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Critiques de Mariam Petrosyan (164)
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La Maison dans laquelle

Je viens d'achever ma première lecture de ce roman après une immersion de près de 15 jours. Je dis bien ma première lecture car il y en aura d'autres.



Je ne vais pas faire de suspense, je crois que je n'ai jamais rien lu d'aussi incroyable depuis des années et je ne pensais plus me retrouver dans un tel état à cause d'un roman. Pendant 15 jours j'ai eu deux vies, mettant presque ma vie réelle entre parenthèses pour rêver ce roman quand je ne le lisais pas. J'ai tenté d'être un peu adulte en le dégustant petit à petit, en essayant de ne pas le gober d'un coup d'un seul et peut être aussi de me préserver car je savais qu'il n'y avait pas de suite.



Je voudrais parler du livre, l'objet. C'est quand même quelque chose cette couverture! Cette texture, cette écriture à craie et tout le mystère qui est fait autour. Le papier est spécial, l'odeur est peu commune de même que les typographies. Tout est fait dès le départ pour qu'on se dise bien qu'on est pas face à un quelconque roman fantastico-jeunesse. Je l'ai gardé sur mes genoux au moins une heure avant d'oser l'ouvrir et le lire. Je me suis surprise plusieurs vois à juste en caresser la couverture, à renifler les pages en lisant, presque à vouloir plonger littéralement dans ce livre et en faire ma maison.



Puis j'ai osé l'ouvrir, le lire et dès la première page d'étais foutue.

Foutue parce que c'est exactement la lecture dont j'avais besoin à ce moment précis et que par conséquent, j'ai envoyé valdinguer tout le reste.

L'auteur a un don pour fabriquer des personnages plus charismatiques les uns que les autres. Je les ai tous aimés comme des amis proches. Peut être avec une mention spéciale pour Chacal Tabaqui, personnage que j'ai trouvé particulièrement délicieux et haut en couleurs. Chaque nom a une raison tout comme chaque détail est étudié.

Les thèmes de fond abordés sont souvent difficiles: handicap, adolescence, la mort, le suicide... Mais ils sont abordé avec une vision neuve et fraîche, avec convictions sans tabou mais sans impudeur pour autant.

Les ambiances et décors sont propices à l'imagination, à la création.

Dans une seule bâtisse, Mariam Petrosyan a créé un monde, que dis-je, un univers entier.Un univers fait de contes, de croyances, de violences, de rites initiatiques, d'amitiés sincères, de folie, de peine...Un univers d'une réelle complexité, répondant à ses propres codes.



Je peux concevoir qu'il est un peu difficile d'entrer dans ce monde mais l'immersion est assez progressive: l'auteur nous mets dans la peau d'un nouvel arrivant puis nous donne des images du passé, puis retour dans la peau de personnages un peu plus important...de sorte qu'au fil du livre on se sent toujours plus familier avec la maison, ses occupants et l'intrigue. Pour autant, reste une grande part de mystère propices aux divagations des imaginations fertiles. Pour moi c'est du pain béni.

C'est ce qui rend ce livre infini, car au delà des 960 pages, reste le souvenir et les questionnements qui maintiennent le roman en vie dans mon esprit.



Peut êtres vous, qui lisez ma critique, me trouverez un peu extravagante dans ma manière de retranscrire mon expérience. Mais vraiment, j'ai rarement été autant prise par un roman.



A ce titre je voudrais adresser mille mercis à Babelio et aux édition de Monsieur Toussaint Louverture pour l'envoi de ce roman magnifique, que je n'aurais probablement jamais acheté de moi-même. Vous m'avez offert l'une de mes plus belles expériences de lecture depuis bien des années.

Merci merci merci!
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La Maison dans laquelle

La maison dans laquelle... vivent des enfants étranges.

La maison dans laquelle... le temps et les événements semblent avoir une autre dimension.

La maison dans laquelle... chacun est identifié uniquement par son surnom.

La maison dans laquelle... les adultes sont à la fois présents et curieusement absents.

La maison dans laquelle... on ne comprend pas toujours tout.



Derrière ce titre mystérieux, tronqué, et cette 4ème de couverture plutôt inquiétante ("Ne pas frapper. Ne pas entrer") se cache un pavé de presque 1000 pages, totalement inclassable.

Le point de départ : une maison étrange, à part, dont on comprend vite qu'il s'agit d'une sorte de foyer pour enfants et adolescents handicapés. Plusieurs narrateurs et/ou points de vue (ce n'est pas toujours à la 1ère personne), mais aussi 2 époques (l'enfance puis l'adolescence des principaux protagonistes). L'intrigue principale réside, quelle que soit l'époque, dans l'acceptation des uns et des autres par leurs congénères, mais aussi dans les rapports de force entre les enfants et entre les groupes qui se créent (là encore aux surnoms évocateurs : les Chiens, les Oiseaux...). Néanmoins, on sent qu'une tension s'installe, on va vers un point d'orgue... La proche "sortie" du groupe que l'on suit depuis l'enfance, car ils atteignent ce que j'imagine être leur majorité... Que faire après la Maison ?



Difficile voire impossible à résumer, ce roman est extrêmement complexe, et même une fois terminé j'avoue ne pas avoir tout compris. Même si les personnages sont listés à la fin, ils sont nombreux, et surtout leur surnom peur changer entre l'enfance et l'adolescence. On en reconnaît certains, mais pour d'autres je reste incertaine...

D'autre part, tout est vécu et décrit à l'aune de la perception de ces enfants, dont certains sont un peu, voire carrément illuminés. Ils sont dans un univers fermé, leurs relations ne sont pas décrites objectivement, mais selon leurs propres codes. Enfin, leur vie reste soumise aux aléas de leurs handicaps (moteurs, sensitifs, mentaux...) et cela crée une ambiance très particulière d'entraide mais aussi de vie à la dure.



Attention, ce roman n'est, à mon sens, pas fantastique, dans le sens où ce qui s'y produit d'apparemment surnaturel ne l'est que dans l'esprit ou le folklore des protagonistes. Néanmoins, ne vous attendez pas à une lecture "1er degré" ! S'il y a, à mon sens, un peu de "Guerre des boutons", mais aussi de "Harry Potter" ou de "Miss Peregrine", ne vous y trompez pas, ce roman n'est pas pour le jeune public et ne ressemble à rien de connu !



Pour autant, il est indéniablement envoûtant, captivant, vaguement effrayant (ils sont flippants ces gosses finalement !). Je regardais le livre en coin par moments, en me disant "J'y vais, j'y vais pas ?", car c'est vraiment ça cette lecture : une plongée dans un univers fantasmagorique et cruel à la fois. Et j'ai aimé plonger !



Quant au style, il colle bien avec l'ambiance. Au final, même si je n'ai pas tout compris (mais apparemment je ne suis pas la seule !), j'avoue que ce roman est (presque) un coup de cœur tant son côté inclassable, audacieux et dérangeant en fait un objet littéraire séduisant !
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La Maison dans laquelle

La Maison dans laquelle est un roman russe qui a connu un grand succès dans son pays d'origine raflant même des prix comme le Big Book Russian Literary Prize en 2009. Il conte la vie de jeunes adolescents, handicapés, cabossés par la vie et pensionnaires d'une Institution spécialisée, la fameuse Maison. À l'intérieur, chaque adolescent est réparti dans les bâtiments, en fonction de son sexe (garçons et filles sont séparés) puis d'un clan (cinq groupes) dans lequel la loi du plus fort règne en maître. Mais, dès l'âge de dix-huit ans, les pensionnaires devront quitter la Maison et affronter l'Extérieur.



Cette année, La maison dans laquelle arrive en France, publiée par les éditions Monsieur Toussaint Louverture que je remercie au passage ainsi que Babelio pour me l'avoir fait découvrir en avant-première. Malheureusement, je reste partagée sur ce roman et je tiens sincèrement à m'en excuser, mais je n'ai pas pu le finir (j'en suis restée à 580 pages). J'ai néanmoins matière pour la rédaction d'une critique et je souhaite exposer les raisons de mon avis mitigé.



