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Critiques de Lionel-Edouard Martin (46)
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Mousseline et ses doubles

« Vers midi partout cette odeur de bougeoir, on mangeait de la lumière » : et voilà, je suis partie dans le roman. Immédiatement, j’ai envie de me plonger dans la lecture de Mousseline et ses doubles. Je sais que j’aime déjà les mots – pas l’histoire, non, les mots du roman. L’écriture de Lionel-Édouard Martin, je la reçois comme une force, de plein fouet. Quelque chose qui est de l’ordre du rythme, du son. C’est beau, les mots s’enroulent, se nouent se dénouent, s’agrippent, se tordent, se déchirent, happent, montent, descendent, crescendo, decrescendo, se cristallisent, s’immobilisent, s’enracinent puis reprennent leur route, leur course, parlent, se taisent, s’écoutent même dans le silence.



« Tu n’as pas bien dormi, le silence est un silence que tu ne connais pas. Les silences ne sont pas tous les mêmes: c’est un silence, ici, de voitures et de machines, de foules, jamais complet, tandis que chez toi, c’est un silence de bête. » Il y a, chez l’auteur, une appréhension subtile des théories, des sensations, de la génération qui l’a précédé, et j’ai envie de dire que j’ai abordé la méthode de l’écrivain (et je prends le risque d’être dans l’erreur du monde du lecteur) comme celle des peintres ou des musiciens pour faire le portrait (multiple) de Mousseline (Mousseline, Marielle, Marie).



Des portraits de mots ?



Des portraits de femmes ?



Le portrait d’une femme comme l’auteur sait si bien le faire (je pense aussi à La Vieille aux buissons de roses, à Anaïs ou les gravières). Des noms inventés, des êtres de fiction ? Mousseline offre généreusement au portraitiste sa personne bien incarnée pour l’aider à mettre en pleine lumière l’indéchiffrable continent des femmes qui n’a pas fini de mettre en émoi le continent des hommes. Toutes forment cette chaîne d’êtres singuliers qui ont mis en situation un homme, un écrivain parmi les femmes, la femme.



Je détourne volontiers la citation de Simone de Beauvoir, « On ne naît pas homme, on le devient… » Par quel chemin, par quelles voies semées d’amour, de rêveries, d’embûches, un homme est-il devenu homme, un homme est-il devenu écrivain ? – Et cet homme-écrivain, et cet écrivain-homme c’est Michel, Michel et son double.



*



Une histoire triste, des obstacles à franchir par l’enfant promis à sa carrière d’homme. La profondeur, la musique, le corps viscéral, la belle singularité de l’écriture de Lionel-Édouard Martin, m’entraînent toujours vers cette magie de la lecture, une lecture de transport, à cette capacité étrange que possèdent certains livres de nous faire voyager sur une barque et suivre une rivière ou une machine à explorer le temps. Un autre espace et un autre temps, dans un autre paysage, dans une autre langue. Je pense ici à cette citation de Proust : « En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L’ouvrage d’un écrivain n’est qu’une espèce d’instrument optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que sans le livre il n’eût peut-être pas vu en soi-même. » Les cinq sens sont stimulés tour à tour selon les chapitres qui nous font vivre l’expérience, les désirs (conscients ou inconscients) du corps. Le livre s’offre au lecteur dans une juste et touchante dimension sensible.



Mousseline est une écorce, Michel un arbre. Le lecteur ramène la vie sous l’écorce. La lecture en est la sève. Mousseline n’est pas double, elle est multiple ! Trois M, Marielle, Mousseline, Marie Une trinité : Marie, Joseph, Michel.



Il n’y a donc pas besoin d’être savant pour lire, il faut sentir les mots quand ils vous appellent, vous emportent : c’est cela, la lecture d’un beau livre.



Sincèrement, je pense que Mousseline, à travers le contact et la pulsation des phrases de « Michel », découvre ou retrouve charnellement quelque chose de lui, et plus précisément de son expérience du monde.



Ma petite touche, ma petite note (atonale) : j’ai eu le sentiment que Mousseline et ses doubles était un roman écrit pour les femmes.



Anne Bolenne
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La vieille au buisson de roses

La vieille au buisson de roses de Lionel-Edouard Martin est une musique qui s’écrit en langue et se raisonne elle-même : sans arrêt et jusqu’à l’épuisement du sens saturé, débordant, fulgurant.

C’est pour moi, son plus grand texte en prose.



Lu à sa sortie, ( plusieurs fois), plongée dans la pureté de l’écriture, j’ai commencé à souligner les mots avec frénésie. Il arrive que les premières pages, voire les premières lignes, les premiers mots d'un roman vous sortent étrangement, soudainement de votre léthargie, vous bousculent, vous brûlent le corps, mettent votre pensée en effervescence. Si vous avez un crayon à la main, celui-ci dès lors va se déchaîner sur les pages...

Mon exemplaire de « La vieille » en porte les stigmates.

La veille au buisson de roses fait partie de ces romans dont la séduction fut immédiate, comme motivée à partir de vies vécues, d’expériences intérieures, du rapport aux autres.

Cette bouleversante trinité : La vieille, perdue, limpide et déchirante, « dans le noir à la messe, avec pas grand monde", " Monsieur de Cruid, marquis de", et "Diurc", le chien.



Mon crayon a ressenti ces secousses intérieures en dessinant "Diurc", en imaginant "Diurc" , dans la mesure où il est devenu un être de parole en saisissant pleinement la douleur, la recueillant dans les mots.

Marqueur impitoyable de mes sensations dont la lisibilité totale et directe peuvent se trouver dans la vie des gens de solitude.



