Matthieu Aron

Les cabinets, en investissant la bataille des idées, incitent leurs clients (privés ou publics) à acheter ensuite leurs prestations.

Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n'est point d'hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement.

L'homme le plus honnête, le plus respecté, peut être victime de la justice. Vous êtes bon père, bon époux, bon citoyen et marchez la tête haute. Vous pensez que vous n'aurez jamais aucun compte à rendre aux magistrats de votre pays. Quelle fatalité pourrait vous faire passer pour un criminel ? Cette fatalité existe, elle porte un nom : l'erreur judiciaire.

Le cocktail rumeur-internet est explosif. La contagiosité de la première adore la vitesse et la taille du second. […] Alors que les frontières techniques du monde virtuel sont toujours repoussées, […] comment distinguer la vérité, la pub, la rumeur ? Chacune est dissimulée sous un gobelet de bonneteau, les gobelets changent de place trop rapidement, et nous ne saurons peut-être plus, dans les années qui viennent, sous lequel se trouve la vérité. (208-209)

Quel curieux mécanisme pervers nous pousse-t-il ainsi collectivement à vouloir nous faire peur ? Pourquoi sommes-nous si prompts à croire au pire ? Aurions-nous finalement besoin d'un monde peuplé d'ogres ? (143)

Dans un climat passionnel entretenu par la surmédiatisation de quelques faits divers tragiques, les repères du réel s'estompent, la confusion sociale s'instaure. La rumeur permet au groupe de se libérer de ses interdits pour exprimer sa violence et purger ses angoisses. Une victime expiatoire est désignée dont on réclame, comme au temps du pilori et des bûchers, le sacrifice. (137)

Le numérique ne fait-il que révéler un racisme latent, ou, au contraire, en multiplie-t-il les effets ? Éternelle question de la poule et de l’œuf. (48)

Le « droit à la publication », qui était jusqu'à présent strictement encadré et contrôlé, est devenu un droit universel. C'est une révolution bien plus grande et radicale que celle de l’invention de l’imprimerie. […] Paradoxalement, le numérique nous renvoie vers le passé et ce que l'on croyait, sinon jugulé, refoulé. […] Les techniques de la rumeur se modernisent, mais les fantasmes qu'elle charrie restent les mêmes. (13)

La rumeur est rarement souriante. (9)

En réalité, nous vivons ici un moment unique: c'est une rencontre avec l'histoire des libertés dont la France avait écrit les premières pages même si, depuis, nos encriers semblent s'être taris ou nos esprits calcifiés.

La sécheresse du propos de Maurice Papon fait penser à la phrase de Kafka: "Les chaînes de l'humanité sont faites en papier de ministère."

"Je n'ai jamais pu comprendre pourquoi, alors que nous savions tant de chose sur l'Allemagne et sa machine de guerre, nous en savions si peu sur les camps de concentration et l'ampleur de l'Holocauste. Nous savions de manière vague, que les Juifs étaient persécutés, qu'ils étaient raflés dans les pays occupés et déportés en Allemagne, qu'ils étaient internés dans des camps où ils étaient victimes de sévices et d'assassinats. Mais bien peu d'entre nous (aucun peut-être) n'étaient capable de se représenter le massacre dans toute son horreur."
- William Casey, directeur de la CIA pendant la guerre.

A celle qui l'interrogeait comme "enfant de la guerre", Elie a dit : "J'ai pardonné à ceux qui ont tué mon père, ma mère et mon frère parce que, si on ne pardonne pas, la vie n'est plus possible."

N'écoutez pas non plus la rumeur ignoble. N'écoutez pas l'opinion publique qui frappe à la porte de cette salle. Elle est une prostituee qui tire le juge par la manche, il faut la chasser de nos prétoires, car, lorsqu'elle entre par une porte, la justice sort par l'autre.

Au petit matin du 13 mars, le Sauveur de Notre-Dame débarque avenue de Ségur, au ministère de la Santé [...] A la place des cadres qu il espérait, on lui impose deux consultants d un grand cabinet de conseil.

Le gigantisme de l'horreur ne se fabrique-t-il pas à partir des individualités qui y concourent ?

Qu'on y songe un instant, il faut une bonne dose d'inconscience ou d'orgueil pour penser que l'on peut faire basculer une vie avec une "simple" plaidoirie. Et pourtant, ils n'en doutent pas, fiers d'appartenir à une profession où le verbe est encore roi. A l'heure de l'image et du tout numérique, les avocats croient toujours à la puissance des mots. Pour infléchir un juge ou amadouer un jury, diminuer une peine ou au contraire faire lourdement condamner un coupable, pour restaurer une dignité bafouée ou panser les blessures de ceux que la vie a malmenés. Leurs mots sont des glaives ou du baume sur les plaies. Plaider, disent-ils, c'est "partir au combat". Avec comme seule arme, la parole.