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Citations de Léo Henry (173)


J’avais découvert sur le Net pas mal de choses sur le management et la méditation.
Le courant dit de la « pleine conscience » était très à la mode chez les cadres. Pas besoin de creuser longtemps pour tomber sur des spécialistes, proposant à prix fort des bouquins de vulgarisation, des séminaires, des formations. Les noms des mêmes boîtes revenaient dans leurs références clientèle : Apple, Ford, Sodexo. D’autres citaient David Lynch et la méditation transcendantale ou les trous dans les buildings hongkongais , conçus pour faire circuler l’énergie du dragon.
Le New Age californien semblait s’être dissous sans mal dans la culture d’entreprise, lui apportant la petite touche orientale qui allait bien. Restait qu’aucun de ces experts, sur les photos, ne ressemblait à des sages bouddhistes ou à de vieux surfeurs de Long Beach. Quatre épingles, costards corporate, coupes proprettes. Leur tenue trahissait leur véritable fonction : la mise en place d’un nouvel outil de gestion du personnel.
J’avais échangé à ce sujet quelques mails avec Laurent, un pote de collège formé aux ressources humaines, qui avait été un temps consultant pour de très grosses firmes. Il avait totalement changé de voie quand il avait rencontré son copain actuel, un pénaliste syrien spécialiste des droits de l’homme. Il l’avait suivi à Bruxelles, où il bossait maintenant dans l’éducation populaire, pour le dixième de son précédent salaire. Laurent était le type le plus compétent que je connaissais, tous domaines confondus. Même si on ne se voyait que très rarement, il répondait toujours très vite à ses e-mails.
Au bout du compte, les entreprises ne s’intéressent qu’au tangible, m’écrivait-il. Ce qui leur importe c’est l’efficacité, le quantifiable. Si une quelconque dimension spirituelle est mise en avant dans leur discours, tu peux être certain que les techniques visent en réalité un objectif matériel précis. Aucun patron n’a besoin ni envie d’employés émancipés.
J’aimais son franc-parler, même si rien dans ce qu’il décrivait n’expliquait la façon harmonieuse dont s’articulaient, dans mon cas, les séances de méditation quotidienne et la pénibilité du travail. À toutes ces explications rationalisantes, je pouvais opposer un constat, énoncé sans fanfaronnade par le docteur Scheffner : le corps ne ment pas.
Je ne m’étais jamais senti aussi bien que depuis ces quelques semaines.
Mon esprit était plus vif. Mon régime plus sain. Un poids énorme de culpabilité me semblait levé après chaque séance. Et, malgré le manque de sommeil et les efforts physiques constants, mon corps était plus tonique et mieux défini qu’il ne l’avait jamais été.
J’ai fermé les yeux, seul sur mon canapé, et suis retourné par la pensée sur le tatami de la salle de sport. J’ai invoqué la voix de Parvadhi, un peu aiguë, tout à fait calme, avec ce drôle d’accent. Ses mots m’ont guidé jusqu’à ce sanctuaire à l’intérieur de moi-même. Je suis devenu dense et lourd et tiède.
Presque tout de suite après, je me suis endormi comme un bébé.

J’ai rêvé que mes pupilles étaient des trous. J’y enfonçai des baguettes de restaurant chinois pour retirer de mes globes oculaires de pleines pincées d’échardes noires. Je les déposais soigneusement dans une petite coupelle avant de recommencer.
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Dépouiller le compte Gmail lui prend moins d’une heure.
Il ne reste pas grand-chose, une fois écartés les spams des vendeurs en ligne chez qui elle a été cliente et les envois de mailing lists auxquels elle ne répond jamais : anciens de l’opération Boali en Centrafrique, groupe de spéléo d’Île-de-France, paroisse protestante unie des Batignolles. Il y a aussi quelques échanges perso avec un certain Jean-Christophe, dont Bastien se souvient vaguement, embarrassants de banalité, accompagnés de photos d’enfants de moins en moins petits. Le dernier mail de Diane début juillet est adressé à une certaine Bérénice. Diane y évoque succinctement son quotidien à la caserne de Nanterre, sans mentionner, même à demi-mot, d’éventuelles difficultés. Bastien relit plusieurs fois ces cinq courtes lignes. Le ton lui semble trop neutre, presque indifférent, mais il est incapable de discerner si c’est un signe inquiétant ou une forme normale d’interaction entre ces deux correspondantes.
Avant de se déconnecter, Bastien vérifie machinalement le Drive associé à l’adresse mail. L’interface de stockage en ligne contient à son étonnement un assez gros dossier. Intitulé LA PANSE, il abrite dix-huit éléments pour près de sept cent quatre vingts mégaoctets de données.
Double clic. Nouvelle fenêtre. Portant cette simple mention : RUMEN et un formulaire vide au-dessous. Sans réfléchir, comme s’il s’agissait d’un captcha, Bastien recopie : RUMEN et appuie sur « envoi ». Une barre de chargement apparaît très brièvement, puis un message qu’il a à peine le temps de lire : identification erronée.
La page se rafraîchit aussitôt. Le dossier a disparu.
Bastien jure, essaie de revenir en arrière, il n’a jamais vu ça. L’onglet de mail s’est lui aussi mis à jour et affiche un petit ②, signalant à Diane Regnault l’arrivée de deux nouveaux messages.
Le premier est de Google. Il prévient que quelqu’un vient de se connecter au Drive depuis un ordinateur inconnu. Le second fait comme suit :