Je vais d'abord commencer par la physionomie du livre : la couverture est originale tout en restant sobre et le papier de bonne facture. Le prix de 24,50€ pour un roman de cet acabit (grand format et atteignant quasiment les 1000 pages) n'est pas élevé. En revanche, le livre est lourd (1,3 Kg), difficile à tenir en main, même allongé et impossible à prendre dans les transports en commun. D'habitude, je n'y suis pas favorable mais un fractionnement en deux tomes n'aurait peut-être pas été une mauvaise idée.



Ensuite, ce roman, destiné aux adolescents ou aux jeunes adultes, part avec deux handicaps, pour moi :

- Le nombre de pages (960 pages) qui peut rebuter dès le départ. Il s'agit d'un véritable défi pour un auteur car il n'est pas question de perdre son lecteur en cours de route. Il faut savoir maîtriser son récit pour susciter l'intérêt chez lui et l'envie de poursuivre. Pour ma part, rares sont les romans qui y sont parvenus mais je citerai des maîtres en leur genre : Tolkien avec le Seigneur des Anneaux, Martin et son Trône de fer, Jaworski avec Gagner la guerre ou Follett avec les Piliers de la Terre. Ici, malheureusement, rien de comparable : l'intrigue est linéaire, sans véritable rebondissement. J'ai commencé à m'ennuyer à 200 pages me demandant quand l'action débuterait puis j'ai abandonné la mort dans l'âme à 580 pages...

- Le deuxième handicap est pour moi le huis-clos qui est un exercice très difficile à maîtriser pour un écrivain. La totalité de l'intrigue se déroule dans cette fameuse maison et son jardin. Malgré la taille de cette institution, j'ai eu vite l'impression d'en faire le tour et j'avais très envie de découvrir l'extérieur (peut-être que cela aurait pu redonner un second souffle à l'intrigue). Certes, je pense que l'auteur souhaitait montrer à quel point l'omniprésence de cette maison avait une totale emprise sur la vie de ses pensionnaires au travers de l'enfermement, de la violence et de la mise à l'écart par rapport à l'Extérieur. Mais, je me suis totalement lassée, d'où mon abandon.



Il existe aussi une autre raison à ma déception : j'ignore pourquoi, mais j'étais persuadée que La maison dans laquelle était un roman fantastique. Le synopsis le laissait présumé ainsi que la feuille de présentation, reçue avec le roman. En effet, Fabrice Colin, qui est un auteur de roman de Fantasy, a été interviewé à propos de la lecture de ce livre. Et d'autres indices comme la citation de Cormac McCarthy (auteur d'une dystopie avec La Route) ou de Stephen King (que je ne présenterai pas) ou la mention de terme comme "gothique", "Buffy", "les enfants perdus de Peter Pan" ou le "Poudlard abandonné" m'ont envoyé sur une fausse piste. Maintenant, il est possible que des éléments fantastiques apparaissent dans les 320 dernières pages...



Enfin, je souhaite terminer sur une note plus positive. La maison dans laquelle possède aussi des qualités :

- un style d'écriture somme toute agréable et fluide

- Il est un roman choral, genre littéraire que j'affectionne particulièrement. Les personnages qui interviennent au fil du récit, malgré leur trop grand nombre, sont très attachants. Et l'auteur a davantage mis l'accent sur leur psychologie très développée plutôt que sur l'intrigue. Ainsi, le changement de personnages permet un peu de pallier le manque de dynamisme du récit.



En conclusion, La maison dans laquelle est un roman déroutant et atypique mais sur lequel, je reste partagée pour toutes les raisons invoquées plus haut. Néanmoins, il n'est pas impossible que les lecteurs adolescents à qui s'adressent ce roman, s'identifient mieux que moi aux personnages et rentrent davantage dans l'univers imaginé par Mariam PIETROSYAN.
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La Maison dans laquelle

Tout d'abord j'aimerai m'excuser de mes 5 jours de retard pour poster cette critique de "La maison dans laquelle" reçu à la dernière masse critique. Mais il faut dire que j'ai eu du mal à venir à bout de ce pavé et pas uniquement à cause de ses 954 pages. La lecture a été par moment poussive et plusieurs fois j'ai été tenté d'abandonner.



Pourtant dans le fond il y a de bonnes idées, des représentations novatrices et c'est le genre de roman que l'on trouve pas partout.

Nous sommes dans un huis clos. Une maison faite pour adolescents handicapés, de leur plus jeune age jusqu'à leur dix huit ans. Ils n'en sortent jamais, sont totalement coupés du reste du monde qu'il voit alors comme l'Extérieur. Pour eux seule la maison existe. Les adolescents s'y regroupe en clan, se font la guerre dans la plus totale anarchie. Il règne dans la maison une ambiance de chaos, de saleté et où seul la loi du plus fort dirige. Les adolescents passent leur temps à boire, fumer, avachi sur leurs lits à débiter des âneries. Bref c'est carrément bizarre comme établissement. Peut être un concept russe...



Pendant le premier tiers du livre j'ai attendu impatiemment qu'une intrigue s'installe. Après avoir saisi l'étrangeté de la maison, fait connaissance avec les différents gamins qui ne s'appellent que par des surnoms du style fumeur, chacal ou gros lard, bien compris que c'était tous des cinglés je pensait qu'il allait enfin se passer quelque chose. Et bien non. pas d'intrigue. J'ai donc changé ma façon de lire ce livre. Petite touche par petite touche, pour suivre ses adolescents handicapés dans leur année scolaire. Cela a fonctionné au début et puis je me suis vite lassé. Il faut dire qu'il y a de vrai longueur, où l'auteur nous raconte les délires de ses adolescents. J'ai pas bien compris, j'ai même été perdu par moment et voire franchement agacé ce qui faisait qu'il m'arrivait de lire certains passages en diagonale ce que j'ai pourtant horreur de faire! Alors peut être que je suis passée à côté de certaines métaphores lyriques je ne sais pas...



On s'attache pourtant à cette bande de gosses perdus, schizophrène pour la plupart, franchement psychopathe pour d'autre. Et au final on a envie de finir ce livre pour une raison : savoir comment va se passer la transition à leur monde (la maison) vers l'autre (l'extérieur). Et là encore une fois j'ai été déçu, j'ai pas tout bien compris et plein de questions sont restés en suspend.



Vous l'aurez compris je n'ai pas vraiment réussi à apprécier cette lecture bien que tout ne soit pas à jeter dans ce livre. A noter qu'il a eu plusieurs récompenses en Russie et que beaucoup de critiques de Babelio sont enthousiastes. Je crois que soit on plonge tout entier dans cet étrange univers soit on reste sur le palier...



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La Maison dans laquelle

Oubliée dans un terrain vague entre des barres d'immeubles blanches, la Maison est un mystère. Une porte entrouverte sur un monde à part, où les frontières du tangible se brouillent au hasard des rêves, des fantasmes et des terreurs de ses habitants. La Maison est un asile, où se sont succédées des générations d'enfants et d'adolescents, brisés, fêlés, handicapés, cinglés, tous ceux dont les autres écoles ne veulent pas et dont les parents ne savent pas quoi faire.

Sous le regard souvent impuissant d'une poignée de professeurs effarés et d'éducateurs plus ou moins compétents, bien à l'abri de l'extérieur, ils ont tissé leur monde à eux, érigé leurs propres lois. A moins que la Maison l'ait fait pour eux ? La Maison est à eux et ils lui appartiennent, corps et âme pour certains, les plus puissants, qui règnent sans partage mais non sans conflits.

Un jour pourtant, ils auront 18 ans et il faudra partir, affronter cet extérieur menaçant qui en a déjà brisé certains, que d'autres n'ont jamais connu, pour lequel ils sont si mal dressés et que beaucoup rejettent avec une obstinée violence.

Ce jour est loin encore mais il arrivera, inexorable. Et ce jour-là, tout pourra arriver, surtout le pire. A moins d'inventer un autre chemin ?