"La vieille s’arrête parfois pour humer quelque chose : le chien, qui la précède, s’en rend compte, fait demi-tour, lui octroie sa présence, se frotte à ses jambes. Ils sont là, tous deux, comme une espèce de double vie bancroche dans l’humidité. Crus, tous deux, dans cette bouche végétale, mais la manducation ne touche que le sommet des arbres : plus bas, contre terre, ça suce, laisse fondre. La vieille et Diurc – deux bonbons dans cette bouche – à moins qu’hosties ? La vieille se voit déglutie par le sol, avec le chien, dans une grande mêlerie de leurs viandes ; pourtant : rien, ça procède, promenade mouillée, dure, sous les frondaisons, comme, à pas maigres, on va noyer des chatons dans une mare. Mais la vieille n’a pas de chat dans ses poches : juste, comme bête, Diurc qui court devant elle et revient la flairer, elle-même chemin, route, pour l’animal, avec des pissements à chacune des stations. Et le chemin fut long. C’est qu’on n’avait aucune perspective, que la vue était de tous côtés bornée par les taillis, qu’on ne voyait pas le ciel – des branches en voûtes, comme des mains fermées –, qu’on ne savait où l’on allait. Sans doute, aussi, le domaine était-il vaste, et devait s’étendre au loin sur des kilomètres : et avait-on pris seulement le bon itinéraire, celui qui menait tout bonnement au château ? Car château, bien sûr, il y avait, perdu dans ces bois, forcément un château posé dans ces bois, avec un noble, un duc, un baron, marquis ou comte – on s’y perdait –, pris dans les murs calcaires de la bâtisse comme l’huître ou la moule dans sa coquille, l’huître plutôt, supposément perlière ; et ça donne, cette tumeur de nacre, un léger défaut de prononciation, fait un tantinet zozoter le monsieur : car comment penser qu’il parle le langage ordinaire, qu’il n’a pas, dans sa bouche, le petit quelque chose qui le distingue d’autrui, du vulgaire qui vit dans la maison banale, et parle comme on parle ? Pas que le sang, bleu supposément, qui fait saigner une espèce de rupture parmi les autres hommes au sang rouge comme celui des bêtes, la volaille en premier : mais aussi la langue, qui doit être bleue comme est noir le gosier des chiens de race ; et la langue bleue, ce n’est pas une couleur, mais une manière de parler, comme moi je cause avec mes cheu cheu, mes yeu yeu."



Le livre vous déplace du lieu où vous êtes assis, vous souffle une bouffée de vertige, mais la lucidité revient tout de suite avec la musique et vous pouvez suivre la dissolution de votre opacité - dans les sons, le dénouement de votre sexualité, de vos sens, de votre corps, de votre chair, aveugles , organiques, meurtriers - dans un geste délié, coulant, lancé des corps à la langue.



Il faut donc lire, entendre, plonger dans la langue de Lionel-Edouard Martin, retrouver sa musique, ses gestes, sa danse, faire danser son temps, de l’histoire dans la réalité du vécu des petites gens, de leur quotidien simple, rempli le plus souvent de l’énergie de leurs silences.

Il y a quelque chose d’une plongée sous-marine dans le ventre de la Vieille , une violence spasmée mais indicible et sauvage.



Quel beau texte !



J’ai "musiqué" le roman comme on lit une partition de mots, inventive et intuitive, une oeuvre exigeante qui frappe par sa langue, ses rythmes, recherchant à chaque note, un absolu de dire.

Ce sont des mots qu’il faut vivre, lire et relire encore ; relire les personnages, les paysages, les arbres, les chemins, l'air, les saisons, la pierre, les buissons d'épines mêmes où les phrases se nouent, s’élèvent, se relèvent (comme La Vieille) et s’arrêtent.

Livre très émouvant, écrit dans une langue magnifique, dont on savoure avec bonheur les phrases comme le parfum des roses.



"La vieille" est une conquête du sens pulsé par la vie d’êtres presque minuscules, l’art brut de l’amour. Le chant espéré d’un ange...

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Nativité cinquante et quelques

Lionel-Edouard Martin aux initiales prédestinées .

J'ai découvert un écrivain à l'écriture lumineuse ce qui , pour un conte de fin d'année , peut s'avérer franchement pratique .



Récit de terroir par excellence , ce court roman se dévore comme un repas de réveillon et vous file une gueule de bois pas possible la dernière page avalée . Si je devais qualifier ce roman , je l'opposerais sans hésiter à celui du King , La Ligne Verte pour son personnage de John Coffey , croisé avec le sombre univers contemplatif d'un Comès qu'était jamais le dernier pour la déconnade...



Cinq personnages , cinq destins dissemblables amenés à se croiser , se percuter pour finalement vous terrasser .

Cinq atomes d'un même univers , celui de la souffrance brute .



Mait' Louis est un vieux rebouteux fatigué . Connu et reconnu pour la qualité de ses interventions , ces dernières l'on fait vieillir précocement au point de vouloir lâcher le métier au grand dam de sa clientèle .

Mauvaise nouvelle pour Jean Dieu , le boulanger du village , perclus de douleurs qui l'empêchent désormais d'effectuer ses tournées hebdomadaires .

Puis l'on découvre La Vache , vieille femme pachydermique vivant en ermite avec un jeune couple à la parenté toute relative bien plus connus sous les hasardeux sobriquets de Mon Filleul et Ma Filleule . Un trio détonnant tirant régulièrement le diable par la queue , le pauvre . Et comme si ça ne suffisait pas , la soudaine fragilité du nourrisson combinée au pernicieux déclin physique de la matriarche ne sont pas fait pour les rassurer , ne jamais titiller le malin...



Un récit choral magistral . Martin happe son lectorat dès les premiers mots et distille une petite musique entêtante que l'on pressent très rapidement funeste .

