Je suis une lectrice de romans de terroir et le titre et la couverture, sobre, tons or et noir, dans un style japonisant (je suis très sensible au choix de la couverture des romans), «
Tout était devenu trop blanc » m'a évoqué un paysage enneigé, un terroir montagneux dans une lande maigre, frustre, parsemée d'arbres comateux au-dessus desquels tournoient et nichent choucas et corneilles, et un scénario dans un milieu campagnard avec une intrigue à découvrir : qu'est-il arrivé à Mr Charles ?. Je me suis proposée pour recevoir ce roman, n'ayant jamais rien lu de cet auteur.
Alors, titre, couverture, et maintenant la « substantifique moelle » du roman.
L'histoire se passe à la campagne, pendant la première guerre mondiale, dans un ancien domaine agricole, « une vieille gentilhommière un peu décatie mais au sommet d'un tertre et ombragée de pins », avec en fond de roman l'évocation des rapins de la Butte-Montmartre ;
Une famille de nantis qui vit de ses rentes, sans travailler, sans compter son argent, qui reçoit pour le paraitre provincial, « pour d'eux-mêmes ériger, dans le trouble de l'époque, en baronnie leur fief de la Chambue, se couronnant barons du Puy du Pin de la Chambue, personne n'y regardant ni de prêt ni de loin, » pour boire et gueuletonner, où l'on soupe à 18h en temps ordinaire dans cette vie de province année 1910, une famille qui ne comprend rien à la peinture mais où il est de bon ton de compter un enfant peintre . Un père autoritaire, qui aime la chasse, et la bonne chère et le bon vin, bien rouges, fils de paysans nantis au passé laborieux et constructif. Une mère fille héritière d'un architecte de 1875 propriétaire terrien du domaine de l'Escastraire en Provence, couvert de vignes et d'oliviers, grosse famille de Bandol, « chichiteuse » à qui « il fallait de l'excellent, du délicat, du servi chez les princes et les altesses, de l'Escoffier, guide culinaire », un frère et une soeur , sans grande personnalité, désoeuvrés, au physique aussi sec que leur mère.
Et Charles Desmassoures, qui fut le professeur de peinture, vite dépassé par l'élève, distillateur itinérant, peintre du dimanche, , qui aura plaisir à enseigner sa passion et ses connaissances dans cet art qu'il a découvert au hasard de ses livraisons de quinquina à Paris, mort hémiplégique, ruiné par la guerre.
Deux familles du lieu, notables provinciaux bourgeois, les Laurencie-Peznec et les Bordier de la mare et leur jumeaux, de la faculté de Paris, qui s'opposent, sans jamais les saluer, aux jouissifs du Puy du Pin de la Chambue, héritiers de paysans nantis, « bons cambroussards » aux lointains ancêtres « au cul des vaches »
Et puis le narrateur : il retrouve des bandes magnétiques vieilles de 40 ans qui lui évoque le temps où, âgé de 19 ans, étudiant qui a besoin d'un petit job estival pour payer ses études de lettres, il avait mené une enquête pour valoriser le patrimoine et mieux connaitre les peintres exposés dans la galerie du musée de sa petite ville et pour laquelle il avait été amené à rencontrer, en 1975, cette vieille dame, 85 ans, pensionnaire en son temps d'une maison de retraite: Marcelline, cuisinière chez les du Puy du Pin de la Chambue avant 1936.
Il se souvient avoir découvert 2 petits tableaux, « sobrement encadrés » rencognés près de la meurtrière d'une tour du musée, peints par le jeune Charles du Puy du Pin de la Chambue, le 3è enfant de la famille, goulu dès sa naissance, gros voire obèse, à la peau laiteuse, et l'alimentation sucrée, faite de viande blanche, à l'inverse de son père chasseur, carnassier : « il faut du rouge, Marceline, du rouge ! ». Enfant à contre-courant de la mentalité de ses arrivistes et loufoques parents, dévoré par les « grolles cannibales » après avoir reçu 2 charges de chevrotines dans le ventre, « CPPC comme il signe ses toiles » et que son père va dénommer ironiquement « Popotame ». Ces 2 toiles abandonnées au domaine et données par la famille en 1936 lors de leur exil en Provence
Mais qu'est-il arrivé à Charles ?
A la fin du livre, enfin on va le s' avoir !
Hélas, la fin du roman m'a laissée sur ma faim, à mon sens elle est tronquée elle se termine en eau de boudin. La question qui est posée en 4è de couverture, une question dont on espère avoir la réponse au fil de l'histoire, apparemment la réponse n'a pas d'intérêt dans ce roman, qui nous laisse deviner que la peinture de Charles a du succès, mais on en saura pas plus, le domaine se vide, les personnages se meurent les uns après les autres, et puis rien ! A quels galeristes, chez qui ont été déposées les toiles de Charles, profitent les ventes des tableaux, quottés chez Sotheby's ?
Par contre, c'est une découverte de l'auteur et de ce style d'écriture, un langage parlé-écrit, une écriture du parlé, jouant de la virgule et du tiret pour ponctuer la phrase et la faire se déployer, comme lors d'une transmission orale le son sort de la bouche.
Une écriture riche, dense, copieuse comme la cuisine de Marcelline.
Je laisse à chacun le plaisir de découvrir le talent littéraire de
Lionel-Edouard Martin, de le déguster comme je l'ai fait au fil des pages, reprenant phrase après phrase, mot après mot, pour mieux m'en imprégner et mieux l'appréhender.
C'est un livre qui se lit dans le recueillement, le calme d'un jour de repos, bien calé dans un canapé, entièrement concentré.
J'ai aimé côtoyer Charles, et je remercie Masse Critique et Les Editions le Réalgar pour m'avoir donné l'occasion de rencontrer
Lionel-Edouard MARTIN, et le désir de le retrouver à la lecture d'un prochain roman.