Citations de Marie de Palet (124)
Il marcha dans l’obscurité, suivant la rivière qui grondait en charriant des feuilles mortes. Il sentait l’humidité qui le pénétrait et, des prés, s’élevait une vapeur qui l’enveloppait tout entier. – p.261
Quand sa fille lui eut exposé ses ennuis, il haussa les épaules et lui répliqua : « Mais, non. Personne ne s’intéresse à nous. » Il ajouta en contemplant à nouveau la campagne : « D’ailleurs, dans les villes, personne ne s’intéresse à personne. C’est comme ça !... » – p.53
Quelques pâles bonjours lui répondirent, mais, chacun, la bouche cachée derrière son châle ou son écharpe, retombe vite dans son mutisme pour garder la chaleur animale que le brouillard tentait de s’approprier. – p.13
Oubliés, aujourd’hui, tous les griefs contre cette femme ? Non, pas tout à fait. Mais, contre le malheur, la maladie ou l’accident, le village faisait bloc pour essayer de vaincre la douleur, cette ennemie venue du fond des âges… - p.141
L’air portait tout le poids des senteurs de l’été commençant. L’odeur entêtante des ajoncs incitait à la somnolence et les stridulations monotones des grillons noyaient tous les bruits à des lieues à la ronde. – p.38
Mais que savait-elle de ces gens, sa seule famille ? Ils étaient devenus pour elle, depuis dix ans, de véritables étrangers. De toute façon, ils vivaient dans une région sauvage où il ne se passait jamais rien et où seul le travail comptait. – p.13
Il vieillissait et aspirait à la paix et à la tranquillité. Ce second mandat fut moins intéressant que le premier. Les gens le connaissaient mieux et se faisaient plus exigeants. Les choses changeaient aussi et certaines nouveautés commençaient à apparaitre. L’enseignement devenait obligatoire et il fallait construire des écoles dans toutes les communes.
Abel se réjouissait de voir que la pays allait sortir de son ignorance, même s’il entendait ici et là, certains qui regrettaient de mettre tant d’argent à la construction de bâtiments alors que, jusque-là, le rare enseignement se faisait seulement à la mauvaise saison, pour ceux qui étaient intéressés, dans des granges ou des hangars. Un grand nombre regrettait aussi qu’on englobe les filles dans l’enseignement, disant qu’il fallait qu’elles sachent tenir une maison et élever les enfants. Le reste, elles n’en avaient pas besoin. Abel dut se battre pour expliquer que les filles comme les garçons avaient droit à l’instruction, mais il se heurta à beaucoup de sceptiques qui juraient ne pas vouloir envoyer leurs filles à l’école. Abel ne dit rien mais pensa que, si l’école devenait obligatoire pour les filles comme pour les garçons, ils seraient bien obligés de s’exécuter, et c’est ce qui arriva.
Au début du printemps, lorsque Abel rencontra Rose, il en tomba follement amoureux et bouleversa les projets du père de famille. Si on l’avait écouté, il se serait marié sur-le-champ, mais Théodore, le père, ne l’entendit pas de cette oreille. Il lui fallait faire une cour assez longue pour que personne ne puisse avoir des doutes sur la moralité de la jeune fille. Abel dut donc se soumettre à la volonté du père. Il n’avait d’autre choix, d’autant que la promise était mineure … Pourtant, à force d’insister, il finit par obtenir de se marier aux moissons. C’est pourquoi, en cette belle matinée d’été, les cloches sonnaient à toute volée pour les noces d’Abel et de Rose.
Virginie quitta le champ aussi vite que ses jambes pouvaient la porter, laissant moissonneurs et lieuses à leur travail, et courut pour ne pas manquer l’arrivée de la noce au village. Son espoir ne fut pas déçu ; comme elle parvenait au fond de chemin qui grimpait vers le village, elle vit arriver la noce en grande pompe. En tête, Rose et Abel menaient le cortège.
Le printemps éclatait. Les haies devenaient des bouquets sur lesquels s'ébattaient merles et mésanges.
Il serra Agnès contre lui et disparut dans la nuit qui tombait, petite silhouette courbée traînant toute la misère du monde.
