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Citations de Manuel Mujica Lainez (12)


C’est pourquoi je l’ai véritablement aimée quand elle n’existait pas encore pour moi et quand elle n’exista plus pour personne, c’est-à-dire quand elle ne fut plus qu’une entéléchie seigneuriale, sans corps, sans voix, sans parfum, sans désir, un archétype inaltérable et somptueux.
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Les rapports étaient régis par la célèbre formule de Machiavel sur la justification des moyens par la fin. Le crime et la trahison étaient excusés et même applaudis si les motifs de leur objet dépassaient largement l’horreur qui s’oublie et la nausée éphémère. J’étais un homme de mon temps que les circonstances avaient fait plus mauvais que la moyenne.
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Le tendre paysage de la Toscane m’environnait avec ses ondulations soulignées par des rangées de cyprès. Il eût suffi de couvrir d’or le fond bleu du ciel pour transformer notre petit groupe en un de ces cortèges minuscules et bien détaillés qui avancent au-dessous d’anges rigides entre des escarpements, des vignes, des tours et des arbres triangulaires à travers les perspectives abruptes des peintures anciennes.
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Que signifiait ce portrait ? Que m’apprenait-il ? Debout devant l’autel, je m’efforçais d’interpréter son symbole. Voulait-il dire que face à notre vérité, que nous croyons unique, il existe d’autres vérités ? Que face à l’image que nous nous formons d’un être (ou de nous-mêmes) d’autres multiples images s’élaborent, provoquées par le reflet de chacun sur les autres, et que chaque personne, comme le peintre Lorenzo Lotto par exemple, nous recrée par son interprétation et son jugement en nous incorporant un peu de sa propre individualité, de telle façon que, si nous nous plaignons de ce que quelqu’un ne nous comprenne pas, ce que nous repoussons – ne voulant pas le reconnaître pour nôtre – est l’essence la plus subtile de sa richesse qu’il mêle involontairement à nous afin d’accorder ce que nous représentons pour lui à sa vision de la vie ? N’existerions-nous pas comme des entités particulières et indépendantes ? Chacun de nous serait-il le résultat contradictoire de ce que les autres font de lui, de ce que les autres forgent par besoin de transposition harmonieuse ressenti comme moyen de communication, par ce besoin de se voir soi-même en voyant l’autre ? Chacun de nous serait-il tous si nous sommes faits d’échos que les autres emportent avec eux ? Allons-nous de par le monde entre des miroirs déformants, étant nous aussi des miroirs ?
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Plus qu’ailleurs on sentait à Florence la puissance de la vie ; on sentait battre, vibrer et frémir la ville de porte en porte. On y sentait l’art également, la présence permanente et vitale de l’art. Les visages et les gestes se transfiguraient dans cette atmosphère comme s’ils eussent eu besoin du fond familier de la peinture ou du modelé des marbres et des bronzes pour s’y découper avec une intensité favorable
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Les noyades, strangulations, intoxications définitives, traitements par le garrot ou le poignard et autres boucheries alternaient dans les récits généalogiques que ma grand-mère m’avait faits durant mon enfance avec la splendeur des prouesses militaires, les triomphes du mécénat des arts et les gloires de la sainteté. J’ai grandi dans une atmosphère où le crime était aussi naturel que l’exploit guerrier ou le mariage avantageux
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Ils rappelaient les héros de l’Antiquité chantés par les rhapsodes ou faisaient songer aux époques primitives, simples et efficaces, quand nos complications raffinées étaient inconnues et que les hommes responsables distinguaient clairement le bien du mal et les plaçaient avec raison dans des camps opposés.
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D’une fourmilière italienne à l’autre, les fourmis allaient et venaient par tous les chemins. Elles avançaient en files ondulantes. Quand leurs caravanes se croisaient, elles s’arrêtaient pour se saluer et parlementer, puis continuaient leur route avec leurs chargements multicolores. Pour Dieu – et pour moi aussi qui revois aujourd’hui cet empressement à une distance qui égalise les orgueils –, les étendards semblaient des brins d’herbe et les seigneurs armés des insectes brillant au soleil d’hiver. Fourmillants, ils montaient et descendaient les collines, pénétraient dans des défilés, passaient à gué des rivières. Était-ce ici une feuille verte ou un dais ? Et là, une ville aux nombreuses tours ou une pierre tombée dans l’herbe ? Ils allaient et venaient, charriant des choses resplendissantes, mais on voyait qu’ils le faisaient sans plaisir, pour obéir à des ordres, à des coutumes, à des vanités. Une de ces fourmilières s’appelait Bologne et abritait une fourmi spéciale appelée Empereur.
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Il toucha un ressort que je ne vis pas et un panneau de bois coulissa contre le mur. Il y avait à Bomarzo des couloirs et des chambres secrètes dont même les propriétaires ignoraient parfois l’existence, si vieux était le château ! Aux XIIe et XIIIe siècles par exemple, plus de cent propriétaires, descendants des nobles francs et lombards qui l’avaient habité dans le passé, vivaient sous le gouvernement d’un vicomte, d’un vice comes Castri Polimartii ; héritiers minuscules – dans certains cas leurs possessions n’atteignaient que la cinquantième partie de la seigneurie – entassés dans une promiscuité batailleuse, ils se détruisaient mutuellement pour des bagatelles et avaient multiplié les cachettes, percé les murailles de toutes parts pour se protéger les uns des autres et garder leurs médiocres trésors dans des terriers obscurs. Quand plus tard Bomarzo m’appartint tout entier, je découvris moi-même un passage souterrain qui faisait communiquer le château et le Bois Sacré dans la vallée et j’en fis grand usage.