On l'a comparée à beaucoup d'autres oeuvres, cette curieuse Maison - comme tout objet littéraire ou autre que l'on peine à cerner et qu'on tente tant bien que mal de décrire. A Sa Majesté des Mouches, pour la violence vertigineuse de ses bandes de gamins et de leurs lois. A la trilogie de Gormenghast de Mervyn Peake pour son sens de la démesure et l'étrangeté gothico-baroque de son univers. A Lewis Caroll, que cite souvent l'auteur, pour la loufoquerie surréaliste de ses inventions. J'ai beaucoup pensé, aussi, aux premiers textes de ma très chère Poppy Z. Brite pour cette poésie de l'adolescence, toute de rébellion, de colère, de noirceur, de magie et de grâce fragile.

Il y a un peu de tout cela, oui, dans ce roman, et bien plus encore. Une main talentueuse, très personnelle, qui prend tout son temps pour tisser, fil à fil, une toile aux reflets d'infini. De l'humour, souvent incongru et d'autant plus irrésistible. De beaux personnages, puissants, qui ne sont pas près de me quitter. Rate, avec ses miroirs et ses ongles entachés de sang. Sphinx, sa sagesse et ses mystères. Bossu, ses silences et sa musique. Noiraud, tout en rage rentrée et en méfiance taiseuse. Vautour, toujours en deuil au milieu de ses Oiseaux. Lord, beau comme un dieu, plus explosif que toute l'Olympe réunie. La garçonne et impudente Rousse. L'extravagant Chacal, ses tenues bariolées, ses histoires invraisemblables qui en disent toujours plus qu'elles n'y paraissent. L'attachant Macédonien, sa douceur, ce don à double tranchant qui le dépasse et le dévore. Par dessus tout, l'inquiétant, le fascinant Aveugle, avec ses yeux glacés et ses longs cheveux sales, ses errances nocturnes, le lien très particulier qui l'attache à la Maison. Et les autres... Entre eux tous, des haines féroces, des rivalités cruelles, mais aussi et surtout des amitiés superbes, de celles que l'on tremble tant de voir se briser les ailes aux vents de l'âge adulte.

Tout repose avant tout sur l'ambiance, envoûtante, mais peu à peu une tension se crée à travers les confrontations de caractères, la révélation progressive de quelques fragments de passé. Une tension, puis un véritable suspense lorsque commence à se profiler le Dernier Jour, le fatidique jour du départ dont on ne sait, jusqu'au tout dernier instant, ce qu'il fera advenir.



Ceux qui aiment les récits concis, efficaces, ceux qui veulent des réponses précises aux questions soulevées par l'intrigue en seront pour leurs frais, et feraient même mieux de passer leur chemin. Ce récit est lent, très lent, et son dénouement soulève plus de mystères qu'il n'en résoud. Mais cette lenteur est exquise pour qui aime se laisser emporter par les mille petits riens essentiels qui forment la trame d'un monde, ces mystères sont délicieux pour qui préfère les pouvoirs infinis du rêve aux lois du rationnel. Un peu frustrants, peut-être, et pourtant, grâce à eux, l'imagination s'emballe bien au-delà des dernières pages et reprend à son compte ce que l'auteur a passé sous silence. Quel meilleur moyen d'envoûter ses lecteurs, et de faire d'une histoire l'histoire à mille visages de tous ceux qui se laisseront porter par elle ?



Je suis conquise, toute entière, et me dois de finir par moult remerciements - à Babelio, qui a eu l'excellente idée de me sélectionner pour cette lecture, comme aux éditions Monsieur Toussaint Louverture, pour cette très belle mise en forme de ce très beau roman.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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La Maison dans laquelle

J'ai reçu ce pavé (ce n'est pas péjoratif, c'est juste pour donner une idée de l'aspect massif de ce très bel objet-livre à la couverture dont j'adore l'aspect et la consistance, rouge sombre constellée de mouchetures argentées) dans le cadre d'une Masse Critique en avant-première de sa publication officielle le 1er mars 2016 et c'est à la fois un choc et un énorme coup de coeur pour moi !!!



Je suis assez rapidement entrée dans la lecture et même si ça a pu me paraître bizarre j'ai trouvé cette écriture au lyrisme baroque somme toute envoûtante.

L'histoire se construit en assemblant les faits présentés de différents points de vue par différents narrateurs en alternant deux déroulements chronologiques : l'enfance des « Anciens » qui s'apprêtent à quitter la Maison à la fin de l'année et les événements qui ont marqué cette année en question.

Le livre débute par le récit de Fumeur – tous les personnages du roman sont identifiés par un ou des surnoms – qui va passer d'un des groupes, une des classes, un des dortoirs de cet internat spécialisé pour enfants handicapés ou malades que l'on appelle La Maison, à un autre. Et l'on découvre alors que les six groupes d'enfants-adolescents hébergés à l'année dans cet établissement ont chacun un style, un mode de vie et des règles bien différenciés. Fumeur quitte donc le groupe 1 des Faisans, comportant ce qui ressemble à des élèves modèles, conformes à une certaine norme, pour intégrer le groupe 4 très fantaisiste dont le chef est L'Aveugle – chaque groupe a son propre chef et un genre de hiérarchie au sein de ses membres. Les habitants de la Maison sont aussi classés en plusieurs catégories déterminées par leur handicap (les Roulants en fauteuil et les autres) ou leur fonction (chaque groupe comporte des Log qui sont des membres messagers qui font passer les informations d'un groupe à un autre).

Ce qui m'a semblé étrange au début de la lecture c'est que j'avais du mal à m'imaginer que ces personnages étaient des enfants ou des adolescents. Les adultes semblaient peu présents dans leur quotidien et d'ailleurs, à part des moments à la cantine il était peu question d'heures de cours ou d'autres activités, la majorité des scènes se déroulant dans les dortoirs, les couloirs ou la cour de la Maison, dans un environnement s'apparentant à des squats ou un dépotoir ! Par ailleurs ces personnages, fument et boivent de l'alcool à n'importe quel moment et n'importe où !

Mais passé cet étonnement, et une fois que le lecteur accepte ce cadre, ce long roman est l'histoire d'une communauté qui cherche à maintenir l'équilibre précaire de son fonctionnement et l'on découvre ses rites, ses codes mystérieux, qui forment une véritable mythologie. Il y est question de rivalité et de fraternité, de différence et de marginalité, de solitude et de vie en collectivité, d'imagination et d'identité et en fait de comment chacun peut trouver sa place et apporter ses particularités dans un groupe.

Le récit de Fumeur qui découvre les lois et les membres du quatrième groupe, alterne avec l'histoire de l'enfance de Sauterelle – qui deviendra Sphinx en grandissant – sous la protection de l'Aveugle.

Et Sauterelle, lui, découvre les lois et les membres de la Maison en général, de son point de vue de petit bouc-émissaire tout faible dont le lecteur suit le parcours initiatique.

Je me suis vite attachée aux personnages qui sont comme une famille et c'est sans doute la raison pour laquelle j'ai ralenti ma lecture en arrivant vers la fin, comme si j'étais devenue l'un des leurs et que je refusais de quitter la Maison !

Les personnages de l'Aveugle et de Sphinx sont réellement charismatiques mais ma préférence va à Chacal-Tabaqui et au Macédonien dont les parcours et le caractère m'ont séduite.

Il est impossible de résumer un tel livre que j'ai envie de qualifier d'inclassable. C'est en tout cas une lecture hypnôtisante et un véritable hymne au pouvoir de la pensée et des mots.

J'ai également compris au fil de la lecture et en en acceptant la dimension fantastique que l'étrange impression que ces personnages – qui sont tout au plus de grands adolescents puisqu'ils doivent quitter La Maison en atteignant 18 ans - ont une très longue vie derrière eux dont ils aiment évoquer les instants passés était voulue et justifiée...



