Citations de Lilia Hassaine (505)
George n’a pas besoin de bien voir les tableaux, ni les femmes, pour saisir leur allure. Il ressent des vibrations, des ondes qui lui permettent de retracer les contours d’une toile ou d’un visage.
Il parcourt le salon, le nez en l’air, son assistante à son bras ; cette exposition ne lui inspire rien qui vaille.
Vos photos des paons sont sans doute les plus réussies, parce qu’on sent que vous avez aimé les photographier. Mais la photo de la boutique de bonbons… on ne ressent rien. Aucune émotion, rien.
— Je fais de la photo, pas de la télé. Et d’ailleurs, pourquoi s’abandonner ?
Ils sont l’art. Cet art qui marche, qui parle, et qui, en contrepoint, ne rend les peintures murales que plus vivantes. Dans quelques heures, ce couple d’amateurs d’art ira se coucher dans son grand appartement lustré. L’homme déshabillera sa femme. La fera rouler sur le lit d’une main. Lui claquera la fesse droite, comme on dresse un cheval. Et entrera en piste, sans même prendre la peine de retirer son pantalon et ses chaussures. Sans se soucier des pleurs étouffés dans l’oreiller. Parce qu’il y a quelques heures, ils étaient invités à un vernissage, avec des petits fours qu’ils attrapaient du bout des doigts, des bonnes manières, et ce petit air précieux et délicat qui cache à merveille les cris non autorisés des épouses profanées.
Car avec l’art, il faut prendre son temps. Il faut picorer des graines, tout en hochant la tête devant chaque œuvre, comme si on y comprenait quelque chose. Il faut avancer en crabe, ne pas virevolter, ne pas trop s’approcher et, surtout, ne rien toucher. De temps à autre, on peut chuchoter. Des choses. Et d’autres. Employer des mots, comme on emploie un voiturier.
Héra sortait sans cesse, pour recommencer, et recommencer. S’améliorer, encore et encore… sans parvenir, jamais, à en tirer une quelconque fierté. Elle enrageait de sa médiocrité, de son absence de talent. Ses photos précédentes, elle les aimait comme on aime un souvenir, avec tendresse et nostalgie. Avec cette série, pour la première fois, elle expérimentait la violence de l’art. Pour la première fois, elle s’était donnée tout entière. Elle y avait mis sa colère, ses hésitations et ses contre-jours. Plus important encore, elle y avait gravé son regard sur le monde.
Je n’ai pas toujours été très présente pour Hugo, mais je crois que lui et moi on se comprenait. Peut-être souffrait-on, tous deux, du même mal. Nous vivions dans la même nostalgie d’un passé enchanté. La même nostalgie d’une île.
Un couple n’est pas une équation, il est déséquilibre, injustice et taches de sang dans les draps. Il est ce collier qu’on déteste mais dont on vérifie qu’il est toujours dans son écrin. Quel orgueil… d’avoir cru que toi, tu pourrais… briser un silence ?
Les destins exceptionnels sont souvent guidés par une main chanceuse, non ? Et que dire de ceux qui lisent précisément l’avenir dans les lignes de la main ?
À l’euphorie succède la mélancolie, chez les caractères tourmentés. Il suffit d’un rien, d’un mot, d’une intuition, ou d’un imperceptible changement d’environnement, pour que ce genre d’individu se trouve perturbé, rongé par une angoisse indéterminée. Dans ces moments-là, quelque chose l’agace, mais il ne saurait dire quoi. Sa nervosité est telle qu’il serait capable de violence gratuite, mais en l’absence de bouc émissaire, la violence se retourne presque toujours contre lui-même.
Ces lieux faisaient partie de son paysage mental, et elle y plaçait les scènes d’action de ses romans préférés. Juliette attendait Roméo en haut du pigeonnier ; Mathilde de La Mole baisait le front de Julien Sorel avant d’enterrer sa tête dans l’une des grottes sauvages de l’île ; et les poules d’Adonis étaient nourries chaque matin par la Petite Fadette.
Mais depuis son arrivée à Paris, lire lui était devenu difficile. C’était comme si les personnages de ses histoires préférées étaient restés là-bas, à attendre qu’elle revienne. Et puis lire était trop associé à Agathe…
"Ça stimule son imagination, ça le fait réfléchir " , se justifiait Agathe, « parce que les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. »
Mais ce qu’il préférait, c’est quand elle lui inventait des histoires. Plus c’était insensé, plus il riait. Elle avait imaginé un monde où les hommes dormaient avec les poules – confortables oreillers – et cherchaient les œufs dans leurs draps au matin ; un monde où l’on rencontrait des « aiguilleurs du ciel » des oiseaux, capables de reconnaître chaque espèce, et d’orchestrer leurs décollages et atterrissages selon le cycle du soleil ; un monde où l’ordre des heures et des jours pouvait s’inverser à tout moment.
L’intérêt de l’enfant, madame, c’est d’exister à vos yeux. Vous savez, ce sont des manipulateurs ces petites choses-là. Voyez comme ils aiment se battre, se pousser, ou exclure un camarade d’un jeu comme ça, sans prévenir. Voyez comme ils pleurent pour ne pas aller se coucher, ou pour signifier leur mécontentement lorsque vous les obligez à avaler tel ou tel médicament. En me dérangeant dans mes activités aujourd’hui pour une histoire de « dessin », vous faites exactement ce qu’il attend de vous. Vous êtes sa petite marionnette.
Héra avait entamé sa mue, pour ne plus être celle qui subit les assauts du destin. Elle avait trouvé en elle l’orgueil, attribut d’une femme qui ne se laisserait plus broyer. Elle affûtait ses armes : son regard de photographe s’aiguisait de jour en jour.
" Tous les instruments sonnent faux au début. Et puis un jour, avec la pratique, on s’accorde. "
On s’habitue à tout. On arrive dans un pays étranger, auquel on pensait ne jamais pouvoir s’acclimater. Et finalement, un jour ou l’autre, on s’y fait. Et les bruits de la ville, ceux-là mêmes qui nous empêchaient de dormir, on ne les entend plus.
« Il faut que tout change, pour que rien ne change », écrivait Lampedusa. « Il faut que rien ne change, pour que rien ne change », rectifie Agathe.
La reine était la seule abeille, la seule, qui ne retournerait jamais son dard contre un être humain ou une autre abeille. L’unique condition pour qu’elle sorte les armes, lui avait dit son père, était qu’une autre reine s’introduise dans la ruche. Alors un combat terrible s’engageait… car dans ce monde hiérarchisé, aucune ouvrière ne se risquerait à un régicide. Les deux reines se faisaient face, encerclées par les spectatrices du duel, jusqu’à ce que l’une d’elles transperce l’autre avec son aiguillon. Le plus souvent, c’est l’abeille légitime qui l’emportait, sans doute parce que, se trouvant chez elle, elle se sentait en confiance.
J’envie les esclaves nés esclaves.
J’envie les animaux nés en captivité.
Car ceux qui n’ont connu que les chaînes
Ne songeront jamais à la liberté.
...donner envie d’apprendre à un enfant, maintenir l’éveil, le désir, et le jeu, répondre à chaque question avec patience, partager son amour des livres, susciter de nouvelles curiosités pour les plantes ou le Système solaire, ouvrir des fenêtres dans les esprits, afin qu’ils ne soient pas trop étriqués… Cet objectif est le plus ambitieux de tous : les maîtres d’école nous marquent toute une vie. Le plus dur, c’est encore de s’en montrer digne…