Dans la cavité ouverte par le glissement du panneau travaillé, je ne vis qu’une épaisse obscurité. Mon père prit un candélabre, alluma les trois bougies et me poussa à l’intérieur. Il posa les lumières sur le sol et à leur éclat je découvris une pièce basse et vide, sans fenêtre, et qui sentait le moisi. Comme je me retournais pour implorer miséricorde, le regard de mon père et le mien se croisèrent une seconde ; il paraissait hésiter. Qui sait ? Peut-être en cet instant fugace perçut-il ce je-ne-sais-quoi qui émanait de moi comme un présage voilé ; mais il se reprit dans l’instant et la porte s’ajusta à l’ouverture. Je restai seul.

La pièce était complètement vide à l’exception d’une masse allongée à l’extrémité opposée ; j’approchai craintivement et poussai un cri. De même que dans le grenier aux coffres, ma voix stridente résonna sur les murs et se mêla à des éclats de rire que j’entendis dans la pièce où était resté mon père ; mais ce n’étaient pas seulement les siens, Girolamo était là sans doute, jouissant avec lui de ce qu’ils prenaient pour une bonne farce.
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Sandro Benedetto, physicien et astrologue de mon parent Nicolas Orsini, le célèbre condottiere qui, après sa mort, fut comparé aux héros de l’Iliade, dressa mon horoscope le 6 mars 1512, jour où je naquis à deux heures du matin, à Rome. Trente-sept années auparavant, en 1475, également un 6 mars, également à deux heures du matin, Michel-Ange Buonarroti avait vu l’inquiète lumière du jour dans un hameau étrusque. La concordance ne dépasse pas la coïncidence fortuite des heures et des dates. En vérité, les astres qui présidèrent à nos apparitions respectives sur l’échiquier de la vie y disposèrent les pièces pour des parties bien différentes. Quand Buonarroti naquit, Mercure et Vénus s’élevaient, nus et triomphants, vers le trône de Jupiter. C’était le bal du ciel, la contredanse mythologique qui reçoit les créateurs presque divins. La gloire attendait celui qui ouvrait les yeux sous la splendeur du firmament, salle illuminée de tous ses candélabres entre lesquels, transparents, cérémonieux et lents, les dieux voguaient dans l’air scintillant. Quand je naquis, au contraire, Sandro Benedetto signala d’importantes contradictions dans la cartographie de mon existence. Certes, le Soleil, dans le signe de l’eau, renforcé par mon aspect favorable face à la Lune, me conférait des pouvoirs occultes et la vision de l’au-delà, de même qu’une vocation pour l’astrologie et la métaphysique ; certes, Mars, régent primitif de la Maison VIII, celle de la Mort, de même que Vénus, sa régente occasionnelle, étaient installés – Benedetto le souligna avec insistance – dans la maison de Vie, annulant ainsi leur pouvoir de mort ; de plus, leur aspect favorable par rapport au Soleil et à la Lune semblait m’accorder une vie sans limites, ce qui étonna ceux qui virent le manuscrit décoré ; Vénus, en bonne position face aux luminaires, indiquait une disposition pour les inventions subtiles de l’art. Mais il est aussi effroyablement vrai que le maléfique Saturne, agressivement placé, présageait pour moi des malheurs infinis sans que Jupiter, impuissant face à l’ingrate disposition des planètes, réussît à neutraliser ces infortunes annoncées. Ce qui étonna surtout le physicien Benedetto et tous les connaisseurs en ces graves choses qui virent l’horoscope fut, comme je l’ai déjà dit, la mystérieuse absence de terme à la vie – à ma vie – qui se déduisait de l’annulation de Vénus et de Mars (contredisant la nécessité logique de la mort) et, par conséquent, l’hypothétique et absurde projection de mon existence tout au long d’un espace illimité. Je sais que quelques experts critiquèrent le travail prolixe de Benedetto, dont je fis copier à fresque, un demi-siècle plus tard, les signes et les figures splendides dans une des pièces principales du château de Bomarzo. Ils alléguèrent que cette combinaison était impossible, mais la science de son auteur, tant de fois démontrée, ferma leur bouche bougonne.

(INCIPIT)
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Les artistes sont des dieux à leur manière, ils corrigent les erreurs ou les farces de Dieu.
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Qu'on me pardonne cette vanité oursonne, mais je considère les ours comme des parents, ils m'importent beaucoup. Après tout, ma vanité est excusable, elle appartient à cette forme particulière de snobisme qui affligea et exalta indistinctement grands et petits à cette époque et qui n'a rien perdu de son influence sur l'évolution du monde, même dans les pays communistes.
Pages 30 et 31
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