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Citations de Maggie O’Farrell (496)


Agnes, comme toutes les mères, projette constamment ses pensées vers ses enfants comme on lance une canne à pêche, se remémorant où ils se trouvent, ce qu'ils font, comment ils se portent. Par habitude, lorsqu'elle est assise près de la cheminée, une partie de son esprit est toujours occupée à les recenser, à récapituler ce qu'il font : Judith est là-haut. Susanna, à côté. Et Hamnet ? Son esprit lance la ligne, lance, interloqué lorsque rien ne mord à l'hameçon. Cette réponse ne cesse de lui revenir : Hamnet est mort, est parti. Et Hamnet ? demande à nouveau son esprit. Est-il à l'école, en train de jouer, de se promener près de la rivière ? Hamnet ? Hamnet ? Où est-il ?
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Mary a été cette mère au chevet de la paillasse trop de fois, cette femme qui s'accroche, tente de retenir sa fille. En vain. Ce qui est donné peut être repris, à n'importe quel moment. La cruauté et la dévastation vous guettent, tapies dans les coffres, derrière les portes, elles peuvent vous sauter dessus à tout moment, comme une bande de brigands. La seule parade est de ne jamais baisser la garde. Ne jamais se croire à l'abri. Ne jamais tenir pour acquis que le cœur de vos enfants bat, qu'il boivent leur lait, respirent, marchent, parlent, sourient, se chamaillent, jouent. Ne jamais, pas même un instant, oublier qu'ils peuvent partir, vous être enlevés, comme ça, être emportés par le vent tel le duvet des chardons.
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Esme pivote vers la mer, vers la mélopée des mouettes, vers la tête de monstre que dresse Bass Rock, seules choses qui m’ont pas changé. Ses pieds raclent le sable, créent valées et montagnes miniatures. Plus que tout, elle aimerait nager. Il paraît que ça ne s’oublie jamais. Elle aimerait le vérifier. Elle aimerait s’immerger dans ls eaux profondes, immuables du Firth of Forth, sentir la poussée incessante des courants qui jouent sous ses pieds. Mais elle redoute d’effrayer la fille. Esme fait peur -ça au moins, elle l’a compris. Peut-être devra-t-elle se résigner à n’enlever que ses chaussures.
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Hamlet, là, sur scène, est deux personnes à la fois : le jeune homme, vivant, et le père, mort. Vivant et mort à la fois. Son mari l'a ramené à la vie, de la seule manière qu'il pouvait. Tandis que le fantôme parle, Agnes voit que son mari, en écrivant ces mots, en s'attribuant le rôle du fantôme, a pris la place de son fils. A pris la mort de son fils, l'a faite sienne; s'est placé entre les griffes de la mort pour faire ressusciter son fils.
« Ô horrible! Ô horrible! Très horrible ! » murmure son mari d'une voix macabre, rappelant l'agonie de ses dernières heures. Son mari a fait ce que n'importe quel père aurait fait, a échangé sa place, a pris pour lui la souffrance de son fils, s'est offert pour que son petit garçon puisse vivre.
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Parfois, alors qu'il entend sa troupe répéter ses répliques, lui vient l'impression d'avoir obtenu un résultat proche de ce qu'il visait; mais parfois encore, quelque chose lui dit que son objectif est complètement manqué. Cette pièce est bonne, mauvaise, un peu des deux. Comment le dire? Lui ne sait faire autre chose que noircir des pages - pendant des semaines et des semaines, il ne fait que cela, quitte à peine sa chambre, se nourrit à peine, ne parle presque à personne - et espérer que ses flèches atteignent leur cible. La pièce, dans toute sa longueur, occupe son esprit. Se tient là, en équilibre, comme un lourd plateau posé sur un seul doigt. Le texte coule en lui - celui-là plus que tout autre - comme le sang dans ses veines.
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On ne compte aucune souris dans cette maison.
Même la cuisinière finit par reconnaître qu'il y a des avantages à vivre au milieu d'une dynastie de chats.
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- Tu sais, dit-il en se laissant tomber sur le matelas.
Le plaisir que j'ai toujours eu à te surprendre ne s'est pas émoussé. Ce plaisir rare, exceptionnel.
- Que veux-tu dire ?
- Que tu n'as pas idée de ce que peut être la vie auprès de quelqu'un comme toi, répond-il.
- Comme moi ?
- Quelqu'un qui sait tout sur vous, avant qu'on le sache soi-même. À qui un seul regard suffit pour deviner vos plus grands secrets. Capable d'anticiper la moindre de vos paroles - et même ce que l'on ne dit pas. Cette vie, dit-il, est tout à la fois une joie et une malédiction.
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Ses paupières gris violacé ont la délicate couleur des pétales des premières fleurs de printemps. Agnes les a elle-même fermées. De ses propres mains, de ses propres doigts, ces doigts qui ne lui avaient jamais semblé si chauds et si glissants, si inaptes à accomplir cette tâche - comme il a été difficile de poser ces doigts tremblants et mouillés sur ces paupières si chères, si connues qu'Agnes aurait pu les dessiner de mémoire pour peu qu'on lui ait donné un bâton brûlé au bout. Comment se peut-il qu'un parent ait un jour à clore les paupières de son enfant mort ?