Je remercie Babelio et les éditions Toussaint Louverture pour cette découverte inoubliable !
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La Maison dans laquelle

Je pense que l’on peut, sans se payer de mots, parler ici d’OVNI romanesque. Et l’inconvénient avec les OVNI c’est précisément que l’on ne sait ps trop quoi penser de la chose : ça peut briller, tourner dans tous les sens, avoir des fulgurances ou encore vous saisir de stupeur, ça peut être d’une étrange beauté, ça n’en reste pas moins mystérieux… er l’on se demande bien que penser au final de tout ça : qu’est-ce que ça nous veut ? Comment vraiment établir le contact ? Échanger…

C’est exactement mon sentiment : une rencontre du troisième type. Une maison dans laquelle j’ai croisé des personnages pas du tout antipathiques non, mais dont la sympathie n’a rien d’arrachant non plus… ils m’ont laissé à distance. Un roman dont les évolutions, les zigzags, la musique et les couleurs sont d’abord une bien aimable distraction, d’autant qu’elle change du commun… mais ce ballet littéraire, les incessants allers et retour de ses petits « rats » sur le parquet de la maison dans laquelle on trouve tant de pièces et d’occasions nouvelles ne m’ont finalement mené nulle part.

Pour ceux qui connaissent, j’ai eu le sentiment, encore, d’assister à un épisode sans fin de strip-tease, cette émission qui jadis déshabillait le monde sans commentaire… elle offrait des rencontres étonnantes, variées, des tranches de vie parfois fascinantes, mais on en sortait chaque fois avec le sentiment que cette prétendue absolue vérité des instants révélés restait un monde à part. Une vérité locale et datée.



« Le monde de l’adolescence est moins agréable que celui de l’enfance, mais beaucoup plus intense et plus riche en émotions et en sentiments que celui des adultes. Le monde des adultes est ennuyeux. Les adolescents ont hâte de grandir, parce qu’ils croient que l’indépendance va leur apporter la liberté. Alors qu’en réalité, ils vont se retrouver dans une espèce de prison à vie, faite d’obligations et d’interdictions dont ils ne pourront sortir que lorsqu’ils auront atteint la vieillesse – pour les plus chanceux. […] » explique Mariam Petrosyan dans le journal espagnol La Vanguardia. Fumeur et les autres, tous plus ou moins bien lotis pour se confronter au monde, ne sont jamais, c’est une des grande qualité du roman, victimisés. Et la maison dans laquelle ils évoluent est un monde comme tout autre, avec ses règles propres, ses hiérarchies, ses coups du sort, ses mauvais coups comme ses bons, ses ambitions et ses ratés. Mais contrairement à bien d’autres aventures, il m’a manqué, dans cette recette savante, cette saveur qui m’attache aux protagonistes, à leur sort. Je suis resté tellement spectateur que je voyais trop encore les rideaux qui encadrent la scène, les projecteurs qui l’éclairent… tout juste si je ne voyais pas la tête du souffleur dépasser et un opérateur en coulisse toujours prompt pour les changements de décor.

Je n’ai aucun doute que le roman peut exercer une forme de fascination… mais c’est comme l’hypnose en somme, ça ne marche pas sur tout le monde.
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La Maison dans laquelle

Challenge ABC 2016-2017



Je ne sais pas trop quoi penser de ce roman... Je ne saurais dire si l'ai apprécié ou s'il m'a laissé indifférente...

L'histoire en elle-même est intrigante et pendant une grande partie du livre, le lecteur se demande dans quel univers il évolue, où et qui sont ces enfants... Puis peu à peu la magie se dissipe et la réalité se fait jour. Et cela devrait devenir triste (un peu au moins). Mais c'est là où plus rien ne se produit pour ces malheureux gamins. Et malheureux, ils le furent, jetés d'un endroit magique et protecteur dans un monde qui sera pour beaucoup hostile. On peut dire magique oui, parce que la Maison semble réellement plus qu'elle n'est, protégeant ou non ses pensionnaires, leur révélant ou non ses mystères.

Alors, est-ce parce que le livre est vraiment long et que je l'ai lu de manière fragmenté ou parce que trop de mystère, au bout d'un moment c'est lassant ? Je ne sais pas mais j'ai eu du mal à le terminer.
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La Maison dans laquelle

Je tourne la dernière page. Je ferme les yeux. Et reprends le début. Non pour feuilleter quelques pages ou pour éclaircir quelques points obscurs. Non, je vais juste le relire intégralement parce que ce n’est pas encore l’heure du départ, on va dire que j’étais chez les petits, je n’ai pas eu assez de Nuits des Contes, il nous faut encore du temps avant que notre tour n’arrive, je ne veux pas quitter ma maison.

Peut-être que l’aurore aux doigts de rose, l’homme de fer-blanc, les animaux qu’on apprivoise, la sirène qui passe un marché par amour, le Goéland, Yeats, Dylan et tous les autres m’ont fait me sentir chez moi, comme une connivence, une évidence. Et les reflets dans le miroir et l’Envers de la Maison m’ont fait passer de l’autre côté.

Et l’adolescence, la violence de ce passage, alors chausser ses lunettes colorées, s’envoler sur les ailes de Led Zep, ressentir au creux du ventre une vague qui monte en entendant l’intro d’Immigrant Song et clope au bec, ressentir les affres des premières amours. Does anybody remember laughter ?

Et la Maison, le goût de son plâtre …

Je suis devenue un sauteur, j’ai basculé dans un autre monde, j’ai été une partie de la Forêt. Je suis devenue un tombant, je suis passée de l’autre côté du miroir et comme Elle, je suis "tombée très lentement dans un puits très profond". Très Irrationnel…



Pour la deuxième fois, je tourne la dernière page. Il va bien falloir me résoudre à sortir de ce bouquin. Sur la dizaine de milliers qui me sont passés entre les mains, seuls quatre ou cinq m’ont fait cet effet.



« Il est bien difficile de renoncer à un rêve. Il est plus facile de compliquer le chemin qui y mène plutôt que de se résoudre à le croire irréalisable. »

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La Maison dans laquelle

Des ados, éclopés par la vie et organisés en bandes, sont livrés à eux-mêmes dans une institution, une Maison dont on distingue mal les limites et les contours, avec ses propres codes et règles.



La Maison. On s'y attache et on s'en inquiète. On la vénère et on la craint.

On croit la connaître quand elle est insaisissable. Alors on poursuit sa progression, son exploration.

Elle nous abrite, elle nous soigne. Elle nous perd, nous bouleverse.

Elle nous tue.



Expérience de lecture unique, atypique, emplie de passages hallucinants, hallucinés, mais surtout envoûtants. Une expérience de lecture qui ne serait pas la même sans la puissante magie insufflée dans l'objet-livre lui-même. Une expérience sensorielle à lui-seul. Merci Monsieur Toussaint L'Ouverture.

Pleine d'un fantastique dérangeant ou merveilleux, l'ambiance y est hypnotique, elle nous retient captif·ve. Et pour rien au monde on la quitterait. L'extérieur n'existe plus. L'Après non plus.



Pourtant ses changements de points de vue, de narration, de temporalités, de typographies, toutes ses étrangetés et impossibilités pourtant matérialisées, palpables, pourraient inquiéter. Comme ses 1000 pages d'une densité de brique et de craie. Ses pertes de repères.



Mais passer les portes de la Maison, c'est être accueilli par ses habitants comme l'un·e des leurs. S'ils paraissent tous bizarres au premier abord (et parfois aux suivants aussi), chacun a ses particularités, son histoire à raconter. Ils nous font une place dans leur bande, au milieu de leur lit d'oreillers. Ils deviennent nos pires ennemis et nos meilleurs amis.



Certes, il faut accepter de ne pas tout comprendre, de ne pas avoir toutes les réponses : certaines choses n'appartiennent qu'à la Maison et ses enfants.

Accepter de se perdre, de se laisser avaler, guidé·e par la Maison elle-même. Jusqu'à ce qu'elle nous digère ou qu'on retrouve son chemin.



J'ai tourné les dernières pages avec plus d'émotions que je ne l'aurais cru, une boule au ventre et la gorge nouée. Je me suis senti à la fois vidé et empli de tout un univers et ses personnages.



Pendant ma lecture, j'ai habité la Maison, parcouru ses couloirs tagués, cohabité avec ses occupants, subi ses étrangetés.

