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Citations de Maggie O’Farrell (499)


La peur commença à l’envahir comme la mousse envahit une pierre. Elle sentait que quelqu’un ou quelque chose s’était glissé derrière elle, là, dans son dos. Elle resta immobile devant son assiette vide tandis que l’angoisse montait. C’était une chose sombre, gélatineuse, aux contours incertains et changeants ; elle n’avait pas d’yeux, seulement une bouche béante et mouillée d’où sortait un souffle humide, gazeux. Cette chose – Lucrèce le savait sans même avoir besoin de se retourner – était sa mort. Si ce mariage se réalisait, elle mourrait, comprit-elle, peut-être pas tout de suite, mais bientôt. Jamais plus ce spectre, fantôme de sa propre déchéance, ne la quitterait.
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C’est à cet instant, agrippée au rebord de la fenêtre, qu’elle la découvrit : une forme effilée, sinueuse, se mouvant d’un bout à l’autre de la cage. La tigresse ne semblait pas marcher, mais couler, comme si son essence même était fluide, bouillonnante, telle la lave d’un volcan. Dans le noir, les barreaux de la cage en regard des rayures de son pelage semblaient presque invisibles. La tigresse était orange, couleur de vieil or, feu fait chair ; elle était puissance et colère, elle était exquise et féroce. Elle portait sur son corps les barres verticales d’une geôle, comme marquée pour ce sort précisément, comme destinée à la captivité depuis le départ.
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La certitude selon laquelle il nourrit le projet de la voir mourir est comme une présence à côté d'elle, un oiseau de proie au plumage sombre posé sur le bras de sa chaise.
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— Il s’agit, je vous l’assure, d’un état assez commun chez la gent féminine. Votre épouse, je me permets de le dire, porte en elle trop de chaleur. Son sang est trop chaud, ce qui excite l’esprit femelle. Il s’agit, bien entendu, d’un problème qu’il m’est possible de traiter. Je préconiserais une série de saignées avec ventouses, et des décoctions à base de plantes et de minéraux. Je veillerai moi-même à les préparer. Elle ne devra plus manger que des aliments froids, un peu de volaille, des légumes verts, de la viande rouge, fromage et lait chaque jour. Plus d’épices, de bouillon, de poivre ou de tomates. Elle devra par ailleurs être entourée d’images douces et fruitées. Ces bêtes sauvages sur ces murs devront être retirées. Ces ossements, ces plumes et ces curieux artefacts également. Des activités précises devront lui être proposées, chaque jour, suivies d’une période de repos après chaque repas, au lit, et après le réveil. Pas d’excitation, de danse, de musique, de loisirs créatifs, de lecture, en dehors des textes religieux.
— Fort bien.
— J’ai la certitude que l’événement que vous attendez arrivera prochainement. »
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Elle pense à Maria, à ces jours d'alitement, à la fièvre qui la dévorait, à ses poumons remplis de mucus mortel. Si cela n'était pas arrivé, ce serait elle, Maria, qui occuperait cette chambre, ce lit, ce mariage, ce miroir. Lucrèce, elle, se trouverait sans doute toujours au palazzo, prendrait l'air sur les remparts, monterait à la pouponnière rendre visite à Sohia, apprendrait à monter à cheval avec ses frères dans la cour, se perfectionnerait au luth, épierait depuis la coursive un spectacle donné par ses parents.
Mais elle sait qu'il y aurait eu un autre homme si ce n'avait été Alfonso - un prince, un autre duc, un noble allemand ou français, un lointain cousin espagnol. Son père lui aurait trouvé un mariage avantageux, car c'est bien, après tout, le but en vue duquel elle a été conçue : être mariée, servir de maillon dans les chaînes du pouvoir, donner des héritiers à des hommes comme Alfonso.
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Ce n'est plus Alphonso, de toute manière, ce n'est plus l'homme qui était assis à ses côtés à la longue table de la salle à manger. Il a changé, s'est métamorphosé, a fait tomber le masque. Il est une créature de mythe, tout de peau et de tendons et d'impressionnantes spirales de cheveux ; il est un dieu du fleuve ,un monstre des eaux, sorti des méandres du Pô, ayant pris forme humaine pour se rendre jusqu'à sa chambre, à son lit, pour se glisser sous ses draps, pour la saisir entre ses doigts palmés, pour frotter contre la sienne sa peau écailleuse, pour la soumettre par sa force gagnée dans les profondeurs aquatiques, au fil de nages à contre-courant, pendant que battent, encore et encore, les ouïes cachées sur son cou, qui sucent l'air étrange de la chambre.
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Lucrèce comprend les mots « époux », « épouse » et « vie », et sait alors que le sort en est jeté, qu'elle est mariée, que jamais ce lien ne pourra être défait. Elle n'est plus la personne qu'elle était depuis toujours, mais une autre qu'elle ne connaît pas encore, avec un autre nom, une autre maison. Elle appartient désormais à cet homme qui se tient devant elle et lève les yeux vers lui, s'attendant à le trouver grave et solennel.
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Une fois de plus, Lucrèce sent peser sur elle, comme un sac accroché à son dos pour toujours l'amour inconditionnel que sa mère porte à ses frères, plus précieux que tout, et la préférence de son père pour Isabella, dont le comportement sera toujours exemplaire, il ne reste que si peu d'amour pour elle, qui demeurera celle à qui l'on pense en second, que l'on tolère, au mieux, et elle voudrait leur dire, Pourquoi les aimez-vous, eux, pourquoi pas moi, ne voyez-vous pas comme Francesco est froid, comme Pietro devient cruel, pourquoi est-ce moi qui suis obligée d'épouser cet homme qui m'emmènera si loin, à Ferrare, alors qu'lsabella reste au palais, pourquoi est-ce moi que l'on chasse ?
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À mesure que la ville laissait place à la campagne, Lucrèce devenait habitée par l'envie d'éperonner sa monture, d'enfoncer ses talons dans ses flancs, de sentir ses sabots voler au-dessus des pierres et de la terre, de filer à toute vitesse à travers les plates étendues de la vallée, mais elle savait qu'il ne fallait pas, que sa place était derrière son époux ou à côté, s'il l'y invitait, mais jamais devant. Ainsi avaient-ils continué à trotter.
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Son père lui aurait de toute façon trouvé un mariage avantageux, car c'est bien, après tout, le but en vue duquel elle a été conçue : être mariée, servir de maillon dans les chaînes du pouvoir, donner des héritiers à des hommes comme Alfonso.
Ses frères, au contraire, ont été élevés pour régner : on leur a enseigné à se battre, à argumenter, à débattre, à négocier, à dominer, à contrer, à attendre, à chercher l'avantage, à manigancer, à manipuler, à asseoir leur influence.
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Une irrépressible envie vous tenaille, mais vous ne devez pas tousser, vous ne pouvez pas. Vos pensées sont monosémiques: Ça va, ça va, ça va. Et puis : Ça ne va pas, ça ne va pas, ça ne va pas.