Des phrases et des chapitres courts , percutants . Un monde tourmenté empreint d'une très grande poésie . Lionel-Edouard Martin est un conteur fantastique et un jongleur hors pair . Son matériau , vos émotions . De l'éclatante beauté d'un monde rural sur le déclin aux destins tourmentés de ses protagonistes , l'éventail des sentiments est large et déplié dans son intégralité .

Martin se fend d'un conte macabre maîtrisé de la première à l'ultime tirade , sous vos applaudissements .



Tim Burton a trouvé son alter égo littéraire , chapeau bas !
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Nativité cinquante et quelques

Fils de vieux, enfant malingre, Louis Désiré Dieudonné Maître est pourtant né avec le don, le don de soigner de ses mains, du bout de ses doigts. Devenu Maît'Louis, le rebouteux, il a passé sa vie à prendre sur lui les maux des autres et à la cinquantaine son corps ne répond plus. Vieilli avant l'âge, noué par la douleur, Maît'Louis vit retiré dans sa bergerie, près du hameau de Villemort. Mais il est encore sollicité par ses contemporains qui acceptent mal sa retraite. Jean Dieu, par exemple, le boulanger contraint d'arrêter de faire le pain, cloué au lit par une sciatique. Maît'Louis ne peut pas laisser la région s'affamer faute de pain alors il soigne celui qu'on appelle simplement Boulanger. Et toutes les douleurs du boulanger s'envolent pour venir se nicher dans les genoux et le dos du rebouteux qui ne marche plus qu'avec peine. Pour se faire pardonner, pour rendre un peu, Jean Dieu aide le vieillard à enluminer le marronnier de la cour. Une lubie du rebouteux qui veut éclairer le chemin de ceux qui viendront lui rendre visite. Qui, il ne sait pas. Mais ils viendront, c'est certain. Un phare dans la nuit, une étoile du berger pour alléger la route de ceux qui vont braver le froid et la neige à quelques jours de la Noël dans cette campagne désolée, désertifiée. Et trouant la nuit de ses gros phares, se frayant un chemin dans la neige qui tombe dru, avance une Ariane gris étoile. A son bord, la Vache, le Mon filleul, la Ma filleule et leur bout de zan brûlant de fièvre, une famille atypique nouée par la peur de perdre le petit.





La France profonde des années 50, celle des campagnes, des petits villages où tout le monde se connait et aime à cancaner, celle où l'on croit en la terre, en Dieu et en Maît'Louis, le rebouteux. Voilà tout ce qu'évoque Louis-Edouard MARTIN dans une langue poétique, gourmande, proche de l'oralité où se mêlent les odeurs du bon pain, les saveurs du boudin, les bruits de la neige qui craque. Roman du terroir mâtiné de conte de Noël, sa Nativité cinquante et quelques parle, avec simplicité mais profondeur aussi, d'un temps révolu, d'une époque rude, d'une campagne rugueuse mais aussi d'êtres attachants, tenaces, humains, qui ne se résignent jamais. Une écriture lumineuse, ciselée pour une histoire où humour et macabre se marient pour donner le meilleur. A découvrir absolument !
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La vieille au buisson de roses

Écrivain assez incompréhensiblement confidentiel, Lionel-Édouard Martin possède pourtant à son actif, avec "La vieille au buisson de roses" près de vingt ouvrages. L'ensemble de son œuvre, qui s'inscrit aussi bien dans le registre de la poésie que du roman ou du récit, possède une impressionnante cohérence interne, mêlant des interrogations universelles sur l'humain,les éléments naturels, la place occupée par le langage (pierre angulaire de tous ses ouvrages)et la manière qu'il a de façonner les individus (et vice-versa) dans le cadre d'une parole ciselée, riche et musicale, véritable outil de construction de sa mythologie personnelle, empreinte d'influences littéraires solides (antiques, bibliques mais aussi contemporaines)et d'éléments autobiographiques qui ont modelé l'écrivain de talent qu'il est devenu... "La Vieille au buisson de roses" est peut-être aujourd'hui le texte qui réunit le plus fortement toutes les problématiques de son travail d'écrivain à travers une écriture magnifique et des personnages qui en portent toute la générosité. Un chef d'œuvre.

A voir sur le site de l'éditeur, des extraits et des liens qui renvoient sur les articles parus sur l'ouvrage et sur une interview de l'auteur, véritable leçon de littérature : http://www.vampireactif.com/category/les-seditions/
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La vieille au buisson de roses

Un texte en forme de partition musicale, une symphonie de mots, une écriture magistrale qui mérite d'être portée à la connaissance du plus grand nombre, tant la lecture de ce extraordinaire ouvrage émeut avec la force qu'on ne rencontre que chez les plus grands.



4è de couverture :

"Dans un monde où le temps semble s’être mis au ralenti, une vieille originale, un chien parleur et un marquis extravagant se trouvent, par un curieux hasard, assemblés en une folle trinité. Trois solitudes qui, sans le savoir, se cousent les unes aux autres par l’entremise des langues qui les traversent, les pétrissent et les sacralisent malgré elles et qui empruntent des voies/voix surprenantes dans une recherche de l’autre à l’issue tout à fait inattendue… Au carrefour de plusieurs genres, La Vieille au buisson de roses orchestre la douloureuse quête existentielle de ses personnages, tout en articulant un jeu de piste littéraire jubilatoire où le lecteur, à l’aide d’un langage généreux, est mis en portée dans une musique, une pulsation du verbe lui permettant de savourer cette idée que « la littérature se fait dans la bouche », pour reprendre une formule chère à l’auteur ; littérature qui, dans ce texte, se mue en une invitation au voyage dans l’insolite champ/chant des mots/maux. La Vieille au buisson de roses ouvre une porte d’accès à l’œuvre et à l’univers d’un écrivain qui, dans chacune de ses publications, confirme sa singularité"
Lien : http://www.vampireactif.com/..
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Jours d'été dans le Sud-Ouest

Gilles le beau-père du narrateur vient de mourir à 84 ans. Il vivait dans la banlieue de la Palud dans le Sud-ouest et c’est là qu’en plein été, vont se retrouver, un peu désemparés, le narrateur, sa femme et leur fille Justine afin de régler obsèques et succession.