Et maintenant que j'en suis sorti, c'est la Maison qui m'habite. Tout entier. Pour longtemps.
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La Maison dans laquelle

Entrer dans la maison est d’une simplicité enfantine. Y vivre (survivre) est possible. Rencontrer les habitants n’est pas compliqué non plus. Comme dans toutes les forêts vous vous perdrez en un clin d’œil dans celle de la Maison.

Pour le reste…c’est effectivement un monde à part entière dans lequel on appréhende tout autant de plonger que d’en sortir. Il nous faut apprendre les codes (merci Fumeur et Tabaqui), les règles d’un milieu hostile mais pourtant tellement rassurant parce que connu. Passer la porte de la Maison, c’est plonger dans les tourments, les joies, et les inquiétudes de l’adolescence.

Vous souvenez vous de ce sentiment d’appartenance à un groupe? D’avoir la sensation d’être moins mal avec eux que tout seul mais pourtant…

Les mômes de la Guerre des Boutons ont bien grandi!

C’est étrangement avec beaucoup de regrets que j’ai refermé la porte. J’ai l’amère sensation d’avoir abandonné ces habitants au moment où ils en avaient le plus besoin. Ne vous arrêtez pas au nombre de pages, ce que vous y trouverez est bien plus vertigineux.

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La Maison dans laquelle

Je sens que ça va être difficile de faire court! C'est le genre de livre qu'on termine avec le sentiment d'avoir été mis dans la confidence d'un secret qu'on n'a pas compris. Le genre de livre qu'on referme avec l'envie de tout reprendre depuis le début, mais on ne le fait pas de peur de rompre le charme. Un livre qui laisse un vide, qui nous empêche d'en ouvrir un nouveau, car une partie de nous est restée coincée entre ses pages...



Au début de ma lecture, j'étais plutôt perplexe, car ce n'était pas ce à quoi je m'attendais. Presque déçue, j'ai poursuivi ma lecture et sans m'en rendre compte, je me suis retrouvée perdue, égarée dans les dédales obscurs de la Maison, où réalité et fantasme se confondent inextricablement.

 

C'est une grande métaphore onirique sur le passage de l'enfance vers le "monde réel", sur la cruauté de la vie et les histoires que chacun invente pour s'en préserver. Les personnages sont colorés, énigmatiques, abîmés, imparfaits et attachants. C'est un roman d'apprentissage fantaisiste, plein de sagesse et d'une honnêteté douloureuse. Ses mystères hanteront un recoin de mon esprit pendant longtemps, car, comme ses pensionnaires, je ne veux plus quitter la Maison! 
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La Maison dans laquelle

La façon dont ce pavé a atterri entre mes mains est déjà une histoire en soi.

J'ai hésité. L'accroche en disait à la fois trop et trop peu, j'avais du mal à me faire une idée.

Je l'ai embarqué sous le bras sans réelle conviction.



Le soir même, pendant que le dîner mijote, je guigne la bio de l'auteur.

Elle est née en 1969, russe d'origine arménienne, et travaille dans le film d'animation.

Un jour, elle commence à dessiner des personnages, elle étoffe, leur trouve un décor puis débute une histoire, une sorte de rendez-vous presque quotidien.

Elle travaille 10 ans sur son texte, sans intention de l'éditer.

Lorsqu'il est achevé, elle le laisse à des amis. Ils lisent, ils aiment, ils le confient à d'autres amis.

Le manuscrit passe de mains en mains durant 15 ans et finit sur le bureau d'un éditeur qui le dévore en quelques jours et le publie direct.

L'auteur avoue qu'après cette parution, elle a senti un grand vide.

Elle n'a plus écrit depuis.



Intriguée, je débute la préface de Tristan Garcia. Il explique que pour lui, il existe plusieurs catégories de livres :

Les livres couloirs, que l'on parcourt d'un pas pressé, sans se retourner.

Les livres escaliers, dont on gravit les marches une à une.

Les livres à champ ouvert, qui ne racontent pas tant une histoire qu'ils permettent aux lecteurs de les explorer, choisissant leur parcours en toute liberté.

Et enfin, les livres maison qui sont les livres que l'on habite

La maison dans laquelle est un livre maison.

Je suis ferrée, je me lance dans l'odyssée.



L'histoire se déroule en Russie alors que l'empire soviétique vacille, dans la lointaine banlieue d'une grande ville qui n'est pas nommée.

Le long d'un interminable terrain vague s'alignent des immeubles blancs, plantés là comme des peignes. Entre deux, une maison de cent ans d'âge dont la façade lézardée a viré au gris, précédée d'une courette grillagée qui de loin, a tout d'un dépotoir.



C'est un internat pour mineurs handicapés.

La plupart roulent en fauteuil, d'autres sont manchots, aveugles, boiteux, albinos, attardés ou sévèrement secoués, voire un peu tout ça à la fois.

La maison est leur territoire.

Le lecteur y entre sur les traces d'Erick (seul personnage dont on connaitra le patronyme officiel).

Un "bleu" qui va tenter de trouver sa place dans cet univers étrange et se poser plus de questions qu'il ne reçoit de réponses.



Les adultes (enseignants, éducateurs, directeur, infirmières) sont considérés comme quantité négligeable et laissés à la marge.

Les enfants sont installés par chambrées, avec leurs noms de groupe (les Chiens, les Rats, les Faisans, les Crevards Pestiférés), leurs codes (vestimentaires, linguistiques), leurs valeurs.

A son arrivée, chacun est aussitôt rebaptisé par un parrain ou une marraine.

Erick deviendra Fumeur, au milieu de Chacal Tabaqui (ex Putois), l'Aveugle, le Macédonien, le Sphinx, Gros Lard etc...

Chaque mur est colonisé du sol au plafond par leurs dessins, poèmes et annonces en tout genre.



Leurs relations sont régies par des sentiments exacerbés, propres aux ados.

La loyauté, l'amitié, les alliances, la confiance mais aussi la cruauté, la trahison, la violence, et même la mort.

D'immuables rituels (la nuit des contes, la nuit la plus longue...) entretiennent la légende de la Maison. Ils narrent d'incroyables histoires de voyages dans un monde parallèle dans lequel le temps suit son propre rythme.

Fantasmagorie des occupants ou pouvoir magique (maléfique ?) de la veille bâtisse, on ne le saura jamais vraiment. Mais cela n'a finalement pas grande importance dans cette ambiance mi Poudlard, mi Alice aux pays des merveilles.

Leur plus grande peur est celle de l'année de leurs 18 ans, date à laquelle ils seront contraints de rejoindre "l'extérieur", une perspective qui les affole.



Le texte est sompteux, merveilleusement écrit.

Un feu d'artifices explosant ses mille couleurs.

Jamais je crois, l'épreuve du passage à l'âge adulte n'a été restituée avec une telle habileté.

C'est une expérience unique, une immersion totale, vibrante de vie.

J'ai habité cette maison durant toute la lecture et ensuite, c'est elle qui m'a habitée pendant de nombreux jours.



J'ai fait long, ce n'est pas dans mes habitudes mais là, je ne voyais pas comment faire autrement.



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La Maison dans laquelle

La Maison c'est un monstre; par la taille, sa genèse aussi.

Mais également parce qu'il déconstruit tout. L'intrigue, les personnages, nos attentes et notre façon de lire.





Quelques billes pour savoir ce qu'est La Maison.

La maison est une sorte d'internat, pour enfants souffrant d'un handicap. le roman alterne deux époques, que je pense séparées d'une dizaine d'années environ. Car cela suit la scolarité des enfants : une fois arrivés au bout de leur parcours, ils « sortent », rejoignent « l'Extérieur », c'est à dire le monde réel.

Les enfants sont répartis par sexe puis par groupe. On suit principalement les groupes de garçons, en tout cas pendant une bonne moitié du roman. Il y a 6 groupes (les Rats, les Faisans, les Chiens, etc. et le 4ème groupe), qui se répartissent dans des chambres, qu'ils investissent totalement : ce sont des lieux de vie, qui évoluent, que les garçons aménagent et qu'ils font à leur image.