p. 23.
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Je ne supporte toujours pas que l'on me touche le cou. Ni mon mari, ni mes enfants, ni le médecin bienveillant qui, voilà bien longtemps, avait voulu regarder mes amygdales. Je recule avant même de savoir pourquoi. Je ne peux rien porter non plus autour de mon cou. Ni écharpe, ni collier serré, ni col roulé ou tout autre vêtement qui implique un contact à cet endroit : je ne pourrai jamais rien supporter de tout cela.

p. 17.
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L’envie de frapper son père aussi. De lui faire mal, physiquement, de se servir de ses propres poings, de ses propres bras, de ses propres doigts pour rendre à cet homme tout ce qu’il lui a fait subir.
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Agnes a l’impression de se fendre en deux. La première moitié étouffe un cri à la vue des bubons. La seconde moitié entend ce cri, le décrypte, l’enregistre : Agnes a étouffé un cri. Des larmes inondent les yeux de la première moitié, son cœur donne un grand coup dans sa poitrine, comme un animal se déchaînant contre une cage d’os. L’autre Agnes continue de relever les symptômes : bubons, fièvre, sommeil profond.
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Elle s’était trouvée auprès de Joan à chacun de ses accouchements, avait pris entre ses mains ses frères et sœurs à leur entrée dans le monde, avait essuyé la graisse et le sang autour de leur bouche et de leur nez. Elle avait vu des voisines, avait entendu leurs cris se muer en hurlements, avait senti l’odeur de monnaie rouillée de la naissance.
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« Je suis perdu. J’ai perdu mon chemin. »
Puis il se rapproche d’elle et passe ses mains autour de sa taille comme pour l’empêcher de dériver loin de lui, de disparaître dans les vagues.
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La cruauté et la dévastation vous guettent, tapies dans les coffres, derrière les portes, elles peuvent vous sauter dessus à tout moment, comme une bande de brigands. La seule parade est de ne jamais baisser la garde. Ne jamais se croire à l’abri. Ne jamais tenir pour acquis que le cœur de vos enfants bat, qu’ils boivent leur lait, respirent, marchent, parlent, sourient, se chamaillent, jouent. Ne jamais, pas même un instant, oublier qu’ils peuvent partir, vous être enlevés, comme ça, être emportés par le vent tel le duvet des chardons.
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Ceux qui disent d’un mort qu’il est parti « paisiblement », « en glissant », n’ont jamais été témoins de ce qui se passe vraiment, pense Eliza. La mort est une chose violente, une lutte. Le corps s’accroche à la vie comme du lierre sur un mur, refuse de lâcher, de se rendre sans combattre.
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Elle ne reverrait jamais la Salle des Lions.
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Tous ces gens ne voient pas les serviteurs, ne les reconnaissent pas comme abritant, eux aussi, une raison, des émotions. Une bonne en robe de bure ne vaut pas mieux qu'une table ou qu'un chandelier sur un mur.
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