshi ou Kenko Hoshi) appartenait à la haute fonction publique impériale du XIVème siècle et lui même servit deux empereurs de l'époque Kamakura, une période très troublée. C'était un fin lettré, un érudit et un poète très prestigieux. Cependant, peu de temps après la mort de l'empereur Go-Uda en 1324, il se retira dans un monastère, sans se désintéresser néanmoins complètement du monde.
Si on en croit son avant propos, le Tsurezureguza contient des « bagatelles » écrites « au gré de ses heures oisives ». le moine-poète se libère des contraintes de ton et de forme et se confie de manière vivante et sincère. Il a vécu, il est père de famille, il a été courtisan, il a observé, il se laisse aller à des réflexions bien universelles. Mais évidemment ses « divagations » apparemment décousues reposent sur des concepts bouddhistes. Kenko relie l'impermanence de la vie à la beauté de la nature. Puisque rien ne dure, il faut apprécier tout ce qui tend à disparaître et considérer comme beau la nature, le vivant et dans l'art, ce qui est inachevé ou irrégulier, comme ses textes.