On se demande si ces enfants suivent un cursus scolaire, tant il n'est quasiment jamais fait mention des cours. On explore différents lieux dans la Maison, il y a un Directeur et des sortes de pions qui surveillent, mais les enfants semblent complètement abandonnés à eux-mêmes dans une Maison qui agonise… On ne sait pas trop où on est ni quand (je me suis demandé si on n'était pas dans les années 70/80), tant cet endroit semble abandonné de tous, et partir en lambeaux.





La Maison est un hors du temps et de la réalité, qui fonctionne par elle-même. Elle se teinte de fantastique, offrant un visage changeant selon l'endroit où l'on se trouve dans ses murs.

Le plus surprenant vient de ses habitants; laissés à eux-mêmes, chacun tentant de se faire une place dans cet endroit. C'est le portrait d'une jeunesse universelle qui se peint ici, touchante, violente, entière. Chaque personnage est devenu mon ami, avec l'impression de le connaître depuis toujours…

J'ai également adoré la manière dont le récit se donne à lire. Ici le lecteur agit, c'est à lui de construire l'histoire, de rassembler les morceaux de ce texte éparpillé entre points de vue, époques, personnages. A lui de comprendre, de se faire sa propre place dans ce roman. Aucun roman n'a si bien mérité son surnom de puzzle…

Ajoutons à cela un traitement assez théâtral du roman, tant dans son écriture que dans les rapports entre les personnages; monologues, personnages faisant office de figurants, personnages principaux vus comme des comédiens récitant un rôle… Chaque personnage possède un surnom, faisant de lui un acteur à part entière.

Parfois, c'est dramatique, plein de tensions; à d'autres moments, c'est véritablement cocasse. C'est ça aussi, de vivre dans la Maison. On est témoin de moments drôles, intimes, violents aussi. La maison est aussi bien une scène de théâtre qu'une arène.



Ainsi, savoir ce qui relève du réel et du surnaturel, du réalisme et de la mise en scène, est un jeu qui dure 1000 pages, et même à la fin on n'est jamais sûr de ce qu'on a compris.





Entrer dans la Maison, c'est donc faire une expérience. Et une sacrée expérience, car ce n'est pas un roman qu'on dévore en trois jours. J'ai passé 15 jours dans la Maison, et j'en ai rêvé la nuit. La maison m'a habitée et j'ai habité dans la Maison pendant ce laps de temps.

Je ne peux que vous inviter à pousser les portes de la Maison, à en découvrir les secrets qui résonnent dans ses murs, à tenter de comprendre ces personnages incroyables… mais attention : la quitter, c'est un crève coeur.




Lien : https://zoeprendlaplume.fr/m..
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La Maison dans laquelle

Je sors de la Maison et je ressens une immense nostalgie. La même nostalgie que l'on peut ressentir le dernier jour du lycée, lorsque l'on se dit au revoir, en essayant de se convaincre que c'est un au revoir temporaire, comme d'habitude, juste le temps des vacances d'été, en sachant au fond de nous que c'est la fin d'une ère.



La fin d'un monde que l'on a construit douloureusement, un monde auquel nous voulions échapper, qui était source d'angoisse et de mépris, mais qui est devenu familier malgré tout – malgré nous.



Entrer dans la Maison, c'est redécouvrir un univers à la fois haï et aimé. Vautour, Sauterelle, Bossu, le Macédonien ou Fumeur, tous ont souffert dans la Maison, mais la Maison s'est emparée d'eux, car la Maison a une âme. Cette âme, ce sont les murs tapissés des dessins de Léopard, c'est l'Autre Côté sur lequel règne l'Aveugle, c'est l'angoissant Sépulcre qui ne rassure que Mort, c'est le passé, le futur et le présent tout à la fois, que mélange et arrange Chacal Tabaqui, fabuleux maître du temps et conteur de légendes magnifiques…



La Maison a une âme. Dès les premières pages nous sommes happés par cet univers où l'on perd son prénom pour incarner son surnom, que l'on soit garçon, fille ou adulte, rampant, roulant, sauteur ou tombant, un univers où les handicaps sont à la fois omniprésents et indifférents.



S'attarder dans la Maison, c'est prendre le risque de tomber sous le charme magnétique de Sphinx ou de Loup. C'est passer d'une forte répulsion à une profonde empathie pour Vautour, c'est vouloir consoler Bossu, rassurer le Macédonien, écouter pendant des heures les élucubrations décousues de Chacal Tabaqui. C'est même être nostalgique de Léopard, que l'on n'a pourtant pas connu, c'est regretter qu'il n'y ait pas de chapitres entiers dédiés à l'histoire de Sirène et de Chimère, ou chercher une explication au sort d'Elan, l'un des rares adultes clairement évoqués.



La Maison exerce un terrible pouvoir d'attraction. J'ai voulu appartenir à ce monde, un monde fait De Rudyard Kipling, de William Golding et de Lewis Carroll. Un monde d'enfance magnifique, où les adultes ne servent que de supports à enfreindre davantage les limites du décor.



J'ai voulu rêver assez fort pour basculer avec l'Aveugle, j'ai voulu faire partie de ce monde, en faire partie depuis le début, tel Lord regrettant de n'avoir pas connu Rousse quand elle était enfant, j'ai voulu être moi aussi en immersion dans l'histoire de la Maison, en percer les secrets et en inventer de nouveaux.



J'ai voulu tout connaître, tout comprendre, j'espérais que tous les mystères seraient levés, que toutes les métaphores deviendraient plus claires, je voulais faire partie de l'histoire, créer moi aussi un peu de ce monde d'enfants perdus qui se pensent autonomes, parce qu'ils vivent ensemble depuis si longtemps qu'ils ont inventé leur propre histoire. Pourtant, ces grands enfants, qu'ils soient Chiens, Oiseaux ou Bandar Logs, sont terrifiés par la perspective de la sortie. Et j'ai moi aussi eu de plus en plus de mal à tourner les pages, parce que je ne voulais pas sortir, je voulais rester, absolument rester dans le confort rassurant d'un monde imaginaire que j'aurais tant aimé avoir créé.



Tourner la dernière page de la Maison, c'est revivre un peu de ce monde que l'on a connu, sans avoir conscience à l'époque que nous étions alors nous aussi l'un des personnages. Nous avons tous été Sauterelle ou Sphynx, Siamois ou Vautour, Noiraud, Rate, Beauté, Sorcière ou Lord, nous avons même été plusieurs d'entre eux. Nous avions chacun un handicap et un refuge, une blessure et un soutien. Nous avions construit nos propres mythes, qui étaient devenus notre réalité, l'unique que nous connaissions.



Je referme la Maison aujourd'hui et je me sens si triste. Je me fais des promesses de fin de lycée, « j'y retournerai, pour nous ça sera différent, en tous cas ça n'est pas la fin, car si ça doit être la fin, j'aime autant rester de l'Autre Côté ».



La Maison est tellement hypnotique qu'il est douloureux d'en ressortir.



Réfléchissez avant d'ouvrir. Comme devant la porte de la chambre 10, profitez d'un instant suspendu, car au-delà le temps n'existera plus.



Restez devant la porte et lisez l'écriteau : « Ne pas frapper. Ne pas entrer. »

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La Maison dans laquelle

J’arrive enfin au bout d’une de mes plus grosses lectures du mois ! Avec plus de 1000 pages de narration complexe et d’univers déstabilisant, Mariam Petrosyan ne facilite pas la vie de son lecteur. La maison dans laquelle est une œuvre dense et envoûtante, présentée dans le magnifique écrin conçu par les éditions Toussaint Louverture.



Si vous ne le savez pas, j’aime beaucoup les histoires qui se passent du point de vue des enfants et des ados. Surtout les histoires qui mêlent le fantastique au réal. La maison dans laquelle est totalement dans cet esprit. Quasiment tous ses personnages sont des ados et des enfants envoyés dans la Maison, à première vue une pension pour enfants et adolescents en situation de handicap. Mais la vieille baraque semble dissimuler bien des secrets dont ses pensionnaires sont les dépositaires. Divisés en chambres qui se composent en clans qui ont chacun des comportements bien définis, les enfants vivent une existence selon leurs propres règles, et n’ont cure de celles des adultes. Ainsi, ils fondent une société hors de l’Extérieur, avec ses propres rites et croyances, ses chefs, ses traditions, conflits et ses événements.



