Citations de Martin Dumont (81)
On s'imaginait sur une scène immense. Public en feu et colonnes d’amplis dans le dos. Louis faisait semblant de haranguer la foule tandis que je lançais des «Bonsoir!» et des «Merci!» aux murs à chaque fin de chanson. On bossait comme des dingues. On voulait progresser, constituer un set et se produire. Le samedi était le plus beau jour de la semaine. Une fois épuisés, on rangeait les instruments, on débriefait, puis on sortait faire la fête. p. 44
J'ai répondu que je passerais puis j'ai écrit à Maëlys pour prendre des nouvelles d'Agathe.
J'avais besoin de savoir où elle était, ce qu'elle était en train de faire. Elle vivait tant de choses loin de moi, il me semblait que sa vie m'échappait. J'aurais donné n'importe quoi pour la voir plus souvent, pour avoir droit à un peu plus de temps, mais le pédiatre nous répétait qu'il fallait éviter de la perturber. J'avais des arguments pourtant, mais Maëlys n'écoutait pas. Elle suivait l'avis des médecins sans jamais se poser de questions.
- Léni ? Qu'est-ce que tu fais là ?
Je n'ai pas eu le temps de répondre. Un cri a traversé le salon et s'est planté dans ma poitrine.
- Papa!
Ma princesse est arrivée en courant, a contourné sa mère et s'est jetée contre mes jambes. Je me suis baissé pour la soulever.
- Salut, ma belle.
Oui, les belles phrases existaient, elles dansaient tout autour. Ces mots trop grands pour moi et que je me contentais de regarder filer dans l'obscurité.
Le monde se renversait. Il m'échappait, il s'en allait peser ailleurs, sur d'autres épaules.
Et comment il aimait cette vie, malgré tout. Même si elle était dure, même si elle lui donnait parfois l'impression de lui cogner dessus. Il n'accepterait de l'échanger pour rien au monde.
J'ai pensé que je n'étais pas un perdant. Que je n'en serais jamais tout à fait un.
Toute ma vie était là, dans ces petits moments.
La marée était basse, je l’ai senti avant même d’arriver. Il n’y avait pas le moindre souffle de vent, la houle venait mourir sur les amas de goémon en formant des arcs d’écume.
Je suis encore passé devant le monstre. C’est comme ça qu’on l’appelle chez nous. Il est chaque jour plus gros, il avance en bouffant la mer. Marcel répète qu’il ne faut pas baisser les yeux, qu’il faut regarder en face. Que rien ne peut plus l’arrêter mais qu’on doit rester digne. Sa voix tremble quand il parle du monstre.
Le soleil s’élevait sur l’horizon, illuminant les coques d’acier. J’apercevais la mer par-dessus le bras de terre qui protégeait le fleuve. J’ai cherché l’île et j’ai fini par deviner sa silhouette sur l’horizon. Belle et grave, tristement solitaire. En face, la côte s’étirait à l’infini. Le monde entier dansait dans la lumière naissante, une étendue immense qui répondait à l’île. Entre les deux une ombre filait au-dessus de la baie inondée de reflets orangés. Une ligne, à peine l’esquisse d’un lien entre les berges. Un trait d’union.
C'est pas rien, une île... C'est un bout de terre planté au milieu de l'océan. Un caillou peut-être, mais avec la mer autour. Un truc magique, un endroit d'où tu peux pas te barrer comme ça, juste sur un coup de tête. Et même pour la rejoindre d'ailleurs ! Une île, ça se mérite. Faut prouver qu'on est digne de l'atteindre, faut être à la hauteur.
On espère beaucoup de choses de soi, mais la réalité est souvent différente. Il n'y a qu'au pied du mur qu'on sait vraiment ce qu'on a dans le ventre. Il y a des tas de lâches qui s'ignorent. Je ne m'exclus pas du lot.
« Et vous, ça va ? »
J’ai eu envie de lui dire non. Juste une fois. Être sincère, arrêter de mentir. J’ai voulu lui avouer que j’avais peur, que j’étais terrorisé même, que je me sentais dépassé, incapable, englouti. Que je commençais à penser que c’était une catastrophe, que j’étais un traître, un lâche. Que c’était moi, en fin de compte, qui assassinait mon fils.
Je voulais qu’on maintienne sa vie. La qualité, ça viendrait après.
Est-ce que j’avais raté quelque chose ? J’étais son père : les parents doivent pouvoir décrocher la lune.
Les futurs, ils étaient là ; ils dansaient derrière la porte […] Oui, tant qu’on n’ouvrait pas, la réalité restait libre ; elle pouvait filer dans toutes les directions. […] Non, ce qui compte, c’est l’espoir. Un mot de trop, une expression ou une porte qui s’ouvre - c’est la mort du conditionnel.
L'immensité, elle est aussi à l'intérieur. J'ai toujours aimé l'instant où le coeur s'efface.
Je crois qu'il faut morfler pour profiter des bons moments.
[...] j'ai toujours cru qu'on s'en sortirait. Peut-être que j'y crois encore. Ce n'était pas un gros problème. Ça faisait les montagnes russes, mais la vie c'est souvent ça. Quand on touchait le fond, on prenait appui et on poussait pour remonter. J'ai trouvé un tas de trucs dans la souffrance. Le malheur, il a sa place[...]
J'ai dit "merci" mais je ne le pensais pas. On fait ce qu'on peut avec ses lèvres.