Le portrait de Bordenave, l’agent immobilier qui vient expertiser la maison alors qu’ils sont juste levés, est absolument inoubliable :

"C’est vibrant de la narine, comme il parle, cet homme, à croire qu’il n’ouvre pas la bouche ; du reste, à l’observer : quel usage a-t-il l’animal, de ses lèvres, fines comme un trait de rasoir, sans pulpe, comme s’il parlait exclusivement du nez et qu’il eût perdu l’usage de ses babines, la fonction créant ou maintenant, comme on sait, l’organe ? On dirait un sourire de chien, sa bouche, quand il s’exprime, un sourire à la fois canin et professionnel....p 14



La mort elle-même devient cocasse sous cette plume alerte et incisive. Pas de mort sans un regain de vie chez ceux qui restent et se sustentent avec de bons plats reconstituants au cours de promenades un brin nostalgiques dans la région, sur les pas de Francis Jammes :

«Nous buvons du jurançon, qui larmoie le long de la bouteille. Dans le jardin où nous sommes installés, passe à pas tranquille, parfois, de la volaille : poules naines, pintades aux fientes d’émail somptueuses. On nous sert un manger riche, terrine de cochon, côte du même, épaisse, en cocotte, avec piments ; et des gambas à la crème, et de la blanquette ; des rognons au madère.»



Mais «...peut-être aller vers un mort signifie-t-il redonner du sens à tout ce que l’on touche, voit, respire, à tout ce qu’on entend.» p 128

Gravité («Nous arrosons gravement à l’arrosoir chaque arbre au pied, chaque massif, comme Gilles faisait, épousant ses anciennes postures.») et humour se succèdent jusqu’à la phrase finale aboutissement de tout le contenu du récit : «Je crois que j’aimerais voir passer, furtivement, dans l’espace clos de l’ancien bureau sombre, un de ces longs chats, très lents, dont le dos requiert une caressante main d’homme pour se voûter en pont --- reliant, entre deux rives, les vivants et les morts.»



Avec Lionel-Edouard Martin la langue française se fait goûteuse, relevée, pleine de richesse, de verve et d’ironie mais aussi empreinte d’une poésie mélancolique qui laisse une grande douceur sur les papilles. C’est le troisième récit de cet auteur que je lis et je pense que je n’ai pas fini de poursuivre ma découverte car le plaisir de lecture est à chaque fois renouvelé grâce à son don de métamorphoser le quotidien le plus banal.

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Mousseline et ses doubles

Enchantée par « Nativité cinquante et quelques », je me réjouissais d'avance à l'idée de cette Mousseline, arachnéenne supposais-je, toute en légèreté et en douceur. Erreur ! Mousseline n'a de futile que le nom, même pas le sien d'ailleurs puisqu'elle le doit à sa nourrice la mère Mousselin réquisitionnée de force par la sage-femme..



Il faut dire que sa propre mère, Lisa, celle qui faisait jaser au village, est morte lors de la naissance des jumeaux, Pierre et Marielle, Mousselin – Mousseline donc.



Et la vie de ces deux-là va se nouer en deux rameaux qui s’enroulent l'un à l'autre, s'écartent un peu, pas longtemps, pas loin, l'amour est au fond de yeux et du cœur mais on ne le dit pas. Un monde de taiseux, celui du village poitevin un temps transposé à la capitale. Et c'est là que tout commence pour Mousseline. Juste venue voir son neveu, le petit Michel, copie conforme dit-on de sa grand-mère Lisa, elle tombe raide amoureuse d'un Joseph menuisier, cultivé, tendre, fou d'elle. Marie-Joseph ! Il ne manque que Jésus pour qu'on se retrouve dans Nativité.



Mais la vie parisienne sera cruelle à Marie et la mort la laissera exsangue, amputée, ne vivant plus que pour son Michel que lui ont laissé Pierre et sa femme avant de partir pour le Maroc. Cherchant à retrouver son amour dans une statuette sculptée par Joseph et dans son neveu Michel : deux totems, dit-elle !



Sur fond historique des années 50-60, fin de la seconde guerre mondiale, sale guerre d'Algérie, séisme d'Agadir, chansonnettes de Mistinguett ou de Clavaux, nous vivons la relation d'amour tendre et lucide qui unit Mousseline et son neveu. Devenu écrivain, sculpteur de mots, il raconte la vie d'une Mousseline sur laquelle la vraie veut garder un droit de regard. Tendres disputes, vrais reproches, vrais – faux souvenirs, les deux personnages racontent l'histoire à tour de rôle en une conversation vivante, du « tu » au « je » pour tenter de restituer le ressenti de chacun.



Et nous les écoutons, attendris, émus, heureux, indignés aussi par l'injustice du destin. Le parler de Lionel-Édouard Martin sonne juste, entre langue charnue du village et argot parisien plus ou moins maîtrisé par Pierre, entre poésie flirtant avec le fantastique et descriptions quasi sociologiques, l'intérêt ne se dément pas.



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Nativité cinquante et quelques

Il est né le divin enfant, Jouez hautbois, résonnez musettes ! Il est né le divin enfant, Chantons tous son avènement !

La nativité que nous propose Lionel-Édouard Martin est tout à fait singulière.

Dans le rôle du p'tit Jésus, nous avons un nourrisson brûlant de fièvre. Dans celui de Marie et Joseph: Mon Filleul et Ma Filleule, deux babaches qui ne savent pas s'occuper du nouveau-né. Le rôle du boeuf est occupé par la tante, une grosse femme surnommée la Vache et l'âne n'est autre que le pauv' Maît' Louis. La triste troupe est guidée par Jean Dieu, le boulanger, qui tel l’étoile de Bethléem éclaire le chemin vers la crèche.