C’est un tableau étonnant. Les enfants ayant des handicaps variés, ils forment une communauté étrange, presque sauvage. Certains d’entre eux sont dotés de dons particuliers. Certains peuvent fabriquer des grigris et des amulettes. D’autres sont capables de « tomber » dans un univers parallèle dans lequel ils s’incarnent dans une autre forme. Un univers parallèle régie par des règles ésotériques floues. Pour en comprendre les rouages, il faut être capable de se mettre à hauteur d’enfants. D’en comprendre les rouages et les drames. De comprendre le fond des choses et la vraie nature des objets. La maison dans laquelle est un hommage à l’enfance, ce moment où l’on erre entre rêve et réalité. Un hommage au moment où l’on grandit et qu’on quitte souvent dans la douleur.



En lisant le roman, deux notions complémentaires mais antithétiques me sont venues à l’esprit. La première était que la dualité était très présente à travers l’histoire. Dans un premier temps, la Maison se scinde en deux mondes distincts. La bâtisse elle-même, décrépie, sombre et ancienne, et la Forêt, endroit sauvage et magique parcouru par les tombeurs. Les enfants partagent deux identités. Celle de la maison, où ils sont de jeunes handicapés évoluant en bandes dans un ordre qui semble chaotique aux adultes. Puis celle de la Forêt, dans laquelle ils deviennent autre chose, peuvent perdre leur handicap et au contraire gagner en pouvoir. Roux est par exemple une incarnation de la mort et Chacal Tabaqui un être ancien qui maîtrise de temps. Les enfants font face aux adultes, éducateurs et professeurs, omniprésents et absents à la fois. De la même façon, il y a la Maison, présentée comme un foyer étrange mais rassurant et familial, face à l’Extérieur.



L’isolement de la Maison est total mais pas littéral. Il arrive que les famille rendent visite. En revanche, l’Extérieur est perçu comme particulièrement nocif par les pensionnaires. Le départ de la Maison est vécu comme un drame tel que l’on cherche à dissimuler la date exacte de ce dernier. Pourquoi ? Les événements sont décrits à petites touches de manière imprécise, mais un drame sanglant a frappé l’un des précédents départs. La plupart des enfants tentent de se suicider à l’approche de leurs 18 ans et de la perspective de quitter la Maison. Est-ce un effet magique de sa part ? Ou est-ce que les jeunes, atteints de handicap, grandis dans un monde façonné par eux pour eux, ont conscience de la cruauté qu’ils vont rencontrer à l’Extérieur ? Isolés dans la Maison, isolés par leur différence, isolé par leur famille.



Vous l’aurez compris, la maison est un bordel. Un bordel strict, mais un bordel. C’est d’abord représenté par ses personnages. On suit le quatrième groupe, composé d’individus hétéroclites à personnalités fortes et disparates. L’Aveugle, chef charismatique qui tombe facilement de l’autre côté, aux motivation étranges et incompréhensibles. Sphinx, avec ses prothèses, ami d’enfance de l’aveugle. Fumeur, l’un des derniers arrivés, raisonnable roulant un peu trop cartésien pour la maison. Chacal Tabaqui, instable et volubile, mais très puissant de l’autre côté. On suit énormément de personnages variés dont on explore parfois le passé ou les relations. Les enfants sont, dans tous les cas, toujours des excentriques, entre l’adolescent et l’adulte, coincés dans un entre-deux, deux mondes, deux états, jamais fixes.



C’est renforcés par une narration trouble. Parfois, on change de narrateur et de point de vue au beau milieu de chapitre. Si on concentre au début sur Fumeur, évincé des faisans, on découvre petit à petit les autres membres du Groupe. Parfois même, c’est dans l’esprit de Ralf, alias R premier, un éducateur et seul adulte à se mettre à hauteur des pensionnaires, que nous suivons. Mariam Petrosyan joue également avec les temporalités et brouille les pistes. Ce qui est amusant, c’est que ce jeu de temporalité existe au niveau du lecteur que de manière diégétique, comme un écho ludique qui remet la réalité en question. L’intrigue est floue, presque inexistante, mais il y aune telle poésie et une telle honnêteté dans cet objet littéraire, que la fascination finit toujours par naître.



La maison dans laquelle, c’est l’histoire de l’enfance et de son étrangeté. La maison est une pension pour enfants atteints de handicaps, ou serait-elle bien plus ? Les pensionnaires sont divisés en bandes répartis dans leur chambre. Ils vivent selon leurs propres lois et leurs propres règles, et font bien peu de cas des adultes. Rites de transmission, guerres intestines entre les clans, la Maison regorge de dangers. Nous suivons en particulier le groupe 4, composé de personnalités hétéroclites mais marquantes. Le livre alterne entre plusieurs points de vues pour présenter une réalité multiple qui se recoupe, et rend parfois la lecture ardue. L’ambiance est indescriptible. On a l’impression d’entrer dans un monde ancien et sacré, entre violence et poésie. C’est vraiment un indispensable si vous aimez les romans qui nous entraînent dans des mondes dominés par des ados et des enfants, avec leur propre logique, à la fois cruelle et enivrante.
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La Maison dans laquelle

C'était un Everest, insurmontable au début (tu as vu le pavé?), deux tentatives avortées (tu as vu le pavé?), mais comme dirait l'autre third time's the charm, je suis enfin arrivée au sommet, et c'était magnifique.



Il s'agit d'une des lectures les plus exigeantes de ma vie de lectrice mais comme je suis heureuse d'être allée au bout car je serais passée à côté d'un chef œuvre. Eh les éditions Monsieur Toussaint Louverture, vous n’auriez pas pu en faire plusieurs tomes ?



Les mots me manquent pour décrire cet ouvrage, ou alors il n'y a pas assez de mots pour cela.



Un véritable livre-monde, on ne sait pas où, on ne sait pas quand, on ne sait même pas comment. Un sanatorium, où évoluent des enfants handicapés chacun à sa façon, livrés à eux-mêmes (enfin pas vraiment) ils investissent "la Maison", lui crée sa mythologie.



En avançant dans le récit, on s'habitue aux personnages (qui changent parfois de nom selon les époques), aux lieux, et on appréhende peu à peu ce qui s'y passe et ce qui s'est passé. Les narrateurs ne sont pas tous dignes de confiance et il faut parfois démêler tout ça.



J'ai aimé le personnage de Fumeur, un des seuls à nous rattacher à la réalité. Mais j'ai aimé les autres aussi, voir leur évolution, passer d'enfant à adolescent, et comprendre leur histoire.



C'était surtout un vrai voyage, une immersion complète. Le retour est compliqué.

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La Maison dans laquelle

Un livre foisonnant de détails, de point de départ narratif, de recherche autour de la langue. Réaliste malgré la fiction fantasmagorique. Il est remarquable de finesse sur l'humain et son fonctionnement tout en gardant une grande part de liberté approchant l'absurde ou le rêve.

Un ouvrage ou l'imaginaire de l'autrice est débordant même si l'on ressent clairement (tristement) la prise d'appui sur des systèmes existants. Pour ceux connaissant les ITEP, Foyer de l'enfance et/ou IME, on retrouve un bouillonnement tendu à l'extrême et croisé de tous ces lieux, ces instances, ces fonctionnements, narré explosivement.

Un univers de cabossé et d'âme en survie.

C'est beau dans toute la détresse qui s'inscrit et qui survit.

Une superbe épopée chez les éclopés de ces vies existant dans nos sociétés mais que l'on garde souvent bien cachés.

Une maison dans laquelle il se passe, il se dit, il s'entend, il se crie.

Une oeuvre impressionnante, joyeuse, aventureuse, fraternelle. Peter Pan et Alice aux pays des merveilles dans un foyer pour enfants écorchés.

Un pavé-monde traduit avec grand soin qui mérite la plongée.