15-01-16/11:48
Exp : itdundord@spamex.com
Objet : re : [La Panse] Symposion 2016
Chers fidèles,
La première réunion de 2016 aura lieu ce lundi 18 janvier à partir de 19 heures, dans les salons du Château. GPS : 48.892792, 2.239433
Nos retrouvailles seront placées sous les mânes de Ptah et d’Enki afin d’ouvrir une année de lumière dans le labeur. Les Trois d’Ailleurs nous honoreront de leur présence : venez en humilité, face couverte.
Estate quod estis
R.R.O.A.

Bastien éloigne son visage des quelques pouces carrés de l’écran du portable, se laisse aller en arrière dans le mauvais clic-clac. Il fait très sombre dans le minuscule appartement. L’ordinateur, sur la table, ouvre un trou gris, luminescent.
Plus tard, de retour des courses, il appelle son ami Alexis et laisse un message pour lui demander s’il a déjà entendu parler de sécurité par effacement sur un un serveur de stockage. S’il connaît des méthodes pour repêcher le contenu perdu. Puis il poursuit ses recherches en ligne, à partir des quelques éléments disparates dont il dispose.
La plus grosse surprise vient des coordonnées GPS. La position du prétendu Château tombe en plein dans la commune de Puteaux, au milieu d’une structure qui, vue du ciel, est un cercle inscrit dans un triangle. Il zoome, passe en Street View. D’après le logiciel, ce lieu a pour nom CNIT.
Le Centre des nouvelles industries et technologies. Wikipedia prend le relais. Tout premier bâtiment construit à la Défense, dès 1958. Une forme audacieuse et très moderne, avec d’immenses voûtes de béton. Aujourd’hui : un mélange de centre commercial et de palais des congrès.
Tout autour, à mesure qu’il dézoome, Bastien voit revenir l’Arche, le parvis, la dalle, les gratte-ciel, et puis la longue anse de la Seine, qui isole le quartier d’affaires des berges de Neuilly, sur une sorte de grande presqu’île frôlant la capitale.
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Il fait enfin froid, clair et mordant : un beau temps d’hiver. Bastien sort du RER au fin fond de Nanterre, un instant désorienté. Le trajet lui a pris près d’une heure dans les souterrains des transports, à rêvasser, sans parvenir à se concentrer sur les mésaventures de Nicolas Bouvier échoué au Sri Lanka. Le vent, sur le trottoir, le chope et le glace. Il ferme son manteau, remet son bonnet, va au petit bonheur en essayant de retrouver les points de repère de la carte Google Maps consultée avant de partir.
Bastien est né, a poussé et mûri dans l’Est parisien. Il n’est jamais venu jusqu’ici et s’étonne de découvrir un environnement aussi abstrait et exotique. Sa banlieue proche est résidentielle et ancienne, faite de villas raides, de pavillons en meulière, sans rupture véritable avec les décors intra-muros où lui-même vit. En regard, Nanterre lui paraît provinciale, large, inhospitalière et d’une nouveauté un peu usée. Ayant trouvé l’autoroute et replacé ses points cardinaux, il se hâte vers la caserne flambant neuve dont il a déjà vu les façades en photo sur le Net.

