Léon Werth

Tout le problème, conclut Laval, était de faire vivre le pays. Ce procès que vous nous faites est illogique. Nous étions là, le Maréchal et moi, pour défendre notre pays.

Je touche, en ce moment, aux lieux bas. Je n'espère plus beaucoup ni de moi ni du monde [...] Je me traîne avec mon vieux métier. Je conte les lieux bas, je conte, dans cette immensité de la guerre, des histoires d'insectes.

Les visages annamites s'inscrivent dans le cercle, sans saillies rudes de traits, sans exaspération de dessin sans avancées guerrières, sans creusements, sillons, ravinements d'inquiétudes répétées.


L'inconsistante image qu'on lit sur la lune, l'Européen en a fait un visage. Pour l 'Annamite, elle est rude encore. Il y voit un homme qui fend du bois.

Le culte des ancêtres n'est point un culte fanatique. Les pratiques religieuses des Extrêmes-Orientaux ne supposent point la possession d'une vérité absolue, dévoratrice des autres vérités...
Scepticisme, raffinement ou tolérance, l'Extrême-Oriental ne s'enorgueillit pas de posséder un absolu. Il est en ceci nettement supérieur au musulman, au chrétien, au juif. Domestique ou individuelle, sa religion n'est pas sociale.
Le bonze est un maître des rites pas un agent de propagande...

Et pour ce qui est de la charité en son sens usuel et banal, les Annamites m'ont demandé ce que l'Europe pouvait prétendre apporter en un pays où le mendiant fut toujours sûr de trouver sa poignée de riz.
Et sur la charité annamite, ont-ils ajouté, interrogez vos administrateurs, qui ne redoutent rien tant que l'Européen déclassé ou dévoyé qui pourrait, en vivant de la charité annamite, compromettre le prestige européen.

L'Européen pour manger se sert d'une fourche. Il en enfonce les pointes dans la viande. Il prend un chargement de légumes, comme un paysan prend une brassée de foin.
L'Extrême-Oriental, avec ses deux baguettes qui s'articulent dans la main, vise des objets menus et dispersés. On dirait toujours dinette et travail d'art. Les mouvements agiles et précis donnent l'illusion d'une subtile mécanique. Manger semble oeuvre de choix.

Il y a un mois, dit le sous lieutenant, le colonel a réuni les officiers. Il trouvait qu'il n'y avait pas dans le régiment assez d'animosité contre l'ennemi... que les hommes s'endormaient dans la torpeur de la tranchée... il nous a donné l'ordre d'envoyer des patrouilles, même inutiles... Quitte à perdre quelques hommes... ainsi l'animosité s'augmentera... une patrouille inutile... une patrouille pédagogique... une patrouille pour avoir plus de cadavres à la haine...

Un planton porte clefs garde les cabinets dans la maison du colonel. Il ne doit remettre la clef qu'au colonel, aux officiers et à l'adjudant secrétaire du colonel. Mobilisé de la grande guerre, réjouis toi ... tu gardes non seulement le sol de France, mais, sur ce sol, les water où ton colonel et tes officiers font leurs besoins...

À la nuit tombante, les vingt cinq volontaires trouvèrent leur bataillon. Un carrefour de route, une clairière... un commandant qui bégaye leur adresse un discours. Il les félicite, et termine ainsi :
Soyez les bienvenus parmi nous... les camarades que vous venez remplacer ont donné l'exemple de l'héroïsme... ils sont morts... tachez de les imiter...

Si la religion fut la morale en images, la patrie est l'administration en images et la patrie, semblable à la religion, destinée comme elle à préserver et perpétuer les usages et les privilèges, acquiert une force mystique en prenant la vie des hommes... comme la religion tua, elle tue pour se défendre. Elle est plus que la vie.

Les paysans d'ici, s'il ne s'agit de restrictions ou réquisitions, sont absolument indifférents à tout ce que dit et fait le gouvernement. Ils ne pensent qu'au marché noir, à amasser des sous.

La fourche du paysan , la fourche révolutionnaire, c'est un organe en régression...

En politique, la distance est à peu près nulle entre l'homme le plus instruit et le plus inculte. Et les comportements ne diffèrent guère de la masse que par leur canaillerie.

J'apprend par le bulletin paroissial que Dieu a accordé un miracle à la France en la personne du Maréchal.

Le buste du Maréchal remplacera celui de Marianne dans les mairies, les écoles, les tribunaux.

Le jeune Debray est des camps de jeunesse. Depuis quelques années, ils tendait les bras vers un inaccessible bachot. Il porte maintenant un séduisant uniforme, on dirait un phalangiste.

La fascisme utilise les imbéciles de ce type et crée pour eux un milieu favorable. Oubliés à fond de cale, ils montent sur le pont et feront chavirer le monde.

Ils voudraient bien que les Allemands s'en aillent, parce que les Allemands gênent le commerce. Et aussi, il ne voudraient pas " être des Allemands ".
Mais l'hitlérisme, le fascisme les préoccupent peu. Ils ont surtout peur du communisme.

La liberté supprimée, quelque dizaines d'hommes en souffrent, pour qui elle est le sel de la terre. Mais au bourg et dans les fermes, on n'a point encore senti la dictature. Il est vrai qu'elle procède par étapes et que, comme ils disent, on attend.

Un manoeuvre est condamné par le tribunal de Trévoux à six mois de prison pour propos défaitistes. Je voudrais connaître la définition juridique du défaitisme en ce mois de septembre 1940.

“On a répandu l’idée que cette guerre était la dernière des guerres. La guerre tueuse de la guerre. Comme un enfant qui réclame un dernier gâteau, les gouvernements ont demandé aux peuples le dernier sacrifice : faites la guerre, pour que vos fils n’aient plus à la faire. Mensonge imbécile. Cette guerre est la guerre. Rien ne prépare la persistance de la paix sinon l’habitude de ne pas consentir à la guerre.”

Les juifs fauteurs du carnage ? Pourquoi pas les ratons laveurs et les ornithorynques ?

Il me semble que la France, au sens le plus simple du mot, a cessé de penser. La France hypnotisée par Hitler ou Staline, a cessé de se penser elle-même. Quand un peuple ne pense pas encore ou ne pense plus, un Hitler, un Staline pense pour lui. Le couple Hitler-Staline absorbera-t-il l'Europe et la France, avec le consentement de cette sorte de Français, voués à un patriotisme de journal et qui ne donnent à la France aucune figure, sinon celle de leur tranquillité ?