Cette distribution d'enfer qui fait grincer hautbois et musette , ravira tous ceux que Noël fait gerber.

O holy night the stars are brightly shining....
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Brueghel en mes domaines, petites proses su..

De ce livre, qui vous isole de votre environnement le temps de la lecture, vous ressortez comme aspergé d’une eau lustrale, avec des yeux neufs.



Lionel-Edourd Martin va creusant son sillon, fouaillant la terre pour extraire de la gangue dans laquelle ils sont enfouis des éclats lumineux. Il cherche les mots, va les puiser au fin fond de lui-même dans «un coeur obscur, pris dans une poitrine d’ombre»


Il se fait rassembleur de gerbes, redonne corps aux choses en «les prenant en bouche, les mouillant de ses sucs», les mâchant et les fécondant avant de nous les tendre magnifiés pour nous ramener à l’aube du monde.

Il nous fait retourner à l’origine, vivre une naissance à rebours.

Mais pour que le lecteur vibre à la lecture toute une genèse déroule ses étapes en son sein, entre vie et mort.

«Le silence, c’est peut-être cela : le retour à la mère lointaine, hors de portée, comme se clôt le mystique dans son amour du dieu. Le retour muet, sans rien qui parle, l’ascèse. Celle qui génère ces mots muets sur ma page -- où quand même, entre deux raclements de nicotine et de goudron, j’entends bien que ça fredonne, comme une partition menée à terme, pas encore exécutée.»



Il féconde, relie, lance des ponts au travers du vivant dans une alchimie mystérieuse qui fait s’agglutiner des mots rares mais précisément adaptés à l’image qu’il fait naître dont il ne sait rien avant qu’elle apparaisse au jour.



«Travail du bourdon : prélever sa provende dans les fleurs de l’althaea. La besogne s’accomplit dans un minuscule ronflement d’orgue. Je prête l’oreille à cette musique végétale, humide encore d’ondée nocturne.»



«... elle naît de l’oeil, la poésie, de l’oeil qui lie, javelle, fagotte.



L’oeil, l’oreille, tous les sens aux aguets pour notre enchantement.
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La vieille au buisson de roses

J’ai fait une première lecture de ce livre puis une seconde pour le plaisir des mots, pour en apprécier le fumet et la saveur.

D’abord, il y a la vieille et puis il y a le chien, Diurc. Ainsi est-il nommé par la vieille. La vieille elle, n’a pas de nom. Diurc c’est Duc. 
«La vieille a de la peine à dire certains mots. On ne sait d’où lui vient qu’elle prononce gamion camion et diurc duc. Elle déforme, gauchit la parole ; le patois local sans doute y est pour quelque chose, qui insuffle au français des sonorités nouvelles, l’empreint de son argile»



Diurc est un bâtard «d’une vaste laideur de chien déformé par les aléas de son existence» qui erre dans les rues de la ville haute où habite la vieille et se précipite dans ses jambes dès qu’elle sort. La nuit de Noël, elle a pitié et le laisse l’accompagner et s’installer chez elle.



Puis apparaît le troisième larron Olivier marquis de Cruid, qui vit retiré dans son domaine ne sortant que pour des courses au supermarché et l’achat de quelques livres de linguistique car Monsieur de Cruid s’intéresse «à la métaphysique du langage et veut savoir d’où vient que les hommes parlent». Les chiens aussi parlent, du moins Diurc.



Et ces trois-là, vont se trouver réunis par une lettre de la vieille au marquis dont elle prétend avoir accueilli Duc, son chien perdu. Ils vont aller à la rencontre les uns des autres mais leur lien c’est avant tout la langue, la manducation de la langue, la langue qui n’est pas étrangère au corps mais au contraire y est intimement mêlée, la langue qui est cri, rythme, la langue qui est en train de se perdre, de perdre en richesse.



Il y a des scènes inoubliables férocement drôles, comme la messe de minuit, violentes ou d’autres pleine de poésie comme la scène où le rosier pleure ses pétales sur la vieille en train de plumer le poulet qu’elle vient de tuer. Poésie mais avec une part inquiétante. Cette rose vivante apparaît comme menaçante «on aurait peine à voir ce qui, dans les soubresauts de la fleur, la travaille en trèfonds, comme elle engoule l’air doux, le lèche, le suce, et tellement le reçoit qu’elle tremble jusqu’aux moelles : et c’est, végétale, cette matière qui prend du pied jusqu’à la cime, s’ébroue comme une chienne au sortir de l’eau, libère sa sève.»



Au final ce conte, cruel parfois, est un grand déploiement de langue, une orgie de mots et de vie que je n’oublierai pas.



Encore un grand merci à Moustafette et la ruelle bleue pour m'avoir donné envie de découvrir ce livre et cet auteur.
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La vieille au buisson de roses

« Qu'est-ce que ce désir de vieille et de chien ? Cela a-t-il du sens ? » On peut effectivement se poser la question et au coeur de cette question (celle du sens, de la vieille et du chien), ce livre signé Lionel-Édouard Martin, La vieille au buisson de roses, troisième titré des éditions du Vampire Actif, tout à fait hypnotique, tout à fait singulier.

Je n'avais jamais lu Lionel-Édouard Martin, La vieille est mon premier. C'est un récit aux frontières, frontières des genres d'abord, on commence un point A, pour dévier lentement, presque imperceptiblement, vers un point B ailleurs, le texte en avançant aura fait déplacer la trame. Chaque partie (il y en a trois en tout) possède sa propre identité, les lignes se croisent. Aux frontières des langues, ensuite, de cet accent qui chuinte, de ce latin qui pue, de ces prononciations, de ces rythmes, qui trahissent l'identité de qui parle. Aux frontières du temps, enfin, récit ancré dans un passé figé, le lieu la campagne, l'époque cet « antan » dont on parle parfois, celui enfoui « en longue plongée dans mon enfance », comme l'explique le narrateur très discret de ce texte, en tout début du livre.



