"Nuit Rouge" de Magali Wiéner - Interview (version complète)
Se rendre au théâtre n'est pas seulement un moment de détente, c'est aussi un acte de citoyenneté. C'est montrer son attachement à sa cité. Afin que personne ne soit exclu, on donne aux plus pauvres deux oboles pour payer leur place. Tout le monde vient au théâtre : hommes, femmes, vieillards, esclaves et métèques.
Qu'est-ce que j'ai fait? Pourquoi une claque aujourd'hui. C'est la première que je me prends. J'ai neuf ans et jusqu'à ce soir personne ne m'a jamais giflée. Personne. Jamais. Papy Simon dit qu'y a des claques qui se perdent quand je fais ma têtue et que je refuse de lui obéir. Ben, ce soir la claque ne s'est pas perdue et j'aurais préféré que ce soit quelqu'un d'autre qui la trouve ! Il doit bien y avoir une raison. Je me repasse la journée.
Le Pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
les jours s'en vont je demeure
Alcools, éd Galimard
Guillaume Apollinaire
On ne peut pas laisser croire à Rodrigues qu'il a fait l'amour avec Aurélie. Il ne l'a pas écoutée, il l'a contrainte à obéir à son désir égoïste. Il ne l'a pas respectée. Il ne l'a pas aimée.
Le traumatisme causé par le viol ne peut-être nié quand on voit dans quel état se trouve Aurélie aujourd'hui.
« Et vous, Diane, votre père est photographe ani- malier... c’est intéressant comme métier, et en ce moment c’est quel animal qu’il suit ? » Diane mar- monne sur un ton fermé et boudeur qu’elle ne sait pas vraiment, elle vit plutôt avec sa mère. M. Malonne enchaîne sans commentaire.
Il passe devant Stella et lui parle de ses heures de GRS, c’est bien de s’engager dans le sport. Rien sur le métier de sa mère, elle est caissière. Un bon point, doublé d’un sourire, pour Yohan dont la mère est oph- talmo ou opticienne, je confonds.
Qui il est Malonne pour choisir entre ceux qui méritent qu’on leur parle de leurs parents et les autres qu’il regarde à peine ? J’ai envie de gueuler. De l’en- gueuler.
Est-ce que papy Simon a raison quand il dit qu'une bonne raclée, ça apprend la vie ? A celui qui la donne ou à celui qui la prend ?
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article L.222-23 du Code pénal : "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol.
On a tous le droit à l'erreur et on fait tous un jour ou l'autre une connerie qu'on regrette. Qui peut affirmer le contraire ?

"Vous croyez qu'après cet évènement, il va savoir aimer une femme ? Comment fera-t-il pour savoir si elle veut ou pas ? Parce que ce soir-là, il était sûr qu'elle voulait et son erreur lui a coûté les assises. Moi, je pense qu'il faut qu'il se fasse aider par des professionnels."
"J'éprouve de la compassion pour ce jeune, et à l'opposé, je pense à Aurélie qu'il a fait souffrir, qui va conserver des séquelles... Pour qui doit-on avoir le plus de compassion ? Et comment fait-on si on en éprouve pour les deux ? Tous deux en appellent à notre mansuétude : elle, pour se refaire, aimer à nouveau et revenir au chant ; lui pour être un homme responsable et libre. Je voudrais satisfaire les deux. Aucun ne doit sortir du procès avec le sentiment d'une justice mal taillée. Faut-il punir sévèrement et rétablir la dignité de la victime mais prendre le risque de briser un homme jeune ? ou croire en la perfectiblité, en la rédemption des fautes, et ne pas envoyer le coupable en prison en laissant la victime isolée dans sa souffrance ?"
J'ai appris qu'on parlait d'euphémisme, je ne suis pas la seule à le faire, tout le monde a cette tendance, rendre entendable le drame, le manque, la fracture. Préférer "il est parti" à "il est mort" et moi dire "événement" au lieu de dire "la nuit où R; m'a violée". Mais le mot viol est beaucoup plus juste qu'événement, qui ne veut rien dire, qui minimise, qui estompe le réel, tout peut être un événement. Alors que viol, c'est un crime, c'est la vie volée avec violence. Ça serait ma définition. Vol avec effraction de l'intime. Après, le corps est fracturé, béant, dévasté. Il est ouvert et vide, on ne sait plus ce qui le remplissait, ce qui le remplira. Il n'a plus de nom.