Citations de Mark Greene (67)
L'attente n'est pas le contraire de l'action. Elle en est le point de départ, l'amorce. C'est dans l'attente que l'action se prépare. C'est au moment de l'attente que l'esprit, très progressivement, par un effort imperceptible mais constant, en exerçant une pression continue comprime les ressorts de l'action.
On reproche aux gens d'être riches, ou ambitieux, ou corrompus, mais on ne leur reproche pas d'être beaux. C'est une suprématie douce, indolore, une dictature de lin clair et de velours...
La première rencontre est un moment rare. le premier regard, les premiers mots. On aimerait rétrospectivement, que l'instant d'une rencontre serve de clé, d'explication. On voudrait qu'une histoire entière soit contenue, en germe dans l'instant d'une rencontre. La suite se détériore, se complique, les situations se superposent, mais la première fois demeure. C'est une borne, une pierre gravée, qu'on peut passer toute une vie à déchiffrer.
La mort ne l’effrayait pas. Ne pas exister, quelle importance ? Ce qu’elle redoutait, c’était qu’il n’y ait plus rien à vivre.
Ce verre, récemment breveté, avait la faculté de mémoriser et de diffuser le bleu du ciel. Capté par la partie supérieure du bâtiment, et notamment par le sommet biseauté, l’azur descendait dans la tour, d’étage en étage, infusant en elle jusqu’au rez-de-chaussée, comme par capillarité. On aurait l’impression que la Tour aspirait le ciel, s’en abreuvait comme d’un liquide. Le matériau n’avait été testé que sur de petites surfaces, mais l’effet visuel promettait d’être saisissant.
J'avais l'impression d'être devenu une sorte de sportif de la solitude. Quand quelqu'un laissait un message sur mon répondeur téléphonique, j'éprouvais comme une réticence à répondre. On risquait de me proposer un verre, un dîner. Je tenais des comptes: Je n'avais rencontré personne depuis six, sept, huit jours. Pourquoi ne pas insister, persévérer encore? Améliorer mon record dont personne ne saurait rien. Éprouver la sensation d'apesanteur, ce mélange de puissance et de détachement que procure l'excès de solitude.
Tout de suite, il pensa à la cathédrale. (...) La cathédrale est plus vaste que
le désert. (...) Il y a plus à marcher dans la cathédrale , se dit-il, que dans le
désert. Il y a plus à escalader, plus à descendre, plus à s'égarer, plus à se
perdre...Plus à tomber, plus à se relever. L'idée de l'Oeuvre, soudain lui
apparut, comme s'il s'agissait d'un immense continent à découvrir. (...)
L'oeuvre d'une vie..; Un pays sans fin, dont il visiterait, chaque mois,
chaque semaine, une région nouvelle. (p. 93-94)
Faut-il tomber malade, s'étonna-t-elle, pour se sentir si vivante !
Elle a cette intuition, maintenant qu'il convient de ne rien faire. Ne pas encombrer l'attente. A l'inverse de ce qu'elle a appris, de ce qu'elle a toujours cru, il est plus facile de faire quelque chose plutôt que rien. Faire est une lâcheté se dit-elle parfois étonnée de sa pensée. Ne rien faire réclame plus de détermination, plus de courage. Elle y parvient de mieux en mieux... C'est une révélation. Chaque jour, elle découvre de nouvelles possibilités.
Son histoire résonne en moi au moment où je suis tenté, moi aussi, par le renoncement. Mais Justo s'avance, donne l'exemple. Il se tient droit, la tête haute, fidèle à lui-même. Il n'a pas renoncé. Il a accepté l'idée de l'oeuvre, d'habiter l'oeuvre. Une oeuvre qui n'a pas de fin, à laquelle il revient sans cesse, chaque matin (dont l'unique fin possible-Proust nous l'a appris-sera la mort de l'artiste)
Il a choisi d'écrire avec des briques... (p. 64)
Don Quichotte faisant son miel de tout... Inventant, s'extasiant, ne renonçant jamais. Introduisant de la grandeur dans la petitesse. De la noblesse dans la trivialité. De l'imprévu dans la morne succession des jours.
Le monde a pour vocation d'échouer. Le désenchantement, chacun de nous sait cela, est au coin de la rue. Il faut être fou pour être survivre, mais il faut être un fou appliqué. (...)
Construire une cathédrale dans un village, seul, de ses propres mains, était une entreprise absurde, en complet décalage avec les aspirations de l'époque. (p. 81)
On vient avec sa soeur, son frère. Avec ses enfants. Avec sa meilleure amie. On vient pour partager. Pour être surpris. On vient pour se sentir plus proches les uns des autres. ON arrive, on regarde. On se méfie, un peu. Mais on franchit le seuil... Les portes sont grandes ouvertes. Il n'y a pas de ticket d'entrée. Pas de règlement. Pas de surveillants. Pas de guides...
N'est-ce pas cela , le premier étonnement ? (p. 43)
Toute ma vie, j'avais observé les autres. J'étais resté spectateur. Je n'étais jamais monté dans un wagon. J'avais salué, depuis le quai, ceux et celles qui se mettaient à la fenêtre. Je les avais regardés s'éloigner, disparaître dans le lointain.
Il n'y a pas tant de moments dont on sait, à l'instant même où on les vit, qu'ils sont inoubliables. Qu'ils ne se répéteront pas, parce qu'ils sont le produit d'une configuration exceptionnelle, d'un équilibre fragile. Des instants légers, fins comme une dentelle et, malgré tout, indestructibles.
La vérité, a-t-il dit. Je lève les yeux. Nous y sommes. La cathédrale, altière et absurde, construite par un seul homme. L'oeuvre d'une vie. Elle se dresse devant moi. Ce n'est pas un mirage; Elle se tient debout. Un chantier de plus de cinquante ans. Un chantier sans fin (et dont on peut souhaiter, secrètement, qu'il n'ait pas de fin) (p. 57)
Il faut un peu de fidélité à son histoire, n'est-ce pas ? Il faut avoir une histoire...Quelque chose qui relie. Des fils suspendus, qu'on accroche soi-même. Il faut cheminer dans sa propre histoire, et s'arrêter de temps en temps, pour accrocher des fils... (p. 86)
... pourquoi ne m'avait-elle pas salué, lorsque j'étais entré dans le salon ? Ce dédain m'intriguait. Fallait-il l'interpréter, au rebours des apparences, comme une marque d'attention ?
Soudain, assis sur ma pierre, je me dis qu'un amour était possible. J'avais envie d'y croire. Un amour vivant, tangible. Celui dont j'avais été privé, vingt-cinq ans auparavant. Rongières ne serait pas un empêchement. Sur mon tapis volant, je me sentais capable de survoler tous les obstacles, de renverser toutes les barrières. Ce matin, elle avait pris ma main. Je n'avais pas rêvé.
L'idée du chemin, tôt ou tard, remplace le chemin. Et l'idée de l'amour remplace l'amour.
J'aimais ce spectacle du temps gâché - rien n'est plus beau, dans la jeunesse, que l'étendue du gâchis...