Citations de Magali Wiener (35)
Pete a continué à venir, il ne s'est étonné de rien, et s'est encore moins offusqué. Il était là, fidèle au poste et à nouveau quand parfois il ne venais pas plusieurs jours d'affilée, il me manquait. Parce que quand il quittait le resto, il avait toujours un truc sympa à dire, une remarque amusante à faire sur nos choix du jour et il nous suggérait un plat improbable pour le lendemain, un jour il a dit : "Mettez un peu de stardust, ça nous donnera des ailes..." Stardust ? Poussière d'étoiles...ça m'a plus, sa poésie, son côté décalé, son air de pas prendre le monde au sérieux et quand il n'était pas là, le resto sonnait dans le creux de son absence.
Est-ce que papy Simon a raison quand il dit qu'une bonne raclée, ça apprend la vie ? A celui qui la donne ou à celui qui la prend ?
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Parce que ce qui m'est arrivé est devenu une histoire dont les autres s'autorisent à parler, sans savoir, sans m'interroger directement. En fait, c'est comme si les gens avaient un avis sur le viol, ils savent systématiquement de quoi on parle, je veux dire mieux que moi, mieux que n'importe quelle victime, et donc ils font des commentaires, mettent en doute ce qui a eu lieu... Alors qu'ils ne l'ont pas vécu, qu'ils n'ont pas mon corps.
Je veux que celui que a tout fait basculer entende ma souffrance. Qu'on lui rappelle qu'il n'avait pas le droit. Qu'il paie le prix fort pour ce qu'il m'a pris, pour ce qu'il a abimé définitivement en moi, pour n'avoir pas compris que j'existais autant que lui.
On sait qu'il y avait une maison ici, mais il n'y a plus que les murs à moitié effondrés, les fenêtres ont explosé, les portes sont défoncées et la cave, personne n'ose y descendre, le risque de tout se prendre sur la gueule est trop grand. Je suis cette maison. Une menace d'effondrement.
J'ai appris qu'on parlait d'euphémisme, je ne suis pas la seule à le faire, tout le monde a cette tendance, rendre entendable le drame, le manque, la fracture. Préférer "il est parti" à "il est mort" et moi dire "événement" au lieu de dire "la nuit où R; m'a violée". Mais le mot viol est beaucoup plus juste qu'événement, qui ne veut rien dire, qui minimise, qui estompe le réel, tout peut être un événement. Alors que viol, c'est un crime, c'est la vie volée avec violence. Ça serait ma définition. Vol avec effraction de l'intime. Après, le corps est fracturé, béant, dévasté. Il est ouvert et vide, on ne sait plus ce qui le remplissait, ce qui le remplira. Il n'a plus de nom.
Quand la brèche est ouverte, elle ne se colmate pas. L’âme ne se répare pas. Abîmé, je resterai. Je me sens perdu dans une vie qui m’a malmené.
Le Pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
les jours s'en vont je demeure
Alcools, éd Galimard
Guillaume Apollinaire
Ses polycopiés indigestes sur le Dede phénotypique et le sexe gonadique... Moi j’aurais voulu qu’il nous parle simplement du plaisir, de l’attirance, du désir...
Personne ne sait ce que c'est l'amour, et on s'en fout, l'important, c'est ce qu'on vit, ce qu'on ressent, ce qui vibre en nous. J'ai pas besoin de définition, j'ai pas envie de passer mon temps à cocher les bonnes cases. Qu'est-ce qui lui prenait de parler comme nos parents, nos profs ou les philosophes ? Elle voyait pas que l'amour, c'était nous, tout simplement ?
On a tous le droit à l'erreur et on fait tous un jour ou l'autre une connerie qu'on regrette. Qui peut affirmer le contraire ?
J'aime pas quand on commente un cadeau. Quelqu'un offre, on prend, on est joyeux, on remercie. Pas besoin de chercher le pourquoi du comment.
Une main m’a poussée vers lui. la pression était trop forte, j’étais incapable de résister. Je crois que c’est ça qui m’a le plus dégoûtée. Je me suis vue dans l’impossibilité de dire non, de m’opposer à ce qu’on m’imposait et que je ne voulais pas. Je me suis trouvée nulle, mille, soumise. J’ai plongé sous l’eau. Ses lèvres ont avalé les miennes.
Certains auraient peut-être entendu un compliment, pour moi, c’était une insulte, une phrase qui me réduisait à des seins trop gros pour mon buste de famine. Je n’existait plus, plus de prénom, plus de personnalité, plus de goûts musicaux, plus de préférences pour une couleur ou une matière, on m’appelait par mes nichons gonflés à bloc. A partir de ce jour-là, j’ai pensé qu’on ne voyait que ça de moi, et j’ai camouflé.
Il s’est tourné vers moi : « Et toi Chiara, c’est quoi ton désir de revanche ? C’est quoi ta cicatrice ? » Il avait du flair. J’ai souris, fais un clin d’œil, mais j’ai rien lâché. Est-ce que je pouvais lui dire : « Moi, ma cicatrice, c’est mon sexe ? La rage en moi, c’est la rage d’être une fille quand c’est les gars qui sont couronnés, sans avoir rien prouvé, sans avoir rien fait d’exceptionnel. » Est-ce qu’il aurait compris ?
C’est Marilou qui sait raconter les histoires, pas moi. Et, ses histoires, je les écoute toujours jusqu’à la fin, elles m’habitent, parfois j’ai même l’impression qu’elles font partie de moi, comme si je les avais un peu vécues.
Je n'ai jamais osé lui confier que mes parents étaient contre. Que j'étais un enfant programmé pour autre chose. Parce que mes parents parlent de moi comme si je leur appartenais. Un objet qu'on modèle, qu'on sculpte, qu'on taille. (p.108)
J'ai presque tout vu, pourquoi ils ne me font pas confiance ?
La justice a besoin de preuves. Moi, j'ai mes yeux, mes oreilles, ma langue, mon cœur. Pourquoi ça suffit pas ?
Pourquoi les mots n'ont pas d'empreinte ADN ? (p.89)
Des mots font plus mal que des coups. (...)
Un coup, on l'encaisse. (...) Un mot, c'est autre chose, ça résonne, ça vibre, ça trouve sa place, bien au chaud, dans notre tête et ça reste là toute notre vie. Un mot, ça ne meurt pas. On peut pas le faire taire, il est là, il creuse, il ronge. Il fait son travail de sape.
Un mot, ça dynamite votre monde intérieur.
C'est dur de ne pas être un champ de ruines après. (p.72)
Je veux qu'il sache que je ne pense pas comme lui, non, non, tous les gros ne sont pas des gens sans volonté, sans motivation ou sans but dans la vie. (p.70)