Ça lui a pris presque quinze jours pour se décider à bouger.
La semaine suivant le Nouvel An, il a fini par appeler les pompiers pour demander comment il pouvait joindre Diane. On l’a d’abord baladé froidement. D’après ses interlocuteurs, aucune Diane Regnault ne faisait partie de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Il a réitéré ses coups de fil, insisté, prétendu être le père, exigé de parler à un responsable et fini par obtenir des informations à l’état-major Champerret.
Il s’avérait que l’adjudant-chef Regnault avait servi à la caserne de Nanterre du 2 février au 10 juillet 2015, date à laquelle elle avait été démise de ses fonctions.
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? Elle a démissionné ?
– On ne démissionne pas de l’armée, monsieur », a répondu l’officier d’un ton brusque, comme stupéfait de l’ignorance de Bastien.
Ce qu’avaient confirmé quelques recherches sur Internet : les engagements se faisaient sur une base minimale de cinq ans et n’étaient pas révocables.
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Nous sommes entrés dans la ville comme l'entêtant vent de nuit, comme un fleuve qui déborde.
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Le jaune de juillet, dans la lucarne, est frémissant et fiévreux.
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On restait bouche bée, excités, impatients et incrédules, comme des fourmis devant un pain de sucre.
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Péri était la seule du groupe à admirer l'apparence de la troglobie, à oser la regarder sinon en face, du moins en pleines villosités. Elle aimait la couleur et la délicatesse de cette dentelle de tissus vivants qui auraient aussi bien pu être du bois. Phontenglu hoquetait, Syzygie détournait les yeux et Patito grimaçait de dégoût.
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Il lui semblait que ce coin d'Archimonde était soudain devenu l'antichambre terrifiante d'un enfer de violence, grouillant de haine, de malice nocive et d'envie d'en découdre.
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Porte cent un. C'est la bonne cellule.
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Elle désignait du doigt la procession de spectres qui s'écoulait lentement par la double porte d'une sorte de temple. Le bâtiment de pierres cyclopéennes était tout d'angles étranges et de hauts-reliefs grotesques figurant des monstres de cauchemar, hybrides d'animaux marins, de chauve-souris et d'humains contrefaits.
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Quelle est la différence entre un angiome et un mésentère ? lut-elle à haute voix. Aucune, ce sont tous les deux des fraises.
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Patito est le meilleur personnage de cette histoire. Parce qu'il n'apprend rien. Parce qu'il ne mûrit pas. Qu'il se contente d'être toujours exactement lui-même.
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On convint ainsi ce soir-là de la constitution d'une petite troupe d'artistes itinérants, qui proposerait contes, chants, pièces mimées et, lorsque l'approvisionnement le permettrait, entremets variés à prix d'ami. Entre les hameaux, villages, cités, on voyagerait à un rythme paisible, vivant de peu, cueillette, chasse, rapines et calembours navrants.
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On aime à dire des Saisons de l'Archimonde qu'elles sont comme les différentes phases d'une seule respiration. Je préfère, pour ma part, les regarder comme une danse, comme un déroulé de gestes répétitifs mais chaque fois dissemblables. Des petits pas dans un sens, des petits pas dans l'autre, nous toutes emportées dans les vastes bras du temps.
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La navigatrice, insensible aux couleurs, était capable de voir profondément dans les épaisseurs de l'eau. Elle distinguait les courants, les strates, les masses chaudes et froides, en plus de percevoir les compagnons de route, mammifères marins, poissons en société, céphalopodes et bancs d'organisme minuscules, cette neige subaquatique qui était comme les pollens en suspension, comme les poussière de nos intérieurs domestiques.
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"Certaines personnes n'ont aucune pitié. Elles ne voient, dans la vulnérabilité des autres, qu'une façon de renforcer leur propre pouvoir."
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Nous passons notre temps à essayer de dire des choses : nos mots, avec peine, tentent de recouvrir le vécu, coller au réel, laisser le moins d'espace libre possible. C'est une tâche d'une précision maniaque à laquelle nous échouons perpétuellement. La distance entre les faits et leur histoire, pour réduite qu'elle puisse nous sembler, est toujours assez vaste pour contenir l'univers entier ; l'intuition que nous avons de cet espace est l'expérience la plus commune de l'infini.
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C'est un spectacle sonore de mandibules et de ronrons qui résonne dans les grottes glaireuses des gueules et gronde dans les gosiers.
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Ce que je sais, quant à moi, ce que je peux voir avec mes yeux mortels et concevoir dans mon esprit faillible, c’est que le jour arrive à son terme. Le soleil entame sa descente et ses rayons s’émoussent. Les ombres, en noircissant, se multiplient. Des poussières étincelantes dansent au-dessus de ma page et dessinent dans l’espace les rais obliques tirés de la fenêtre. Le soir vient, puis le crépuscule, puis la nuit. Sans rupture, inexorablement, les forces vitales se retirent.
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La conteuse écarte ses mains, paumes ouvertes, comme pour y soupeser quelque trésor fragile, et poursuit : Paris. La plus sombre, la plus crasseuse et la plus folle ville du monde. Paris est tassée sur son île, embrassée par le fleuve, et tout y est accolé, le marché, le port, le quartier juif et les maisons marchandes, les cabarets, l’église, le collège de Notre-Dame. Les maisons se grimpent les unes sur les autres, riches et pauvres confondues, les pèlerins logent avec les mécréants comme l’agneau et le lion. Certaines rues sont si étroites que deux personnes n’y passent pas de front, et le caractère des Parisiens si mauvais que chaque rencontre est la promesse d’un affrontement. C’est à Paris qu’enseignent les plus grands esprits, hommes d’Église, de science ou des deux. Et le plus notable de ces savants est certainement ce Pierre Abélard, qui applique la logique d’Aristote aux questions spirituelles, dans une science nouvelle qu’il nomme théologie.
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