De ce livre, qui vous isole de votre environnement le temps de la lecture, vous ressortez comme aspergé d'une eau lustrale, avec des yeux neufs.
Lionel-Edourd Martin va creusant son sillon, fouaillant la terre pour extraire de la gangue dans laquelle ils sont enfouis des éclats lumineux. Il cherche les mots, va les puiser au fin fond de lui-même dans «un coeur obscur, pris dans une poitrine d'ombre»
Il se fait rassembleur de gerbes, redonne corps aux choses en «les prenant en bouche, les mouillant de ses sucs», les mâchant et les fécondant avant de nous les tendre magnifiés pour nous ramener à l'aube du monde.
Il nous fait retourner à l'origine, vivre une naissance à rebours.
Mais pour que le lecteur vibre à la lecture toute une genèse déroule ses étapes en son sein, entre vie et mort.
«Le silence, c'est peut-être cela : le retour à la mère lointaine, hors de portée, comme se clôt le mystique dans son amour du dieu. le retour muet, sans rien qui parle, l'ascèse. Celle qui génère ces mots muets sur ma page -- où quand même, entre deux raclements de nicotine et de goudron, j'entends bien que ça fredonne, comme une partition menée à terme, pas encore exécutée.»
Il féconde, relie, lance des ponts au travers du vivant dans une alchimie mystérieuse qui fait s'agglutiner des mots rares mais précisément adaptés à l'image qu'il fait naître dont il ne sait rien avant qu'elle apparaisse au jour.
«Travail du bourdon : prélever sa provende dans les fleurs de l'althaea. La besogne s'accomplit dans un minuscule ronflement d'orgue. Je prête l'oreille à cette musique végétale, humide encore d'ondée nocturne.»
«... elle naît de l'oeil, la poésie, de l'oeil qui lie, javelle, fagotte.
L'oeil, l'oreille, tous les sens aux aguets pour notre enchantement.
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C'est ainsi qu'on va, dans le noir du petit matin, traçant la houache sur le papier : quêtant de la papille son itinéraire, goûtant chaque mot, croisant, du bout de la langue, d'un terme à l'autre -- et le goûter, le mot, c'est en saisir le sens pour naviguer à vue, tirer vers le port improbable où sans doute à peine fera-t-on relâche, pourtant -- si fort nous appellent d'autres partances à mêmes voix de sirènes. p99
(houache = sillage que laisse un navire sur la mer)
... ces murs où les âges se suivent sans rupture ni effraction ; et j'imagine la chapelle et la crypte où mûrissent, telle la poire cueillie verte en automne, de très vieux corps soucieux de résurgence. p 42
Je plaide pour ces ruptures, pour ces routes à tracer qui fondent le lecteur à se munir patiemment de la boussole, de la pioche ; pour le fragment, la forme incertaine, donnés en apparences.
Marcher, serait-ce fouler des morts ? ou vendanger l'humus, l'égrapper jusqu'à la rafle ? On va sur des squelettes, et le goudron qui parfois les recouvre prend sa source, lui aussi, dans des trépas fossiles.
Le poète, incendiaire pensif et soucieux d’ordre fusant, révèle par sa scansion le flamboiement premier.
Lionel-Édouard Martin - Mousseline et ses doubles .Lionel-Édouard Martin vous présente son ouvrage "Mousseline et ses doubles" aux éditions du Sonneur. Rentrée littéraire 2014. http://www.mollat.com/livres/martin-lionel-edouard-mousseline-ses-doubles-9782916136769.html Notes de Musique : ?Peas Corps? (by Podington Bear). Free Music Archive.