La parole est aux animaux
Garance se fait embaucher par un couple d’éleveurs de cochons pour s’occuper à plein temps des enfants des éleveurs. Mais Garance a un autre but : découvrir ce qui est arrivé à sa fille Sophie, disparue quatre ans auparavant après avoir été recrutée dans la même entreprise d’élevage de cochons.
L’histoire écrite par Laurence Biberfeld, si elle propose de nombreux personnages, se déroule en huis-clos entre l’élevage de cochons où a travaillé Sophie et la maison du couple où travaille Garance.
Les relations entres les êtres humains sont au cœur du récit de Laurence Biberfeld auxquelles elle mêle les pensées des animaux : cochons, bien entendu, mais aussi le chien de la maison, les belettes et autres oiseaux qui vivent à proximité. Ils vont faire office du chœur antique que l’on trouve dans les pièces de théâtre.
Mais ses pensées animales faites pensées humaines par la magie de Laurence Biberfled ne sont pas là pour donner une respiration au lecteur mais bien pour attiser la tension qui monte au sein des deux récits parallèles : celui de Garance et celui de Sophie.
Le parallélisme des deux récits sera d’ailleurs conservé par Laurence Biberfled jusqu’au bout pour offrir à Garance et Sophie la même fin comme s’il avait fallu réunir mère et fille dans un destin tragique que les lieux et les acteurs des drames ne peuvent que provoquer. Si le personnage de Bambi peut s’approcher de ce qu’on pourrait appeler un ange de miséricorde, il n’est pas là pour sauver physiquement mais psychologiquement les personnages, pour leur indiquer la fin d’un chemin douloureux, lien entre le passé et le présent.
Le moins qu’on puisse dire est que Laurence Biberfeld ne s’embarrasse pas d’optimisme ou de positivisme : les êtres humains sont tous, sans exception ou presque, des cas pathologiques à divers degrés. Il n’y en a pas un qui n’ait rien à se reprocher : Sophie attente au fonctionnement de l’élevage en provoquant des catastrophes aux conséquences dramatiques, les éleveurs sont arrivistes, folâtres et inhumains, les employés de l’élevage sont pervers, méchants, violents, machistes et alcooliques, Garance est infanticide… la liste serait trop longue.
Et pourtant, sur ce terreau de fumier, Laurence Biberfeld arrive à faire germer quelques semblants d’humanité. Bambi, l’équarrisseur, derrière ses magouilles est un être bon, Garance ne cherche pas à esquiver ses fautes passées mais tente de construire un semblant de vie dans un monde sombre, l’éleveur semble touche in fine par une sorte de prise de conscience rédemptrice…
A travers une construction sans faille, à l’aide des pensées des animaux qui émaillent le roman, apportant une touche d’originalité qui peut être déroutante mais qui reste diablement efficace, grâce à une histoire d’une banalité crasse, Laurence Biberfeld emmène le lecteur sur des sentiers boueux et peu ragoutants dont on est soulagé de sortir sains et saufs… enfin pas tout à fait : la vie des personnages emportés comme autant de fétus de paille par le récit de Laurence Biberfeld reste gravée longtemps dans l’esprit du lecteur comme autant de facettes de l’ignominie des êtres humains auxquelles il faut se confronter soi-même pour éviter de sombrer dans les mêmes pièges.
Un grand roman, dur mais fort, sombre mais avec des touches de tendresse et de bonheur trop rares.
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