Comment est-il possible d'aller chercher deux pièces pour les poser là, sur ces globes oculaires, afin de maintenir les paupières ? Comment peut-on demander à quelqu'un de faire cela ? Cela n'est pas dans l'ordre des choses. Ne peut pas l'être.
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Agnes, comme toutes les mères, projette constamment ses pensées vers ses enfants comme on lance une canne à pêche, se remémorant où ils se trouvent, ce qu'ils font, comment ils se portent. Par habitude, lorsqu'elle est assise près de la cheminée, une partie de son esprit est toujours occupée à les recenser, à récapituler ce qu'ils font : Judith est là-haut. Susanna, à côté.
Et Hamnet ? Son esprit lance la ligne, lance, interloqué lorsque rien ne mord à l'hameçon. Cette réponse ne cesse de lui revenir : Hamnet est mort, est parti.
Et Hamnet? demande à nouveau son esprit. Est-il à l'école, en train de jouer, de se promener près de la rivière ? Hamnet ? Hamnet ? Où est-il ?
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Les pensées, dans la tête d'Agnes, s'étirent, puis se rétractent, s'étirent puis se rétractent. Elle se dit :
Cela n'est pas possible, cela n'est pas possible, comment vais-je continuer à vivre, comment allons-nous faire, comment Judith pourra-t-elle le supporter, que vais-je dire aux gens, comment allons-nous continuer, qu'ai-je fait, où est mon mari, que dira-t-il, comment aurais-je pu le sauver, pourquoi ne l'ai-je pas sauvé, pourquoi n'ai-je pas vu que c'était lui qui se trouvait en danger ? Et puis, les pensées se rétractent, et Agnes se dit : Il est mort, il est mort, il est mort.
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Au retour de son mari s'écoulent quelques instants pendant lesquels ce dernier ne la reconnaît pas. Son mari cherche sa bien-aimée, cette femme somptueuse aux lèvres pleines qui ne quitte jamais ses pots et son mortier, mais trouve à la place une personne maigre, prostrée dans son lit, que le manque de sommeil a rendue à moitié folle, qui ne semble plus obsédée que par une seule idée. Il trouve une femme que l'allaitement a décharnée, aux yeux cernés de gris, à l'expression à la fois désespérée et concentrée. Il trouve deux bébés identiques, au même visage impénétrable, l'un deux fois plus petit que l'autre.
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Le regard rivé sur sa belle-fille, Mary fronce les sourcils. Qu'a-t-elle vu? Que sait-elle ? Les paroles d'Agnes l'ont glacée, gênée, lui ont donné la chair de poule. Mary refuse de croire la plupart des choses qui se disent sur Agnes, qu'elle peut voir l'avenir, lire les lignes de la main, ou qu'importe. Mais à cet instant, pour la première fois, elle comprend ce que veulent dire les gens. Agnes est d'un autre monde. N'est pas à sa place parmi eux. Mary ne peut la laisser mourir. Que dirait-elle à son fils ?
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Mais quelques instants plus tard, la voix d'Agnes s'élève, prononce des paroles - si tant est que les sons décousus qui sortent de sa bouche puissent être appelés ainsi.
«Je n'aurais jamais... bredouille-t-elle, à court d'air, d'une voix qui n'est plus qu'un murmure. Je n'aurais jamais... J'avais tort... Il n'est pas là... Je ne peux...
- Vous pouvez, dit la sage-femme agenouillée par terre. Et vous y arriverez.
- Je ne peux... » Agnes agrippe le bras de Mary, le visage trempé, les yeux fous, luisants, aveugles, espérant qu'elle comprenne. « ... Ma mère, voyez-vous, est morte... et... je l'ai chassé... je ne...
- Vous... commence à lui répondre la sage-femme, mais Mary la fait taire aussitôt.
- Taisez-vous. Concentrez-vous sur votre tâche.»
Elle prend entre ses mains le visage livide d'Agnes.
« Qu'y a-t-il? » souffle-t-elle.
Agnes lève la tête vers elle. Ses yeux pailletés sont suppliants, terrifiés. Jamais auparavant Mary n'a vu un tel regard dans ce visage.
«C'est à cause de moi... murmure Agnes. C'est à cause de moi... qu'il est parti... puis ma mère est morte.
- Je sais pour votre mère, répond Mary, émue. Mais vous ne subirez pas le même sort. J'en suis certaine.
- Vous êtes forte.
- Elle... elle était forte. »
Mary lui serre la main.
« Tout ira bien, vous verrez.
- Mais je n'aurais... répond Agnes. Je n'aurais jamais dû...
- Quoi ? Qu'avez-vous fait ?
- Je n'aurais jamais dû l'envoyer... à... à Londres..
C'était une erreur... J'aurais...
- Ce n'était pas vous, répond Mary d'une voix rassurante. Mais John. »
La tête d'Agnes vacille, puis son cou se tord vers Mary.