Venez voir comme on a aimé "la vieille" sur Culturopoing !
Lien : http://www.culturopoing.com/..
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Icare au labyrinthe

En voiture !

Voyage en compagnie de Liolio (l’auteur ?), et de Palombine, sa copilote imaginaire.

Départ pour l’Auvergne, retour à Paris, puis on repart pour la Touraine.

Promenades nostalgiques au cœur des souvenirs de Lionel.

Conversations piquantes avec Palombine.

Dans ce récit, on découvre des lieux, des senteurs, des plaisirs gustatifs, mais aussi des auteurs, des artistes….. tout cela enrobé de beaucoup d’humour, de poésie, d'amour des mots et d’une pointe de nostalgie.

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Le tremblement : Haiti 12 janvier 2010

Dans le chœur du chaos





« C’est cela, cela seul, le travail de l’écrivain : creuser sa terre, désenfouir le fragment, reconstituer les formes et la mémoire, et taire le fracas du monde. Béla Bartók, mieux que le bruit. » (L’Homme hermétique, L.-E. Martin, Arléa, 2007, p.81)



« Tout homme est bâti sur un gouffre : Padirac en son ventre et l’architecture calcaire de son squelette ; c’est en cela qu’il parle, sa pierre héberge une parole de rivière, aveugle dans l’argile, un chant d’aède sous terre.» (Dire Migrateur, L.-E. Martin, Tarabuste, 2008, p. 41)



Poète, écrivain mais aussi professeur d’université en Martinique, Lionel-Édouard Martin est régulièrement missionné en Haïti depuis plus de 10 ans pour y développer des programmes de coopération. La force, le fourmillement vital inextinguible du pays, la ténacité et la dignité de la population malgré les effroyables tragédies qui s’abattent sur elle avec un acharnement répété, ont nourri son inspiration et marqué de manière persistante son écriture – tel un leitmotiv dans une partition musicale – atteignant souvent le nerf de son phrasé, déchaînant toujours des images d’une beauté sidérante dans son œuvre poétique et narrative.

Qu’il s’agisse de textes comme Ulysse au seuil des îles (2004), Arrimages (2005), Vu en Haïti (2006), Corps de pierre (2007), Dire Migrateur (2008), Miroirs des Jardins tropicaux (2008), lorsque surgit Haïti, le pays apparaît soit comme l’univers de l’énonciation où se façonnent les mots soit comme une réminiscence, un écho à ce qui est vu et vécu si l’écriture se fabrique d’un autre endroit. Haïti, comme une voix à l’ombilic, impressionne la pupille, « (…) prend le regard pour ne plus le quitter », comme il l’écrit dans Vers la Muette (p.132), son dernier roman sorti en mars, en même temps que Le Tremblement, et dont l’histoire se déroule en grande partie dans le Port-au-Prince d’avant le cataclysme. Mais un roman dans lequel on sent sourdre la colère tapie de la terre et l’imprégnation intense que produit la rencontre avec l’île.

Entre l’élaboration de ces deux livres publiés simultanément, un homme a pourtant dû se reconstruire.... la suite en suivant le lien....
Lien : http://vampirereactif.canalb..
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Tout était devenu trop blanc

Grand merci aux Editions le Réalgar pour l'envoi du roman "Tout était devenu trop blanc" de Lionel-Édouard Martin.

C'est un roman à facettes dont l'intérêt ne réside pas d'emblée dans le fond mais plutôt dans la forme avec le "parlé" cocasse-terroir de Marceline et le "phrasé"magnétophone-décalé du narrateur.

C'est le passé de la passée, "la vache n'y retrouverait pas son veau" et notre syntaxe haut perchée en prend plein les mirettes :

Cette forme âpre, rurale, c'est un monde qui s'éteint avec une voix qui n'éxiste déjà plus, une voix qui raconte une mutation historique pile au démarrage de l'industrialisation, sur les terres des du Puy du Pin de la Chambue (le nom est déjà un roman, appropriation douteuse d'une noblesse pour une famille qui a commencé "au cul des vaches"). Chez ces PPC on trouve un Charles tout en rondeur, surnommé Pototame, tout est dit. Ce Charles, "nouant en couvre-chef les 4 coins de son mouchoir" est un peintre fauve-Douanier Rousseau qui sera retrouvé le ventre dévoré par des grolles, "ces oiseaux noirs", "charognards et compagnie" au moment où un "blanc lourd", plâtre et carrière envahit la campagne bientôt amnésique.

Avec empathie on suit Marceline qui déroule un discours teinté de patois Poitevin plein de bon sens et on regarde interrogateur le narrateur qui les attrape avec un filet à papillon constitué de phrases sans verbes, de participes présents vivants, de séquences de films qui se déroulent dans notre cerveau, dame, c'est bien le but, de garder en mémoire ces trésors-là !

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Nativité cinquante et quelques

Nous sommes dans les années cinquante peu de temps avant Noël, Jean Dieu le boulanger a de plus en plus de mal à faire sa tournée. Un beau jour sa sciatique a raison de son abnégation et il doit garder le lit.





Maître Louis (Maît'Louis) est rebouteux. Il a cessé d'exercer car son corps est perclus des douleurs qu'il a prises à ses patients. Pourtant comme le village va se retrouver sans pain il consent à soigner le boulanger. A bout de force il sent pourtant qu'il va avoir de la visite la veille de Noël et qu'il devra encore prodiguer ces soins.





