Marjorie Levasseur

On passe une moitié de sa vie à attendre ceux qu’on aimera et l’autre moitié à quitter ceux qu’on aime.
On ne souffre jamais que du mal que nous font ceux qu’on aime. Le mal qui vient d’un ennemi ne compte pas.
 
– Victor Hugo –

La voiture de location s'immobilisa sur une place de stationnement, non loin du cabinet médical et la vitre côté conducteur s'abaissa lentement. La jeune femme fixa intensément la plaque dorée mentionnant l'identité du médecin officiant dans les lieux. Même à cette distance, elle pouvait clairement voir que le nom avait changé. Plus de docteur Grégoire Martin ici.

« Car si elle a été si belle, Nawel, c’est parce que nous l’avons vécue dans l’urgence, intensément, presque si notre vie en dépendait. »

« Il y avait au moins un homme sur cette Terre, en dehors de lui-même qui avait à coeur de les protéger. »

« Lamia observait les deux frères avec tendresse. Elle comprenait ce qui les liait et réalisait que ce n’était pas très différent de ce qui l’attachait à sa soeur. »

 Je suis médecin. En tant que tel, j’ai prêté un serment, celui de soigner quiconque me le demandera.

La liberté existe toujours, il suffit d’en payer le prix.

– Henri de Montherlant –

La violence conjugale, c’est quelque chose de complexe. On ne peut pas savoir ce qui la motive, c’est au cas par cas. Et pour Manon, c’est pareil. Elle reste ? Ça peut être pour n’importe quelle raison. Peut-être a-t-elle peur des représailles, tout simplement ? Que sais-tu de l’homme qui partage sa vie ?

Il existe de nombreuses façons de meurtrir les gens. La violence physique était exclue dans le cas de Claudine Charmat, mais peut-être avait-elle subi d’autres choses de la part de son mari, des choses que l’enfant qu’il était alors n’avait pas perçues comme des violences.

Elle ferma les yeux et prit de grandes inspirations pour se calmer. Elle entendit le froissement de sa veste qu’il jetait rageusement sur le sol en poussant des jurons. Il était furieux. Peu importait contre qui, elle savait qui allait subir son humeur. Elle n’osait même pas se retourner, elle avait trop peur de voir son visage et d’y lire la colère. Si elle le fixait droit dans les yeux, il le prendrait comme un affront. Si au contraire, elle fuyait son regard, il en ferait sa propre interprétation et jugerait son attitude ambiguë.

Et un avocat, c’est respectueux des lois, elle n’avait pas à craindre qu’il essaie de l’escroquer !
Quoique, avec ce qu’on voit dans les séries américaines, il faut toujours se méfier, personne n’est incorruptible, se dit-elle.

Il avait beau être un grand gaillard d’un mètre quatre-vingt-dix en super forme physique, s’il se retrouvait face à un type armé, il n’en mènerait pas large.

Les premiers mois de leur idylle avaient été placés sous le signe de l’amour fou, les deux tourtereaux vivant leur histoire sous un ciel sans nuages. Franck avait une personnalité si forte, un tel charisme que Manon s’était rapidement laissée persuader par une cohabitation. Elle qui se proclamait jusqu’alors libre de toute attache, était vite devenue dépendante de cet homme qui se savait irrésistible et en jouait. Et puis un jour, sans crier gare, le rêve avait viré au cauchemar...

Elle était passée maître dans l’art de l’illusion. Aux yeux de ses pairs, c’était une jeune femme à qui tout souriait. Jolie, intelligente, ambitieuse, en couple avec un homme que tout le monde appréciait et respectait, rien ne manquait à ce tableau idyllique. Non, dans sa vie sociale et professionnelle, Manon était une battante et ce n’était pas peu dire. Car quand on devait faire son trou dans la sphère misogyne des avocats pénalistes et qu’on était une jeune femme fraîche et pimpante de vingt-cinq ans nouvellement nommée au barreau, comme elle l’était il y a tout juste un an, si on ne montrait pas un peu les dents, on se faisait vite dévorer toute crue.

Il n’y a rien de plus facile à tromper que les apparences.

Depuis quelques jours, il avait l'impression de se noyer, de ne déjà plus appartenir à ce monde. Il était orphelin et apatride, errant à la recherche de son identité, mendiant une famille qu'il n'avait plus. Plus rien ne le raccrochait à cette vie.

Elle savait à quel point il se sentait coupable de ce qui lui était arrivé, mais ça ne l'aidait pas à comprendre ses changements d'humeur, ni à les excuser.