J’avais prévu de consacrer un petit paragraphe à ce fait bien avant de commencer la rédaction de cette chronique, et un échange sur Facebook en cours de lecture m’a confortée dans cette idée. La maison dans laquelle est un roman que je qualifie de roman à rythme lent ; sans intrigue conventionnelle avec un début, un milieu et une fin. Un roman dans lequel il ne se passe, a priori pas grand-chose ; sans suspense, tension, actions ou instants un peu plus nerveux (quoique). L’histoire, s’il y en a une, n’est pas construite selon un squelette par défaut ; ce livre-ci est décousu. Il est en réalité plus une succession d’anecdotes organisée autour d’un fil conducteur, parfois invisible, qu’une histoire à proprement parler. Ça ne l’empêche pas de raconter des choses pour peu que l’on soit réceptif aux sujets, à la façon de raconter, et à condition d’entrer dans le roman dès le départ. J’imagine assez mal un lecteur peu emballé par le début de ce texte, s’enfiler les 954 pages sans broncher. La maison dans laquelle est un roman que j’aurais moi-même très vite abandonné s’il ne m’avait pas autant passionnée dès son prologue.
Au départ, il n’y a pas grand-chose et l’ensemble est assez flou. Une maison, des enfants estropiés, des groupes et un petit garçon aux baskets rouges qui dépareillent. Déjà, l’intrigue est sombre, l’ambiance pesante : le ton est donné et on avance dans un brouillard épais que l’autrice prend un malin plaisir, je pense, à ne pas dissiper trop vite. On est jetés d’entrée de jeu dans cette histoire qui a beaucoup de secrets à nous révéler, de mystères et de choses à raconter et qui va le faire avec langueur. Il faut adhérer.
On apprend le fonctionnement de la maison, on devine ce qu’elle est, quels enfants y sont enfermés, jusqu’à quand, pourquoi, par qui, et comment l’ensemble fonctionne ; la hiérarchie, l’intégration, le rejet, la rivalité, l’intolérance, l’amitié, l’amour, la loyauté. Qui va dans quel clan, qui les dirige, quelles sont les lois. Le tout, à travers les yeux d’enfants, pleins d’innocence et de naïveté. C’est à la fois touchant et cruel de revivre l’enfance avec son apprentissage, son injustice et effectivement, sa cruauté.
L’autrice nous narre donc l’histoire de ces enfants, l’apprentissage de la vie, – et il faut accepter les explications sur la longueur et au compte-gouttes -, mais également comment tout ça est géré et organisé par (et sans) les adultes. La maison, ses murs, ses couleurs, sont également personnages à part entière dans ce roman, lieu unique où se déroule les 954 pages de l’intrigue. Plus les pages défilent, plus l’intrigue s’étoffe, moins elle paraît enfantine. Oh certes vous ne trouverez nulle scène d’action, pas de richesse dans l’histoire même (mais beaucoup dans l’univers du bouquin) peu de suspense, et aucune fin de chapitre trépidante façon « mais que va-t-il se passer au prochain épisode ? » : est-ce que ça fait de ce roman un livre moins prenant ou que l’on prend moins plaisir à découvrir et à poursuivre ? Oh que non !
En réalité La maison dans laquelle raconte énormément lorsqu’on lit entre les lignes. Si l’enfance est abordée, elle est aussi, à mon avis, décortiquée, surtout la façon dont les enfants fonctionnent entre eux, comment ils voient le monde, la vie, et comment ils régissent leur univers. C’est dans une vraie communauté avec ses lois que le lecteur est plongé ; dans un monde où voler une bille peut donner lieu à une bagarre sans nom. Pour des broutilles en fait, qui, aux yeux des enfants, sont des cataclysmes. Et ce n’est qu’une fois la tempête passée que le lecteur transpose ce qu’il vient de lire à sa vie adulte et qu’ainsi, il peut comprendre l’apprentissage des petits et leur logique, ainsi que la dimension de la scène qui vient de s’achever. C’est ainsi que le tout prend un sens.
De sens, La maison dans laquelle en a fondamentalement un, voire plusieurs. Il reste cependant difficile d’exprimer ce genre de choses, puisque dans le texte, rien n’est vraiment explicite. Si on veut du prémâché, ce n’est pas vers ce roman qu’il faut se tourner. Certes, j’apprécie lorsqu’un écrivain se laisse aucun doute et qu’il exprime, avec talent, certaines idées, émotions, événements, etc, via des mots scrupuleusement choisis (et une plume noire de préférence 👼), mais finalement j’apprécie tout autant lorsque les idées sautent aux yeux, mais qu’elles ne sont clairement pas exprimées. Cela donne une autre dimension au roman et fait de La maison dans laquelle, un roman brillant et intelligent qui traite son sujet avec brio.
Ce que j’apprécie encore plus, ce sont les romans à ambiance avec des personnages si affinés que, même s’ils sont nombreux, ils ont leur individualité, un petit quelque chose qui fait qu’on les reconnait et les différencie. Si le roman en lui-même est brillant, c’est sûrement parce que l’autrice qui l’a écrit est tout autant brillante. Mariam Petrosyan a sculpté ses personnages au détail près, leur a inventé un passé, une vraie histoire, les a doté de personnalités et de détails physiques aussi diversifiés que surprenants – sans les ménager. Elle a construit sa pyramide de personnages avec encore plus de brio que l’histoire et, peut-être même que l’ambiance pourtant si présente, si palpable. Une ambiance sombre qui mêle noirceur et peur, dans un joyeux bordel façon colonie de vacances qui tantôt émeut, tantôt renverse le bide. Le tout est parfaitement construit, même si certains passages paraissent un peu long et le sont clairement, surtout dans le dernier tiers (le fameux bémol se situe ici). Cependant, rien n’est vraiment inutile et tout se déguste dans La maison dans laquelle.
Je n’aime pas rester trop longtemps dans un roman, c’est ainsi. Même lorsqu’il me plaît, j’aime ne pas m’éterniser ; j’aime avoir le temps de le déguster et d’enfiler les pages sans me préoccuper du temps que je peux consacrer à un roman. À l’inverse, lorsque les jours défilent et que je n’arrive qu’à grappiller trente ou cinquante pages par-ci par-là, je ressens beaucoup de frustration et parfois même, je perds le fil de l’histoire. De façon générale, je n’aime tout simplement pas rester trop longtemps dans un roman.
Concernant La maison dans laquelle, je l’aurais lu en quelques jours en temps normal, ce qui a été en fait le cas mais dispatchés sur trois semaines à cause de mes horaires de travail décalées et atypiques. Trois semaines, c’est très long pour la lecture d’un roman en ce qui me concerne. Trois semaines passées avec le même livre, il y a de quoi se lasser quand on connaît mon aptitude à me lasser des choses.
Ça n’a pas été le cas ici. Bien sûr, il y a eu des moments de relâche où j’étais moins dedans, moins prise par l’histoire, un peu plus passive qu’à d’autres moments où j’ai gobé cinquante pages sans m’en rendre compte. Mais dans l’ensemble, je suis très surprise de ne pas avoir remis à plus tard cette lecture qui a été longue par manque de temps et parce que le livre est une brique. Surprise et en même temps, la qualité est tellement là qu’il pouvait en être autrement. Je pense qu’il fallait être costaud pour passer l’épreuve des trois semaines haut la main en pesant 1,3 kg, et en ayant 954 pages.
En somme, j’ai adoré ce bouquin si particulier à l’univers riche et très atypique.
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