Citations de Maurice Genevoix (383)
Cette bonne terre est chaude et vivante. Elle me protège du gel, mieux que ne le font les pierres de vos murs, les pierres mortes qui sont le squelette de la terre.
Il aperçut au milieu du viaduc une travée nouvellement reconstruite, dont la maçonnerie neuve tranchait crûment sur celle des autres. Alors un lueur joyeuse glissa dans ses prunelles, et, regardant la Loire avec un sourire complice : "Tu l'as quand même fichu en bas, hein, leur pont."
J'ai vu Pitaine, autant dire sous mes yeux, une année qu'il avait barré à cent mètres de ma maison, sortir de la Loire, en quinze jours, six tonnes de saumon d'hiver. Je dis bien six mille kilos.
Le père aimait bien vivre là, à cause des deux fenêtres qui regardent la Loire. Il disait que parfois il croyait être sur un grand navire, et voyager très loin, dans des pays inconnus.
La Loire est sauvage, sauvagement libre. Elle se garde et brise toute contrainte d'où qu'elle vienne : malheur aux hommes s'ils ont osé la contraindre !
Tout le monde sait qu'il y a eu des castors en France : qu'il y en a eu aux approches mêmes de Paris, sur les bords de la rivière la Bièvre. La Bièvre, qui coule maintenant sous les Gobelins, c'était la rivière aux castors, aux bièvres. Tel était en effet le nom français de l'animal, presque semblable à son nom anglais beaver. Mais castor, mot latin après avoir été grec, a décidément prévalu. Va donc pour castor, une fois pour toutes : je n'ai pas l'intention de faire ici de la sémantique ni de l'étymologie, sciences hasardeuses, pleines de pièges à bévues. Et pas même d'autre zoologie, avec votre permission, que d'un flâneur attentif et curieux.
Le Rouge s'est arrêté, debout. Il se retrouve, face à ses poursuivants ; il recule de quelques pas encore. Ses jambes flageolent, mais il reste debout, campé sur un rehaut du sol, un tas de mottes et de ramée qui semble une cabane éboulée. Derrière lui quelques grands ormes, sous le passage tranquille de la brise, balancent leurs branches imperceptiblement. Il n'a pas baissé sa ramure comme devant les abois d'une meute. S'il fait front, c'est la tête levée, les bois hauts, les jambes raidies, grand de toute sa taille devant cet homme et devant ce chien.
Et bientôt, presque instantané, ce fut un silence saisissant, un dernier battement de rémiges, un dernier cri sifflant et doux. Le Rouge ne voyait pas les grands oiseaux couleur de lune ; mais tout le champ palpitait comme une voile, et la chaleur des voyageurs, apportée sur les vagues de lumière, poussait jusqu'à ses pieds de molles ondes inépuisables. Il se remit à frissonner. Et tout à coup, venu du fond de ses entrailles, lentement enflé à travers son corps, montant, irrépressible, de sa poitrine à sa gorge brûlante, son premier brame jaillit dans la nuit.
Il remonta et sortit de la brume. La lune, plus haute et plus blanche, faisait courir son ombre devant lui. Quelques foulées encore, et ses naseaux humèrent l'odeur de la forêt, ses pieds foulèrent les premières broussailles, une touffe d'ajoncs lui piqua les genoux. Son corps chaud, soulevé en avant par le même trot simplement balancé, plongea dans l'épaisseur des arbres. Et les branches le touchèrent au passage, une longue et longue caresse de feuilles parmi les glissantes taches de lune.
Il y eut un matin, à l'aube, une rencontre dans un layon avec le Broquart du Chêne Rond. Cette fois, comme la précédente, le Rouge et lui se trouvèrent presque nez à nez. Mais le broquart vit sans doute les dagues neuves, car il passa en s'écartant un peu, avec la courtoisie qui convenait à sa petite taille.
Ce jour-là, ce brûlant jour d'été, la mère biche était revenue ; elle l'avait retrouvé sous les feuilles ; sa langue l'avait léché, caressé.. Il s'arrêta et bêla de nouveau. Le poil en sueur, la poitrine haletante, il se remit à frissonner : il avait froid.
Du ciel familier, des terres natales, des appels mystérieux vous arrivent, des voix secrètes et connues, mille présences persuasives qui vous tirent, comme avec des mains hors du lit.
Et soudain, tout contre moi, à ma gauche, la sensation d'un vide, d'une souffrance insupportable qui attente à l'ordre du monde (...) Désormais je sais que le feu tue.
Au-delà de ce que voyaient ses yeux - les colonnes des chênes, leur épaisse et grise écorce, les noeuds de leurs racines et la puissance de leur plongée - elle voyait ce qui restait caché, de toute part mêlé à la forêt. Et elle le voyait à son gré, sans qu'elle eût à faire un pas puisqu'elle était au coeur de la forêt et que, l'ayant trouvé, elle était devenue ce coeur même.
Parfois, la voix humble et docile, il approuvait d'un mot les paroles de Tournefier : "Ainsi !... Elle n'était pas fautive, sûr que non... On l'avait plainte... Dieu merci, le monde n'était pas tous méchants..."
Les troncs des pins sylvestres étaient roses ; on voyait leur sang sous l'écorce. Et par les genêtières c'était un flamboiement, une gloire lumineuse confondant les grappes fleuries, dont l'odeur chaude-amère flottait au loin comme un pollen.
... Volat était un des métayers de Tancogne, et son homme à tout faire, son espion, un chacun s'en doutait Familier, oui, blagueur à l'occasion ; mais plus encore que ses rogues manières, on redoutait la bonhomie pateline et froide dont il s'accoutrait quelquefois : si malin que fût le grand Volat, on reniflait à son entour un relent d traîtrise qui invitait à la prudence ; un putois a beau être fi, il n'est pas libre de ne pas puer.
Je veux répondre à toutes les sollicitations du monde prodigieux où je me suis trouvé jeté, ne jamais esquiver les chocs quand ils devraient me démolir, et garder malgré tout, si je puis, cette belle humeur bienfaisante vers laquelle je m’efforce comme à la conquête d’une vertu.
Les hirondelles dans l'air tissent les secondes ailées du temps
Ces jardins, cette eau verte et rose, ce doux soleil sur les murettes de pierres, ces floraisons légères et tendres, c'était comme un printemps soudain, comme un sourire charmant de la terre et de la saison qui fut venu à leur rencontre.