Citations de Laurence Nobécourt (221)
Encore une fois appris par la pauvreté de mon corps ce qu'il en était d'être seule ; par ma pauvre langue ce qu'il en était de le dire. Ce sont eux, le corps comme la langue, qui, porteurs de toutes mes défaites, m'auront fait rencontrer les victoires les plus humbles.
On naît deux fois, du ventre de sa mère et des cuisses de sa propre conscience.
A un certain niveau, l'écriture protège autant qu'elle enferme. (...)
On ne guérit jamais tout à fait de ses blessures, mais l'écriture les désactive.(p. 170)
Au pied du glacier Hinju, dans le bruit fracassant d'un torrent, je pleurai indéfiniment, acceptant que mon besoin de consolation serait, à jamais, impossible à rassasier; J'expulsais de moi cette détresse d'enfant enfermée depuis cinquante années. (p. 141)
Oui, l'écriture est chemin de vie en ce qu'elle enseigne par le texte l'exigence qu'il nous est demandé d'avoir dans la vie. (...)
Quitter tout, tout ce qui entrave la quête, quitter les adjectifs sirupeux comme les gens, les faux-semblants, les phrases pauvres au-dedans. Sacrifier la sécurité affective, financière, écarter les faux amis et les gagne-petit. Oui, c'est une école du rabot qui ne laisse aucune place aux amitiés de l'à-peu-près ni aux hypocrites. C'est une quête. Et elle passa avant tout. (p. 182)
La vie comme l'écriture requiert ses sacrifices et ses séparations: sacrifices qu'impose l'existence d'écrivain; séparation dans la matière même du texte dont l'écriture est une école de vie en soi. (...)
Oui, l'écriture est chemin de vie en ce qu'elle enseigne par le texte l'exigence qu'il nous est demandé d'avoir dans la vie. Par son implacabilité, sa radicalité, elle commande de savoir ôter pour augmenter, trancher pour avancer (...) (p. 181)
A partir de ce jour, et depuis lors, j'ai su qu'il existe un invisible soutenant le langage où la vie ruisselle de sens. A partir de ce jour, et depuis lors, je n'ai cessé de vérifier qu'écrire ramène ce sens à la surface, donne un but à l'existence, la mienne, celle des autres, qu'écrire possède le pouvoir magnifique de faire bouger les séparations et déplacer les lignes, de tisser des liens entre elles et les mondes. (p. 130)
J'ai compris qu'il resterait à jamais pour moi porteur du verbe qui tue, qui à un certain endroit de moi-même m'avait tuée, et qu'il demeurerait à jamais impuni de cela. (...)
Je suis heureuse de dénoncer à travers lui la puissance noire de la parole qui, lorsque la lumière du verbe la quitte, oeuvre à d'obscurs assassinats invisibles, sans procès ni jugement. (p. 97)
L'expérience de l'écriture incarne , plus qu'aucune autre qu'il m'ait été donné de vivre, ce paradoxe. Qu'à se retirer du monde pour l'écrire, on n'est jamais autant présent à lui. (p. 101)
Sans aucun doute a-t-il, lui comme d'autres, nourri ma colère. Ce que cette vive émotion peut porter de beauté, je voudrais le dire ici. Lorsque la colère est colère de survie. Et qui est peut-être celle à partir de laquelle j'ai écrit faute d'être capable de la dire. (p. 106)
C'est seulement lorsque ma mère est morte que j'ai pris la mesure de ce que l'écriture avait apporté à ma vie. En quoi la voie du verbe m'avait littéralement sauvée. (p.69)
"Seule l'écriture est plus forte que la mère", affirme Marguerite Duras. (p. 13)
Ecrire c'est transmettre cette joie-là, si intense et si modeste dans le fracas du monde. (p. 17)
Les livres tracent une ligne de sens qui rend supportable l'incohérence du monde à laquelle notre ignorance nous condamne. (...) (p. 16)
Et maintenant que j'ai récupéré une part de cet héritage, c'est avec joie que j'utilise quotidiennement ce qu'il y a de plus beau. Et mieux encore: certaines tasses ou assiettes, si précieuses qu'elles étaient réservées à la décoration, nous nous en servons désormais pour boire un thé, manger une soupe. Et de profiter ainsi de leur beauté, il me semble que nous les rendons à la vie et que l'ordinaire retrouve, par ces simples détails, son caractère d'exception. (p. 36)
Longtemps j'ai cru écrire pour mettre quelque chose à l'abri de la mort. Puis j'en suis finalement venue à penser que j'écrivais plus volontiers pour mettre quelque chose à l'abri de la vie, m'inventer une demeure. (p. 45)
L'écriture c'est ce qui me permet de prendre la vie de face les bras entièrement ouverts. Sans elle, je défaillirais. (p. 49)
Ecrire c'est donner du sens. (...)
La littérature fabrique le monde, ses légendes, son socle sacré. (p. 53)
Nous ne sommes le but de personne. Et personne n'est notre but.
Je n'appartiens à aucune tradition au sens religieux. Mon lien au monde est spirituel. Je ressens l'esprit partout où il est, dans un caillou, un arbre, etc. Beaucoup de gens ont besoin d'un maître qui leur dise quoi faire. Je suis insoumise, je refuse l'autorité que je ne reconnais pas et j'en reconnais très peu. J'aime l'idée que le sacré soit partout.
Le Monde des Religions n°87, 01-02/2018