Citations de Luc Dietrich (98)
Piur le moindre de ses récits elle se tournait tantot vers moi, tantot vers li, aintervalles egaux et quand c'etait mon tour, j'ouvrais tout grands pour ne rien perdre d'elle. Je pensais : " Maintenant, maintenant, je vais voir la couleur de ses yeux." Les tresses de ses cheveux m'étreignaient le coeur,sa douceur tombait sur moi comme une neige, mais quand elle s'est retournée, c'était comme si je n'avais rien eu, il ne me restait d'elle aucune image. Nous etions tous deux engourdis par sa beauté.
Je me souvenais de ma misère de jadis comme d'une maîtresse qu'on a pas beaucoup aimée, et qui est morte, et dont on relit les lettres avec le double regret de ne plus l'avoir, et de l'avoir eue sans amour.
Je rencontrais l'équipe de nuit qui sortait de la mine, leurs chapeaux en couvercle de marmite étaient noirs comme leur peau que perçaient les yeux rougis. Et je me demandais pourquoi certains hommes ont des travaux comme des punitions, tandis que d'autres vendent des glaces, des photographies, ont des travaux comme un amusement. (p.44)
Tandis que je poussais la machine, les yeux fixés sur les rayons de la roue, par les longues avenues où il se passe rien, je ne rêvais pas, je n’espérais pas : je voulais. Je roulais, je roulais vers le but.
Si je suis comme une pierre qui tombe, j’ai aussi la certitude de la pierre. Je m’enfonce dans tous mes actes sans qu’il y ait place pour la fatigue et pour le doute. Je veux, et mes forces me suivent
Le sommeil se cachait sous mon lit ; quand je me tournais d’un côté pour l’attirer, il se jetait de l’autre. Tous les gens qu’on avait entendu crier dans les cours, il les avait pris. Moi, il m’avait laissé seul dans la maison nouvelle. Ma tête devenait dure et douloureuse.
La respiration de ma mère était légère, si légère que l’inquiétude me prit de sa fragilité et que j’allumai pour la voir.
Arlette me reprit :
- Tu as un très grave défaut, mon cher ami ; tu ne sais pas te tenir assis sur une chaise. Je ne connais de salle si grande que tu ne l’encombres de ta présence. Ici, on rencontre une de tes mains, on se réfugie dans l’autre coin où l’on trébuche sur l’un des tes pieds. Si tu ne sais pas te tenir assis sur une chaise, tu n’arriveras à rien dans la vie, car le premier point, pour arriver où l’on veut, c’est d’être où l’on est. Il faut que tu saches tes limites et celles des choses pour les franchir. Mais toi, tu te répands et t’éparpilles partout ; c’est pourquoi tu ne peux avancer, mais seulement piétiner dans ton propre désordre.
Toi, tu n’as pas de talents, ni de dispositions particulières. Tu n’es pas très instruit. Tu es fort paresseux. Tu n’as aucun diplôme. Il n’y a donc qu’une carrière qui s’ouvre à toi et dans laquelle tu pourras parvenir à une place d’importance : la politique.
Oui, tout petit et pourtant je m'en souviens. J'étais sorti de la maison en cachette et j'avais couru par le chemin. Le vent criait, criait. Il y avait des nuages tout noirs, des arbres tout noirs, très grands qui mangent les petits enfants. Je courais et je suis tombé sur mon nez et je sentais les nuages et les arbres et les cris au-dessus de moi. Les maïs grinçaient comme les dents de quelqu'un qui va manger, J'ai crié:«Méchants, méchants !» et j'ai tapé la terre avec le poing.«Méchante!» et j'ai vu deux souliers qui s'approchaient et le bas d'un pantalon et je m'y suis accroché en criant : «Et toi aussi, méchant!» Une voix de là-haut m'a dit : «Mais non, petit !» et j'ai touché la jambe, et j'ai senti qu'un homme c'est chaud, et je l'ai vu, et c'était mon père. C'est beau un père ! Il m'a soulevé dans ses bras, c'est fort un père ! et il m'a ramené à la maison. Et maintenant je ne le reverrai jamais plus, jamais plus. Je pleurai.
Nous, nous sommes malheureux parce que nous ne sommes pas du tout contents d'être ce que nous sommes, sans non plus savoir ce que nous voudrions être.
Le jour, je portais maintenant des paquets à bicyclette pour un libraire à raison de cinq francs par course.
Il me paraissait juste de travailler la nuit, moins de dormir le jour. Assez dormi. Les grandes vacances ont duré trop longtemps.
Chez l'oncle Gustave où l'on m'avait mis quand j'avais huit ans, il y avait des fleurs sur le papier : des pavots rouges dans ma chambre à coucher. L'oncle disait : “c'est la décoration qui sied à une chambre à coucher ; le pavot c'est la fleur du sommeil.” C'était des yeux arrachés qui ne cessaient de pleuvoir sur moi du plafond, même la nuit quand il faisait noir, même quand j'avais fermé les paupières.
Il y avait des sortes de grottes, des lézards et des hiboux durcis. Il y avait une trompe de cuivre béante, mais d'où sortait parfois comme de sous terre, un bruit de coutelas qu'on aiguise, des cris de femme et des plaintes de gorges qu'on étrangle.
Le sommeil ne me prenait plus à deux mains comme un ami que l’on retrouve après un long voyage. Je n’avais rien à lui dire. Il ne me prenait qu’avec défiance et me laissait tomber de côté, et la nuit devenait comme une boule d’épines.
Et je sais que celles qui tombent dans la rue tombent dans la fosse aux bêtes : je sais les ours qui s’y dandinent, les ours à la bouche molle, aux mains mouillés comme des bouches ; je sais qu’il est beau pour une bête de mettre le premier la griffe dans la chair la plus tendre, qu’il est beau pour celui dont les désirs sont usés de se frotter un peu à la peau la plus neuve, pour celui dont l’âme est sale de salir le premier la chose la plus blanche, et pour celui qui rampe et suinte, beau de faire glisser dans la boue ce qui marche dans l’innocence et dans la rectitude. Oui, mais je suis là pour la protéger de ceux-là – et de moi-même peut-être aussi.
Je soutins que la bicyclette était la seule invention nouvelle qu’on pût admettre : une amplification ingénieuse de l’effort, de l’adresse, la seule machine qui ne fût pas contraire à la poésie et la dignité.
Je me souvenais de ma misère de jadis comme d’une maîtresse qu’on n’a pas beaucoup aimée, et qui est morte, et dont on relit les lettres avec le double regret de ne plus l’avoir, et de l’avoir eue sans amour.