« C'était moi, murmure-t-elle, mâchoire serrée.
- C'était John », insiste Mary.
Agnes secoue la tête.
« Je n'y arriverai pas », dit-elle dans un cri étouffé.
Elle serre douloureusement la main de Mary. « Prendrez-vous soin d'eux ? Vous et Eliza. Le ferez-vous ?
- De qui prendrons-nous soin ?
- Des enfants. Le ferez-vous ?
- Bien sûr, mais...
- Ne laissez pas Joan les prendre.
- Certainement pas. Jamais je ne...
- Pas Joan. Tout le monde sauf elle. Promettez-moi. »
Son visage est délirant, exténué, ses ongles sont plantés dans la chair de Mary. « Promettez-moi que vous veillerez sur eux.
— Je vous le promets. »
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Elle grandit avec un sentiment de malaise, celui de ne pas être à sa place, d'être trop sombre, trop grande, trop indisciplinée, trop assurée, trop silencieuse, trop étrange. Elle grandit en se rendant compte qu'elle es tout juste tolérée, jugée inutile, agaçante, qu'elle ne mérite pas d'être aimée et devra changer en profondeur se broyer elle-même si elle veut espérer se marier. Mai elle grandit aussi avec le souvenir de ce que cela fait d'être véritablement aimée, aimée pour ce que l'on es et non ce que l'on devrait être. Elle espère se souvenir suffisamment bien de ce sentiment pour pouvoir le reconnaître si elle le rencontrait à nouveau. Le cas échéant, elle n'aurait aucune hésitation.
Elle le saisirait à deux mains, consciente de détenir le seul moyen de s'échapper, de survivre. Elle resterait sourde aux protestations, aux objections, aux tentatives que feraient les autres pour la raisonner. Cette occasion sera la seule, sera le trou dans la pierre, et rien ni personne ne l'empêchera de s'y faufiler.
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Comme un astronome déchiffre les plus infimes altérations dans l'alignement des planètes et des sphères, l'aîné pouvait prévoir le sort qui l'attendait par la simple observation de l'humeur et du visage de son père. Il pouvait prédire, au bruit que faisait la porte de la maison quand il rentrait, au rythme de ses pas sur le sol dallé, si les coups pleuvraient ou non. De l'eau renversée de la louche, une botte laissée au mauvais endroit, un air jugé insuffisamment respectueux - tels pouvaient être les prétextes cherchés par son père.
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Le palais du père de Lucrèce était un édifice versatile, aussi changeant qu’une girouette. Il donnait parfois l’impression d’être l’endroit le plus sûr au monde, un roc protégé par une garnison entière, abritant les enfants du grand-duc comme une vitrine abriterait des figurines de verre ; et parfois il semblait aussi oppressant qu’une prison.
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Il ne peut pas lui vouloir de mal, puisqu’il désire qu’elle l’embrasse, qu’il lui tend les lèvres, ces lèvres qui se trouvent juste sous les siennes, qui maintenant appuient, recouvrent sa bouche, tandis que sa grande main encercle sa nuque, un geste que personne ne pourrait accomplir s’il était prévu, s’il était planifié que – non, c’est impossible, elle s’est trompée, il l’aime forcément, la chérit forcément, la respecte, car personne sinon ne lui donnerait un tel baiser, chaud, passionné, à pleine bouche avec la pointe de la langue, personne, non, personne ne pourrait en même temps nourrir le projet de tuer quelqu’un et l’embrasser comme s’il cherchait à verser son âme en elle ?
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La peur commença à l’envahir comme la mousse envahit une pierre. Elle sentait que quelqu’un ou quelque chose s’était glissé derrière elle, là, dans son dos. Elle resta immobile devant son assiette vide tandis que l’angoisse montait. C’était une chose sombre, gélatineuse, aux contours incertains et changeants ; elle n’avait pas d’yeux, seulement une bouche béante et mouillée d’où sortait un souffle humide, gazeux. Cette chose – Lucrèce le savait sans même avoir besoin de se retourner – était sa mort. Si ce mariage se réalisait, elle mourrait, comprit-elle, peut-être pas tout de suite, mais bientôt. Jamais plus ce spectre, fantôme de sa propre déchéance, ne la quitterait.
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C’est à cet instant, agrippée au rebord de la fenêtre, qu’elle la découvrit : une forme effilée, sinueuse, se mouvant d’un bout à l’autre de la cage. La tigresse ne semblait pas marcher, mais couler, comme si son essence même était fluide, bouillonnante, telle la lave d’un volcan. Dans le noir, les barreaux de la cage en regard des rayures de son pelage semblaient presque invisibles. La tigresse était orange, couleur de vieil or, feu fait chair ; elle était puissance et colère, elle était exquise et féroce. Elle portait sur son corps les barres verticales d’une geôle, comme marquée pour ce sort précisément, comme destinée à la captivité depuis le départ.
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La certitude selon laquelle il nourrit le projet de la voir mourir est comme une présence à côté d'elle, un oiseau de proie au plumage sombre posé sur le bras de sa chaise.
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