Ludivine Bantigny

La seule leçon que l’histoire nous enseigne est celle-ci : aucune société, aucun système historique n’est, par définition, éternel. Mais le capitalisme a ceci de particulier et sa tendance destructrice est telle que plus il prolonge sa propre vie, plus il sape les conditions mêmes de la vie sur Terre. La question est donc aujourd’hui de savoir si l’humanité parviendra à se débarrasser du capitalisme avant que celui-ci ne se débarrasse d’elle.

Nous ne prétendons pas que nous ferions face, en France actuellement, à un régime fasciste. Mais le fascisme ne vient pas au monde tel un éclair dans un ciel serein. Son avènement comme pratique de pouvoir, […] est annoncé par toute une série de signaux – et c’est peu dire que chaque semaine sinon chaque jour, nous apporte son lot de « symptômes morbides », ici et ailleurs.

Ces temps-ci, dans certains lave-linge, les cuves en plastique ont remplacé celles en inox parce qu'elles sont moins vaillante - une certaine idée du "progrès". Comme les réparer est un parcours d'obstacles, la solution toute trouver est de changer le lave-linge entier. Il y a donc l'obsolescence fonctionnelle intégrée, certes, mais aussi l'obsolescence psychologique imposée par les changements de modes. (57)

En réalité, sous les traits du progressisme autoproclamé, la violence sociale, politique et symbolique frappe jusque dans le mépris exprimé par les « petites phrases » et autres « sorties », paroles blessantes de la condescendance de classe, comme celles prononcées par le tout nouveau chef de l’État en juin 2017 : « le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien c’est différent », à propos d’une situation pourtant catastrophique du point de vue humanitaire ; les propos sur les ouvrières « pour beaucoup illéttrées » ; l’altercation avec les grévistes à Lunel (« vous n’allez pas me faire peur avec votre t-shirt ; la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ») ; les paroles proférées sur les « gens qui ne sont rien » ; la déclaration, à Athènes, contre les « fainéants » ; le dénigrement contre « Jojo avec un gilet jaune » ; et l’affirmation selon laquelle il suffit de « traverser la rue » pour trouver un emploi.

La Commune est de ces moments qui brisent la ronde des aiguilles, le battement des horloges et le temps mécanique. C’est un temps dense, réveillé, ravivé. Un coup porté aux chronologies trop tranquilles – et à l’hégémonie d’un ordre bien rangé.

C'est le propre des « temps modernes » : l'humanité y est garante de son destin ; plus de transcendance, ni de tradition pour éclairer son chemin. Elle est maîtresse de son action et cette immense responsabilité devant la tâche à accomplir peut certes plonger dans un vertige. Mais ce souci du monde et de l'avenir fait aussi agir. Notre temps n'a rien d'un pur enfermement dans le présent. Il est pétri de fidélités au passé. Et, par toutes sortes de pratiques mêlant humilité et solidarité, beaucoup imaginent aussi lui offrir des alternatives.
Dans "Les Misérables", Enjolras s'écriait, peu avant de mourir, sans que personne alors puisse bien sûr le démentir : « Citoyens, le XIXe siècle est grand, mais le XXe siècle sera heureux. » Le XXIe siècle n'a pas encore trouvé son épithète – et c'est tant mieux. Il est en cours. Pour autant, sans l'enterrer dans tel ou tel mot qui déjà l'emprisonnerait, chacune et chacun peut bien le concevoir et même le rêver. Il s'agit même peut-être de faire histoire encore et dès lors de goûter à l'avenir, sans le prédire.

dès leur création, c'est un chemin ouvert -contrairement aux espaces clos et ceints de grilles, où n'évoluent, justement, que les personnages de la Cour. D'emblée, les Champs mélangent les genres sociaux, font se côtoyer le nobiliaire et le populaire.

Le Fouquet's et son (beau) monde donc. S'il est pris d'assaut dans le soulèvement des gilets jaunes, c'est parce qu'il renvoie à un univers rejeté, détesté par celles et ceux qui n'entendent plus accepter le monde tel qu'il va et ne va pas. Au-delà, la nouveauté vient aussi de l'approbation donnée à ce saccage. Beaucoup, du moins, refusent de le « condamner », comme on les y enjoint pourtant. C'est en cet endroit précisément, dans ces affects-là, réjouis ou résignés, qu'il faut chercher un basculement. Le Fouquet's comme une nouvelle Bastille ? Il y a de cela.

Non, le capitalisme ne sauve pas des vies ; le savoir médical peut très bien se mener sans lui. Les consortiums pharmaceutiques font perdre en espérance de vie dans certaines régions du monde quand les brevets privent des populations entières de certains remèdes essentiels. Des femmes, des hommes, des enfants, pourraient vivre mais meurent faute d'être à même d'y accéder. La santé est un bien commun : nous ne devrions avoir aucune honte d'exiger qu'elle soit socialisée, qu'elle appartienne à tous et chacun, hors du profit et de son obsession. (59)

Le capitalisme a tout avalé, jusqu'aux mers, jusqu'à l'air, l'espace et nos intimités. (23-24)

Les capitalistes se mènent entre eux une guerre acharnée et c'est aussi pour ça qu'ils doivent nous l'imposer. Leur logique est à l'expansion absolument illimitée : le principe d'illimitation est d'ailleurs au fondement même du système. (22)

"C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe." Ou, à notre heure : "C'est à ce prix que marchent vos ordinateurs." (10-11)

Le terme de « crise », dans sa malléabilité et sa complexité, commence à s'imposer au milieu des années 1970. Il s'infiltre dans les consciences collectives par différents biais, notamment dans les occurrences répétées des discours politiques et médiatiques. Peu à peu, tout un chacun doit « s'y faire », et donc s'y résigner, accepter la probabilité que sa vie va changer.

Accueillir les morts comme s’ils demandaient justice n’est pas se ligoter au passé mais accepter qu’ils soient présents, de temps en temps, pour vivre « non pas mieux, plus justement ».

Le temps mesuré, quantifié, exigeant est davantage celui du capital et du salariat comme rapport social

L’intelligence émotionnelle se rattache aux opérations cognitives qui engagent la réflexibilité et, pour finir, font agir

Je suis révoltée par les proclamations sur la neutralité qui pourtant trahissent à chaque mot les inflexibles normes de la pensée conforme

Bien plus que la propriété, l'enjeu est l'égalité d'accès aux choses et aux biens.

Nous connaissons et pratiquons déjà bien des formes d'émancipation : on le voit dans tous les gestes et tous les liens du quotidien, quand ils esquivent ou refusent les sommations, l'impératif de rentabilité, la marchandisation, l'obsession de l'évaluation et la compétition. Nous pouvons les revendiquer, comme des signes que donnent les sociétés humaines sur le partage, la dignité et le respect.

Dès les premiers mois de son règne, Louis-Philippe veut procéder à de nouveaux aménagements urbanistiques, sociaux et politiques. D'abord, faire abattre les dernières échoppes, trop populaires pour ce lieu prestigieux et considérées comme des « verrues ». Le préfet de police le souligne en 1831, ces modestes boutiques sont jugées incompatibles avec la puissance des monuments publics : « Elles nuisent à leur aspect, à leur dignité ».