Fine la regarda s’éloigner le cœur serré. Elle était vraiment abandonnée… L’envie la prit de rattraper sa mère et de la supplier pour qu’elle l’emmène : elle était vaillante et, dans une si grande ferme, on trouverait bien à l’occuper utilement.
Elle lisait et relisait les articles jusqu’à les savoir par cœur. Elle ne comprenait pas toujours leur signification, mais les mots chantaient à ses oreilles et, sans connaître le sens, elle arrivait à se faire une idée assez juste de ce qui était écrit.
Elle conservait ces fragments de journaux pour les relire encore jusqu’à ce qu’elle tombe sur un autre journal plus récent, et tout recommençait…
Elle revit les enfants du village qu’elle connaissait et qui, l’hiver d’avant, la poursuivaient à coups de pierre. Ensemble, ils lui faisaient peur, mais individuellement, ils n’étaient pas méchants. Quand ils se retrouvaient, les petits vachers s’amusaient à grimper aux arbres, à attraper des sauterelles, à courir après les papillons ou à lancer des pierres dans l’eau s’ils étaient près d’un ruisseau…
Il lui fallait se méfier de la luzerne et du trèfle qui pouvaient les gonfler. Si elle apercevait d’autres vachers, interdiction lui était faite de s’amuser avec eux et même de leur adresser la parole. D’après elle, tous étaient des vauriens…
Certes, il fallait se lever avant l’aube, avaler rapidement une assiettée d’eau bouillie sous le regard malveillant d’une tante, sœur du propriétaire, qui occupait dans la maison le rôle de surveillante des servantes, vachère, bergère et petits valets.
C’était une vieille fille racornie, longue et sèche, avec des yeux gris comme un ciel d’orage, un nez crochu, des cheveux poivre et sel tirés en un chignon minuscule, pas plus gros qu’une petite pomme.
Il avait ainsi séduit la petite Fine qui, pour lui, sortait de son mutisme et bavardait gaiement, lui posant des questions curieuses auxquelles il répondait par une pirouette. Le vieil homme s’était vite aperçu que sa protégée savait lire et son plus grand plaisir était de ramasser tous les papiers qu’il trouvait pour les lui faire déchiffrer. Depuis des morceaux de journaux jusqu’aux affiches, lettres ou étiquettes, tout y passait…
Resté célibataire, il n’était pas demeuré insensible au charme de Marie, la mère de Fine, au temps de sa jeunesse. Leurs maisons étant voisines, Brumaire se glissait la nuit, quand son père était endormi, dans le lit tout chaud de Marie qui ne demandait pas mieux.
Il avait même été question de mariage. Mais un soir où le jeune homme était venu tranquillement retrouver sa belle, la place était occupée. Marie s’était entichée d’un autre et l’avait ramené chez elle…
Les récits qu’il racontait étaient si fabuleux et si cousus de fil blanc que personne n’y croyait vraiment, sauf lui-même. Il les redisait souvent, les enjolivant chaque fois d’un nouvel épisode où il tenait le beau rôle.
Les gens le laissaient parler, se contentant de sourire quand il commençait en ces termes : « C’était un soir, à la tombée de la nuit, j’étais tranquille quand… » Le début était toujours le même, mais l’aventure variait pour rendre hommage à la ruse et à la débrouillardise de l’orateur.
Le matin, sa mère lui laissait un quignon de pain, de l’eau, un œuf et quelquefois un fruit ou un morceau de lard. Elle fermait la porte à clé et ne revenait que dans la nuit et, de temps en temps, ne rentrait que deux ou trois jours après. Quand la petite se réveillait, elle se jetait avidement sur la nourriture, s’endormait et attendait le retour de sa mère.
Elle le lisait sans en comprendre le sens et répétait tout haut les mots difficiles qu’elle aimait et qui, pour elle, avaient la saveur des choses mystérieuses. Ce n’était que l’hiver, alors que le travail n’était pas pressant, que Fine pouvait aller chez Mlle Julie. Au retour du printemps, sa mère la tirait de sa paillasse à l’aurore et elle l’entraînait à moitié endormie le long des chemins pierreux pour qu’elle l’aide à divers travaux.