Citations de Lilia Hassaine (511)
le seul trait d’union entre les hommes c’est la culture, cette culture qu’on dit élitiste mais qui est universelle car elle a traversé les siècles.les sonates de Beethoven sont arrivées jusqu’à nous parce qu’il y a dans cet art , comme dans la musique classique arabe ou le chant des oiseaux, une permanence du sentiment, une sorte d’âme supérieure. l’excellence de l’art dépasse les préférences, elle est la caisse de résonance de Dieu…
Les seuls émotions fortes que tu auras, ma fille, c’est de perdre ce que tu aimes. Quand tu auras compris ça, tu trouveras de l’intensité jusque dans la main qui te permet de couper des légumes, ce membre perfectionné par des milliers d’années d’évolution humaine, dans ces droits qui te servent à guider la fourchette jusqu’à ta bouche.
On croit toujours qu'on a le temps, la vérité c'est que tu n'as jamais le temps pour moi, parce que tu en as trop, du temps... la vérité surtout, c'est que j'ai moins de temps que toi. Tu verras, quand tu auras mon age, le temps sera pour toi une espèce protégée, comme les tigres blancs et les éléphants d'Afrique, alors fais-moi ce cadeau... mon petit-fils... de temps en temps....
Je suis devenu un homme, c'est à dire un enfant conscient de son impuissance.
Maryam, la fille ainée de Naja, venait d'entrer en seconde. Sonia était au collège et Nour à l'école primaire. Personne n'avait jamais dit à Nour la vérité. Plus les années passaient, plus le secret s'enfonçait, et on empilait par-dessus des mensonges comme on coule du béton pour combler un trou.
Mais les secrets qu'on enterre ne meurent pas pour autant. S'ils n'éclatent pas au grand jour, ils exhalent des vapeurs contre lesquelles on ne peut rien : Nour avait un attachement inné pour Daniel. Elle n'avait aucune animosité à l'égard d'Amir, mais comme tout ce qui concernait sa propre famille ne l'avait jamais intéressée, elle mettait un point d'honneur à "préférer l'autre bébé". Alors, quand Eve leur rendait visite, Nour jouait des heures avec Daniel, qui galopait en riant autour des tables du salon. Tous deux se ressemblaient, y compris physiquement, ce qui n'étonnait personne dans leur entourage puisqu'ils étaient "cousins". Mais Nour agaçait sa mère par cet attachement trop fort, ses questions incessantes au sujet du bébé et ses réflexions insolentes : "Daniel et Amir ont le même âge, mais Daniel est beaucoup plus costaud. C'est peut-être parce qu'il mange du porc, tu ne crois pas maman ?"
Regarde-moi, j'ai renoncé à tant de choses, pour n'avoir pas su dire à quel _camp_ j'appartenais. J'ai écouté ceux qui m'ont interdit d'aimer un Français. Au nom de quoi ? La tradition ? L'homme qui m'a quittée s'en est bien moqué de la tradition... Je ne supporte plus cette hypocrisie, celle qui voudrait qu'on dénonce la racisme chez les autres, mais qu'on le pratique chez nous. Je ne supporte plus ces règles absurdes qui consistent à tout sacrifier à la famille. Où est-elle, la sacro-sainte famille, quand tu as besoin d'elle ?
[Marcel] faisait exprès aussi de ne pas lui proposer de jouer. Il voulait que l'idée vienne de lui, qu'il s'essaye sans demander la permission, comme quand il avait volé les caramels dans la bonbonnière. Quand le désir est irrépressible, la satisfaction est grande. (...) Il jugeait que la liberté était le seul moyen de contraindre un homme.
Les autres garçons n'aimaient pas beaucoup son attitude. Souvent, quand on remarque chez quelqu'un un trait qui nous ressemble mais qu'on met tant d'énergie à masquer, quand on s'évertue à cacher notre nature profonde et qu'on voit cet autre l'assumer avec facilité, c'est la violence qui éclate en premier.
Ne pas être "un", c'est être suspecté de duplicité.
Observer les mouvements des autres, depuis le tarmac de son existence. Elle songeait qu'elle finirait sans doute ses jours dans la même ville, dans le même HLM, qu'il ne se passerait jamais rien, aucun évènement marquant, jamais, et que c'était ce qui la différenciait profondément d'Eve.
Les proportions de l'enfance sont des antidotes à la banalité, elles révèlent le monde tel qu'il est.
J'ai traîné pendant des années une tristesse persistante, j'avais envie de connaître sa source. Pas pour m'y complaire, ni m'apitoyer, car je crois au pouvoir des alchimistes, je crois que tout peut se transformer , même la boue, même le plomb, même la douleur. Notre mémoire ne devrait pas devenir une pierre qui nous tire vers le fond, mais une vie contenue dans la nôtre qui, par un jeu de poupées russes, donne de l'épaisseur au temps et de la perspective aux choses. C'est pourquoi j'ai voulu faire ce voyage avec mes enfants.
Les enfants d'immigrés portent en eux l'exil et l'ancrage. On les a perfusés à la mélancolie.
Le désenchantement avait commencé dans leurs yeux. Les sauterelles étaient des sauterelles. Les collines, des collines. C'était ce qui l'effrayait le plus.
Ce jour-là, elle avait commencé son cours de maière informelle, parce qu'elke avait entendu l'une de ses élèves dire : "Les Français, ils sont racistes." Dans sa classe de sixième, il y avait une majorité d'enfants d'immigrés :
"Je ne veux plus jamais entendre l'expression "les Français" dans cette classe. Vous ne devez ps accepter que l'on vous sépare des autres, mais si vous vous séparez vous-mêmes, alors il n'y a plus rien à faire".
Zineb, pourtant née en France, avait rétorqué :
"Mais Madame, on n'est pas comme eux.
- Et vous êtes comme qui ?
- Bah on est des Arabes..."
Naja aimait la France malgré tout. Elle répétait : "L'Algérie et la France sont des soeurs empêchées. Elles n'ont pas réussi à vivre ensemble, mais n'ont jamais su vivre l'une sans l'autre." Nour ressentait de la colère à l'égard du pays qui lui avait pris son grand-père, avait épuisé son père et laissé sa famile croupir dans une banlieue sordide. Sa mère lui répondait toujours : "Rentre en Algérie si tu veux", elle savait très bien que Nour ignorait tout de son pays d'origine, même la langue.
Nour vivait dans la rancoeur.
Dépensait son argent dans l'oubli.
Ces hommes et ces femmes ne réclamaient pas l'indépendance, ils demandaient les mêmes droits que les autres. (..) La manifestation avait dégénéré après qu'un scout musulman avait brandi un drapeau algérien, formellement interdit par les autorités. Il y eut des coups de feu et des actes de barbarie de part et d'autre, qui entraînèrent de nouvelles vengeances et de nouveaux bains de sang dans les semaines qui suivirent.
Naja n'était que pudeur et retenue. Son éducation l'avait conduite à réprimer la part expressive de sa personnalité, au profit d'un masque lisse et opaque. Les Algériens avaient été des citoyens de second rang dans leur propre pays, elle savait s'effacer, elle avait appris en regardant sa mère.
Rompre avec ses parents, rompre avec la soumission et la résignation. Découvrir qui elle pouvait être, sans ce passé trop lourd à porter.
C'était le lot des femmes de sa génération : prendre des coups, mais rester debout.