Quatre personnes sont dans une voiture ( trois adultes et un enfant malade) ils cherchent le rebouteux car l'enfant a beaucoup de fièvre et ils craignent pour sa vie. Tels les rois mages de la Bible, les illuminations de Noël installées par le rebouteux sur l'arbre de son jardin vont les mener à lui.





Superbe conte de Noël à l'accent du terroir. Porté par un style inventif et poétique ce récit vous transporte. Une découverte!!!!
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Mousseline et ses doubles

Lionel-Édouard Martin est un poète et un romancier français né à Montmorillon (Poitou-Charente) en 1956. Après des études de lettres conclues par une agrégation de lettres modernes, sa carrière le mène à la diplomatie culturelle et à l’enseignement supérieur. Spécialiste de didactique du français langue étrangère, il a effectué de nombreux et longs séjours hors de France (Maroc, Allemagne, Caraïbes…), qui ont nourri son écriture. Auteur depuis 2004 de plus d’une vingtaine de textes, Mousseline et ses doubles, son neuvième roman, vient de paraître.

Michel, écrivain, rédige un roman basé sur l’histoire de sa famille dont l’héroïne est sa tante Mousseline, qui l’a élevé. Emouvante histoire familiale débutée en province, en plein terroir rural dans les années trente, laissant un père seul avec ses deux jumeaux Pierre et Mousseline après le décès de sa femme. Pierre deviendra soldat, marié et basé à Paris tandis que sa sœur restée avec le père, le seconde dans son entreprise. Quand naît Michel, au mitan des années cinquante, Mousseline « monte » à la capitale pour voir son neveu. La jeune femme va connaître les joies et les peines et sa vie va se trouver chamboulée quand elle découvrira le grand amour avec Joseph, puis les deuils la laissant seule - « et ma solitude, je voulais en faire quelque chose » - avec Michel dont elle se chargera de l’éducation.

Le roman n’est pas très long, sorte de mini-saga traversant des pans de l’histoire de notre pays brièvement évoquée mais créant des repères historiques comme la Seconde guerre mondiale ou la guerre d’Algérie. Evocation – en touches légères - de la ruralité de l’ancien siècle et du Paris des années cinquante et soixante où j’aurais pu croiser Mousseline…

Le bouquin est bien écrit, même si parfois – selon les situations - il l’est peut-être un peu trop quand l’auteur adopte une langue datée pour coller au plus près de ses personnages. Le style se fait alors ostensiblement appuyé, comme si l’on lisait un roman du début du vingtième siècle, ce qui n’est pas désagréable pour un lecteur de mon âge, mais… Ce qui saute aux yeux en tout cas, c’est que Lionel-Edouard Martin aime les mots et l’écriture, ici pas de gros mots, mais des jeux de mots à écho psychanalytique (mer/mère) et des mots rares de-ci, de-delà. Le ton alterne aussi, selon que nous sommes dans les années trente, à la campagne avec le père des jumeaux, ou bien avec Michel échangeant avec sa tante sur ce qu’il écrit, ce qui nous vaut une mise en abyme toujours plaisante, entre Michel l’écrivain de fiction et Martin l’écrivain tout court.

Et puis il y a cette Mousseline, au destin pas ordinaire et que la vie n’a pas épargnée mais qui toujours saura faire face, petite jeune femme semblant timorée et effacée dans sa province mais qui, une fois installée à Paris, sans cesse réussira à conduire sa barque, contre vents et marées. Tous les acteurs de cette tranche de vie sont des gens ordinaires et gentils (trop ?), ce qui déteint sur l’ensemble du roman et place le lecteur dans une sorte de confort douillet – une parenthèse heureuse dans la littérature moderne.

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Nativité cinquante et quelques

Nous sommes dans les années cinquante dans une campagne française à Villemort, aux confins de la Vienne pas loin de la Creuse, en plein hiver, un hiver avec son lot de neige. Après tout, n’est-ce pas normal puisque nous sommes bientôt à Noël ?



Il y a Jean Dieu, le boulanger. Etre boulanger et s’appeler Jean Dieu, n’est-pas biblique ? Dans le village, tout le monde l’appelle le Boulanger « On l’appelait Boulanger, et le tutoyait comme du bon pain ». Faire du pain est sa passion. La rue sentait le pain. Les hommes, mécréants devant Dieu, leurs épouses le savent très bien, elle qui vont à la messe tous les dimanches que Dieu fait –attention à ne pas se mélanger, il y a une très grande différence entre Dieu et Dieu !-, faisaient à chaque fois la même blague en demandant une hostie pas trop cuite et à la réponse négative de la jeune vendeuse continuait dans le même registre « ben, dans ce cas, mets-moi donc un corps du Christ ». Vous imaginez la tête des bigotes attendant d’être servies. Mais, bon c’était bon enfant (de chœur).



Nous faisons la connaissance de Maît’Louis. C’est ainsi que l’on appelait Louis, Désiré, Dieudonné Maître ; un enfant de vieux, chétif qui, un soir d’orage, reçut le don de guérir. Oui, cet enfant malingre, voué au bleu, à la Vierge Marie, Maît’Louis est rebouteux. Il prend le mal des autres, les guérit « … Guérisseur, un bien curieux, non pas métier, mais sacerdoce. Ça ne rapporte rien –sauf le peu qu’on vous donne- et ça demande une qualité rare. Il faut être bon et Maît’Louis est un homme bon ». Il est perclus des entorses, rhumatismes, déformations… qu’il a soignés. Mais, il ne le peut plus, ne le veut plus



Dans nos campagnes, les gens ont souvent un surnom. Ici, La Vache. Une femme grosse, très grosse même, voire énorme qui habite un appartement sous les toits avec un jeune couple « Elle n’y vivait pas seule. Elle avait son monde à domicile : ses vachers comme les appelait la mauvaiseté publique » Pour les différencier, il y a le Mon Filleul et la Ma Filleule ainsi que le Zan, leur enfant en bas âge. Zan a de la fièvre, beaucoup de fièvre. J’allais oublier Ariane qui s’avèrera très utile pour sortir de leur labyrinthe.