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La Maison dans laquelle

« Je dépoussiérai une surface ronde un tout petit peu au-dessus de mes yeux, et de là, je descendis vers le nez, pour que mon double se montre enfin : il n'avait pas mûri le moins du monde. C'était la même tronche adolescente avec laquelle, selon toute probabilité, on m'enterrerait. Je me nettoyai un peu plus pour caser mes oreilles que j'avais libérées de derrière mes cheveux. Mon double se transforma en Mickey Mouse. Un Mickey Mouse sinistre. Et soudain, je compris avec horreur que j'avais vieilli. Dans le miroir, j'étais le même que cinq ans auparavant, mais à l'intérieur, il manquait quelque chose. Et étrangement ça se voyait. Mon effronterie habituelle avait disparu. A bien y réfléchir, en effet, cela faisait une éternité que je n'avais pas manigancé quelque chose, que je n'avais pas fait tourner les gens en bourrique. Et il y avait des siècles que l'on avait pas essayé de ma casser la figure à cause de ça.

- Hé hé, lançai-je à mon double, alors comme ça, tu deviens adulte ? Sors-toi cette idée de la tête, sinon on ne va pas être copain. »



Bon. La Maison dans laquelle est un sacré bouquin. Je défie quiconque de me trouver quelque chose d'équivalent, un livre qui s’immisce en vous avec une telle force, un roman dont les personnages vous accompagnent du matin au soir, même pendant les heures où le bouquin est fermé , éteint, en veille.

Rien à voir, mais jusqu'à présent le seul personnage de roman dont le sort m'inquiétait à toute heure de la journée, quelle que fut mon occupation du moment, et ce jusqu'à ce que son histoire soit finie, a été Raskolnikov. J'ai lu Crime et Châtiment à l'adolescence et l'histoire de ce pauvre bougre m'obsédait en permanence, en soirée, à jeun, dès que le bouquin était fermé ou loin de moi. Allez savoir pourquoi. Mais je ne l'ai jamais oublié, la preuve, vingt ans plus tard je peux sortir son nom de mon chapeau même en dormant. Et là...

« “Hé toi là !” Une femme en tablier, l'air revêche, interpella Fumeur. “Il est interdit de fumer dans le réfectoire. Donne-moi ton nom. Je vais informer la direction de ton comportement.”

Fumeur fit volte-face. La vieille femme tenait entre les doigts le minuscule mégot qu'avait laissé Sphinx. Fumeur fixait l'objet du délit. C'est pas vrai?! Elle a fait exprès d'attendre que je m'éloigne pour pouvoir le crier dans toute la Maison ? Il eut l'impression que son crâne venait d'être pris dans un étau.

“Ton nom ! Insista la bouche étroite comme une fente.

— Raskolnikov !...”, lui cria le Fumeur. »



Voilà... il y a parfois des télescopages qui vous laissent muet. Tout ça pour dire que j'ai volontairement prolongé, prolongé, prolongé la lecture de La Maison dans Laquelle… je ne voulais pas en sortir. Ce qui tombe bien, les habitants de la Maison non plus, ne veulent pas la quitter. Nous avons donc résisté ensemble.



Et maintenant, le point nevralgique : La Maison.

Une inscription sur son mur vous accueille ainsi : « Salut à vous les avortons, las prématurés et les attardés. Salut les laissés-pour-compte, les cabossés et ceux qui n'ont pas réussi à s'envoler ! Salut à vous, « Enfants-chiendent » ! »

C'est elle, la Maison : celle qui accueille éclopés, manchots, aveugles, inadaptés ou présumés comme tels, tous mineurs, tous différents. En son sein des groupes, des bandes, avec chacune un chef à leur tête. Un microcosme autonome, régi par des lois tacites et dont l'organisation, sous couvert d'anarchie, est réglée comme du papier à musique. Mais pour la comprendre il faut en être.



Et c'est là la puissance de ce roman : il vous plonge de façon impitoyable dans vos propres souvenirs d'ado, aux moments où vous vous sentiez incompris par tout le monde et que vous pensiez détenir les Vérités absolues de tout ce qui vous entourait. Le moment où chaque émotion avait la force d'une éruption volcanique et que la Vie, la Mort, étaient infiniment moins importantes que l'amitié, la haine, l'amour, la bande... (complétez la liste à votre guise, la musique, la nuit, le samedi soir, un bouquin corné de partout...)



On dirait que chaque garçon sort des pages du roman pour vous raconter Sa version des faits, tellement ils sont palpables, présents, vrais, et c’en est moins étonnant lorsqu'on apprend que Mariam Petrosyan (qui, ceci dit en passant, n'avait aucunement l'intention de faire publier son manuscrit au départ) avait d'abord dessiné des personnages avant de commencer à écrire leur histoire. Est-il important de vous dire que Fumeur passe son temps à croquer ses copains ?



« Mes amis ! Le temps est notre principal ennemi, c'est un adversaire impitoyable. Les années s'envolent, emportant leur dû. Les vieux se tassent, les enfants poussent. Les dragonnets abandonnent la coquille maternelle et braquent des yeux brumeux vers les cieux ! Des Log simples d'esprit se marient, sans songer aux conséquences ! De gentils garçons se transforment en de jeunes hommes grognons et rancuniers, enclin à la délation ! Nos propres reflets crachent sur nos cheveux grisonnants. »



Avec Monsieur Toussaint Louverture nous nous sommes déjà habitués à découvrir une nouvelle pépite à chaque publication, mais avec ce roman il prouve que ses choix éditoriaux sont vraiment au-dessus de la mêlée. C'est un livre qui ne se raconte pas, il se lit et ensuite il fera son travail, en vous... En ce qui me concerne, « La Maison dans laquelle » est sa meilleure trouvaille, un roman que je vais certainement relire encore et encore...
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La Maison dans laquelle

Le sortilège a commencé avec la couverture : sombre et pailletée, rougie aux coins, entièrement étoilée et entièrement mangée par ce titre qui boite : "La maison dans laquelle."

La maison dans laquelle où tout est possible et rien n'existe ; dans laquelle votre vie d'avant est scellée - dans laquelle vous naissez de nouveau. La maison dans laquelle le temps ne s'écoule jamais tout à fait comme il devrait ; dans laquelle amis et ennemis sont intimement liés ; dans laquelle une flopée d'âmes errantes gronde doucement (ou violemment) ; dans laquelle vous plongerez corps et esprit pour ne ressortir que bien des années plus tard, transformés à jamais. A jamais - la Maison ne s'oublie pas à ceux qui l'appartiennent.

Malgré son conséquent nombre de pages, ce roman n'est ni lourd ni long : il est dense. Quelques maladresses parfois ; une ou deux coquilles dénichées et une miette d'incohérence survenue... mais qu'en reste-t-il, au fond, de ces défauts ? Toute maladresse est nécessaire à la beauté d'un livre. La Maison avale tout et la magie opère.

C'est du tordu, du fou - sans conteste - et cela enivre.

Ce qui m'a le plus ébloui dans ce livre, ce sont ses univers. Je dis bien "ses" car la Grise n'en détient pas qu'un, ah çà non ! ce serait la sous-estimer. Dans la Maison, tout un tas d'univers se confrontent en effet, se frottent, s'effritent et s'étouffent. Nous-mêmes lecteurs sommes happés et écrasés de la même façon. Tant d'univers, tant de richesse... Ce livre relate d'une épopée vertigineuse, un enfermement au cœur même de l'infini.

Dans la Maison, beaucoup de questions et peu de réponses. Nous sommes pareillement confrontés à un aspect fantastique éblouissant quoique très rarement exploité et mystérieux. L'incroyable aura du roman n'en est qu'accentuée ; pour moi, en grande friande du fantastique et de la réflexion (de manière générale), cet aspect-là du roman, plus obscur, est donc justifié. Une ambiance assez papillonnante : aussi festive que douloureuse et pesante, dans laquelle on se verrait bien fumer ou jouer au tarot au clair de lune.

Car, au fond, tout au fond, la Maison n'est pas un livre, la Maison n'est pas une maison, la Maison n'est pas un rêve, un personnage... La Maison dans laquelle est une âme.

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