Gilles le beau-père du narrateur vient de mourir à 84 ans. Il vivait dans la banlieue de la Palud dans le Sud-ouest et c'est là qu'en plein été, vont se retrouver, un peu désemparés, le narrateur, sa femme et leur fille Justine afin de régler obsèques et succession.
Le portrait de Bordenave, l'agent immobilier qui vient expertiser la maison alors qu'ils sont juste levés, est absolument inoubliable :
"C'est vibrant de la narine, comme il parle, cet homme, à croire qu'il n'ouvre pas la bouche ; du reste, à l'observer : quel usage a-t-il l'animal, de ses lèvres, fines comme un trait de rasoir, sans pulpe, comme s'il parlait exclusivement du nez et qu'il eût perdu l'usage de ses babines, la fonction créant ou maintenant, comme on sait, l'organe ? On dirait un sourire de chien, sa bouche, quand il s'exprime, un sourire à la fois canin et professionnel....p 14
La mort elle-même devient cocasse sous cette plume alerte et incisive. Pas de mort sans un regain de vie chez ceux qui restent et se sustentent avec de bons plats reconstituants au cours de promenades un brin nostalgiques dans la région, sur les pas de
Francis Jammes :
«Nous buvons du jurançon, qui larmoie le long de la bouteille. Dans le jardin où nous sommes installés, passe à pas tranquille, parfois, de la volaille : poules naines, pintades aux fientes d'émail somptueuses. On nous sert un manger riche, terrine de cochon, côte du même, épaisse, en cocotte, avec piments ; et des gambas à la crème, et de la blanquette ; des rognons au madère.»
Mais «...peut-être aller vers un mort signifie-t-il redonner du sens à tout ce que l'on touche, voit, respire, à tout ce qu'on entend.» p 128
Gravité («Nous arrosons gravement à l'arrosoir chaque arbre au pied, chaque massif, comme Gilles faisait, épousant ses anciennes postures.») et humour se succèdent jusqu'à la phrase finale aboutissement de tout le contenu du récit : «Je crois que j'aimerais voir passer, furtivement, dans l'espace clos de l'ancien bureau sombre, un de ces longs chats, très lents, dont le dos requiert une caressante main d'homme pour se voûter en pont --- reliant, entre deux rives, les vivants et les morts.»
Avec
Lionel-Edouard Martin la langue française se fait goûteuse, relevée, pleine de richesse, de verve et d'ironie mais aussi empreinte d'une poésie mélancolique qui laisse une grande douceur sur les papilles. C'est le troisième récit de cet auteur que je lis et je pense que je n'ai pas fini de poursuivre ma découverte car le plaisir de lecture est à chaque fois renouvelé grâce à son don de métamorphoser le quotidien le plus banal.