Par un beau mauvais jour le Boulanger ne peut plus sortir de son lit. Cloué sous son gros édredon qu’il est, tout ça à cause d’une sciatique qui l’empêche de se lever. Cinq jours sans pain ; à la fin les journées commencent à être longues et tristes…. comme des jours sans pain. Maît’Louis va à son secours, malgré ses « plus jamais ». Il lui prend son mal et voici Jean Dieu requinqué comme un jeune homme. Louis, Désiré, Dieudonné Maître repart « Chaque marche est un calvaire. Un serpent qui mue c’est une extrême fatigue, on dit, pour la bête. Maît’Louis est un serpent qui mue, le reptile travaillé par sa peau. »



Et toujours, au long des pages, cette antienne : ils vont venir, je les attends, je sais qu’ils vont arriver. « Cette certitude qu’ils vont venir. Pas qu’ils viendront : qu’ils vont venir. Ce soir même et pas un autre soir. Ce sont des choses qui s’éprouvent, personne ne pourrait les expliquer. » Mais QUI ? Pourquoi Maît’Louis fait-il installer ces guirlandes dans l’arbre dénudé, pourquoi attend-il sur le perron sous la neige, lui qui est si faible ? QUI oserait braver la tempête de neige ? Maît’Louis lui, sait. On ne lui a rien dit, mais il SAIT. Il sait qu’il aura des invités ce soir en cette période de Noël.



Comme le spoutnik soviétique dont parle le Boulanger. Jean Dieu, la Vache, le Mon Filleul, la Ma filleule sont les satellites qui gravitent autour de Maît’Louis jusqu’au dénouement final.



Le r’bouteux est quelqu’un d’estimé, de craint. Lionel-Edouard Martin les connait bien, lui qui a dédié ce roman à deux d’entre eux. Je les connais aussi pour avoir souffert de moult entorses, zonas, brûlures. Vous arrivez plié au carré, vous sortez droit comme « le bâton de la justice ». Oui, ils prennent le mal de ceux qu’ils soignent, c’est également ce que me dit mon copain r’bouteux.



Les villageois ont les pieds sur terre, ici ce serait plutôt dans la neige. Ils n’élucubrent pas, ils se connaissent tous, savent les défauts, les fautes, les vérités, les bons, les bêtes, les méchants. L’entraide est un sport qu’ils connaissent parfaitement.



Vous, de la ville, ne savez pas que tout ceci existe encore ; que nous, qui vivons à la campagne, qui ne faisons pas qu’y habiter, avons la chance d’avoir le bon côté de la modernité (faut quand même pas exagérer, Internet, c’est bien) et le bon côté de la ruralité avec l’entraide, la vie simple…. et le r’bouteux !





Lionel-Edouard Martin a une écriture gourmande (les pages 45,46 font saliver), une prose bienheureuse, simple mais pas simpliste pour un sou, riche, colorée, sensible. Les racines le retiennent à ce pays. Il y a du Giono, du Fallet, du Chabrol dans cet homme. J’ai lu ce conte en dégustant chaque page, chaque mot jusqu’à une fin que je ne vous dévoilerai pas.


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Anaïs ou les Gravières

Anaïs, jeune femme au nom de parfum si vite enfui sur la langue, a été assassinée. Le narrateur, un journaliste désoeuvré, hanté par la mort d’une autre femme, décide d’enquêter auprès de ceux qui ont connu la jeune femme, non pas pour trouver son meurtrier, mais pour frôler sa vie, effleurer la réalité qui se cache derrière les faits divers, transformer le cliché en image réelle ( « je veux le voir pour de vrai, tel qu’il a été. Pas pour de faux. La fiction, ça va un moment : mais ça ne remplacera jamais le bon vieux réel. C’est lui qui fait les hommes, tels qu’ils sont, pas tels qu’on peut les créer. »), s’approprier cet effluve de vie insaisissable, cette « décrue des sons » qu’était la jeune fille.



Il lui faut pour cela trouver les voix qui sauront dire sa romance, le « pourquoi du comment de sa présence sur scène ». En cherchant les origines d’Anaïs, le narrateur rencontrera des personnages étranges aux vies aussi trouées que les gravières, paysage-corps du roman : la « mater dolorosa », à la voix « terrible de détresse », Mao, le père absent, trou sombre du récit, le Légionnaire et sa maison-cave, Toto Beauze aux mensonges bleus… Mais comment transforme-t-on des personnages ne s’illustrant qu’à travers un fait divers, en voix denses, en personnes ? Comment fait-on pour parler des cavités d’un être et ne pas se limiter à ses reflets ? La littérature peut-elle donner consistance et existence à l’infime d’une expérience singulière ?



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Ulysse au seuil des îles

Quatre vagues de poèmes dessinent les contours de ces îles de langage où accoste un Ulysse moderne, détrempé de vocables, en quête de son île d’origine, son île-œuf aux volcans-vulves, son paysage matriciel qui est autant Ithaque que la langue d’Ithaque, cette parole d’enfance qui, à elle seule, est un paysage âme (« je rentre dans Ithaque, et c’est ma langue que je rallie, fleurant le fumet des phrases d’antan »).



Lionel- Edouard Martin nous convie, dans ce recueil, à une odyssée du langage. Foin d’aventures ici, si ce n’est celle d’un verbe ample, luxuriant, qui fait s’avancer, arrondie, la bouche du lecteur pour en « remâcher » la substance infusée de paysages



La suite sur mon blog :
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