Citations de Laurence Nobécourt (220)
Les mystères de la littérature étant ce qu'ils sont, ils se trouve que j'ai imaginé l'existence d'un poète japonais il y a plus de dix ans, du nom de Yazuki- un nom venu de mon imagination qui a parcouru tous les livres que j'ai publiés depuis- et dont je m'aperçois, au moment de partir au Japon- où je ne suis jamais allée-, qu'il existe bel et bien. Vous imaginez mon trouble et ma joie.
S'il était possible que la fiction rencontre la réalité, il me semble que je serais enseignée sur le pouvoir de la littérature. (p. 52)
Une foi immense qui est sa liberté de rêver le visage de l'éternité. C'est cela la foi et rien d'autre.
Et cela, plus qu'elle ne l'a, elle l'est. H. est sa foi.
La voilà, revenue de cet exil où nous retiennent les vanités du siècle, pour mieux s'enfoncer dans la clôture des merveilles, c'est-à-dire en elle-même. Elle sait désormais que le cercle fermé ouvre à l'infini en son centre, et que l'homme n'est rien d'autre que le monastère de Dieu.
Ce n'est pas seulement ce "désir de clôture" que je veux honorer ici - il n'a cessé de se glisser dans mes livres - mais l'engagement politique qu'il recouvre : sa subversion. Hildegarde de Bingen l'incarne.
Il n'y a, en effet, d'engagement politique véritable qu'à défendre la beauté ; celle qui rend la vie plus large et plus profonde. Pour aller jusqu'à la liberté.
l'initié est celui qui se soutient lui-même d'être par l'invisible soutenu. H. est de ceux-là et atteste de cette force auprès des soeurs qui consentent à apprendre. Toutes ne sont pas assoiffées. a toutes, cependant, elle transmet selon la loi de cette viridité qu'elle honore. Amour, joie, dignité, rigueur, sensualité fondent cette terre promise à laquelle H. travaille. La discipline est ferme. Elle seule, en effet, autorise la véritable liberté.
Ce que H enseigne, H. le vit. Nulle morale chez l'abbesse, nulle convention. Elle ouvre le dogme. Elle fend la pierre pour faire surgir la source de vie vivante - celle qui ne supporte ni artifice ni faux-semblant.
La colère, comme la révolte la plus intense sont égales à la soumission la plus grande.
Peut-être que tous les grains de beauté sur tous les corps du monde, passés et à venir, forment un dessin identique à celui de toutes les constellations qui peuplent les galaxies.
Mais qu'est-ce que c'est Kola, une sacrée vie, sinon toutes ces douleurs sourdes et fières que même le silence ne peut dire, que l'on finit peut-être par appeler l'expérience, et qui n'est rien d'autre qu'une accumulation extravagante de pertes et de chagrins... p 434
J'ai toujours eu une méfiance naturelle vis-à-vis des familles, cette première forme élémentaire de l'oppression qui, avant l'école et la société, tente de soumettre cette part irréductible de liberté en soi, nous imposant de la faire taire comme s'il s'agissait d'un démon. C'est pourtant elle le seul ange véritable. p 40
Oui et puisque ma vie n'est devenue rien d'autre qu'un torchon gorgé d'eau frappé sur une table de bois. Vingt-huit ans donc, toujours debout, avec le corps qui me travaille. J'attends le moment où je ne pourrai plus rester chez moi, où il faudra sortir, aller au-devant du béton.
Leny était devenue cette jeune fille libre, à qui la mort elle-même ne faisait plus peur, dégagée des buissons feuillus de méfiance qui poussent dans la crainte de souffrir et le besoin d'être aimé
Longtemps j’ai cru écrire pour mettre quelque chose à l’abri de la mort. Puis j’en suis finalement venue à penser que j’écrivais plus volontiers pour mettre quelque chose à l’abri de la vie, m’inventer une demeure.
une fois que tu as traversé toutes les questions, que tu as renoncé à comprendre, et accepté de n’être qu’un pauvre et minuscule fragment d’un mystère qui t’échappe, une fois qu’après t’être pris pour Dieu tu retombes d’un seul coup sur ton cul, alors la vie peut être ce qu’elle est : simplement la vie. Et avec elle c’est la cinquième saison qui commence.
Le monde fonctionne sur cette ignorance de chacun à l'égard de lui-même; (p. 176)
J'ai échangé mon enfance contre mes livres. Chaque fois que j'écris, j'en récupère des bouts, des bouts d'enfance qui me restaurent dans mon intégrité. (p. 171)
Au moment où il n'y aura plus de mots pour s'asseoir
Nous resterons debout sans phrase pour nous soutenir
Avec entre les mains le fil de nos ourlets sauvages
Pour ne pas tomber mon petit,
Je me recouds chaque jour au grand tissu.
Et, finalement, soi, qu'est-ce que l'on aura accompli ? Qu'est-ce qui aura fait sens ? Avoir mis au monde des enfants, les avoir accompagnés, avoir planté quelques arbres, construit une maison, écrit quelques livres. Ce sont des choses qui importent, il est vrai, mais il me semble qu'il n'y a d'accomplissement que dans le don, et je me sens encore si loin de ce don.
Le mot "pardon" vient du latin per-donare, la "perfection du don". Peut-être n'y a-t-il pas de plus grand don à autrui que ce pardon à soi-même. Se pardonner de s'être laissé blesser ; d'avoir blessé à son tour ; et de ce que nos existences honorent si peu l'infini des royaumes qu'elles contiennent.
Ce n'est pas que la vie n'ait désormais aucun sens, c'est qu'elle n'a plus aucun sens connu. Qu'est-ce qui compte ?
Dignité, manifestation, élévation.
Il est une terre inconnue, loin à l'intérieur des hommes, où, dans la matrice du silence le verbe met bas. Quête organique que celle de cette langue accouchée des origines, qu'ils sont si peu nombreux à s'en aller chercher. Ceux qui l'osent ont appris que l'écriture est habitée de sexualité comme le ventre et qu'il faut s'y enfoncer avec la même ardeur que les consonnes masculines fouaillent la béance des voyelles de la phrase. C'est au prix de cette conscience-là, et de l'enjeu qu'elle représente, que l'esprit circule entre les lettres et porte le souffle.
Maintenant, je crois que le silence est la cinquième saison du langage.
Yazuki était un écrivain avant tout autre chose, c'est à dire qu'il était pris par cet inextricable paradoxe qui veut que l'amour du verbe nous en éloigne.