Dans le cadre de la dernière Masse critique littéraire organisée par Babelio à laquelle je remercie chaleureusement toute l’équipe de m’avoir associée, me voici donc embarquée cette fois dans une tempête bien singulière.
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A l’instar des météorologues, elle aurait pu s’appeler Corenthin cette tempête. A moins que l’on ne penche pour Mathieu ? En effet, pris dans la tornade de leurs débordements, incertitudes, émotions refoulées ou débordements verbaux mal maîtrisés, ces deux garçons entrent dans l’adolescence à douze ans par une fenêtre brisée par un galet ouvrant sur un blockhaus plutôt que par une porte largement ouverte sur une vie familiale douce et protectrice. Et leur rencontre suivie de tous ces rendez-vous pris ou volés seront à la hauteur de la tempête intérieure qui les lie d’abord puis les confronte ensuite dans la colère du vent océanique qui finira par frapper l’île d’Oléron cette nuit de trop.
Revenir sur les lieux onze ans après devient nécessité pour ce narrateur qui s’est depuis construit une vie loin de ces vagues adolescentielles et pourtant ombrée par des questions restées en suspens. Un fait divers journalistique lui donnera le signe qu’il attendait.
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D’un exil issu de la volonté maternelle de s’extraire de sa propre pression familiale suite à un deuil tragique qui la touche conjointement avec son fils, Mathieu, celui-ci prendra de plus en plus de vitesse et de risques sur des chemins de plus en plus tortueux pour échapper à cette chape de plomb, à ces mots qui ne sortent pas, à cette incompréhension, à cette confrontation à la réalité... pour aller narguer cette impression d’indifférence à son égard et chercher sa brillance dans le regard d’un autre, Corenthin.
Mais celui-ci n’a pour seul critère de mesure que la hauteur des obstacles et le risque des épreuves qu’il donne à surmonter.
Limites personnelles, émulation du collectif, effet-miroir et construction de la conscience par l’expérimentation : vivre sur le fil du rasoir et savoir jusqu’où accepter de se couper, tout dépend de la profondeur de la plaie que l’on pourra panser. Reste la question de la cicatrice...
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Comme une allégorie de la vie, nombreuses sont les interprétations psychologiques et sociologiques offertes par l’analyse de ces destins à la fois pris dans leur unicité puis dans leurs liens respectifs. Chacun ayant sa façon dans l’instant ou dans le temps d’affronter, surmonter ou fuir ses épreuves, celles qu’il ne voie que sous l’angle de son étroite lorgnette personnelle submergée d’émotions refoulées avant de dézoomer et d’accepter un carrefour commun des souffrances qui donne au collectif à la fois le pouvoir de détruire mais aussi de soutenir et de reconstruire (ici avec cette présence maternelle à la fois repoussée comme elle-même repousse la sienne dans une forme de déterminisme familial évident, puis finalement recherchée et source d’apaisement et de repère quand le repaire prend l’eau).
Il faut parfois des années pour comprendre et revenir sur les traces du passé afin de ressentir autrement, d’accepter différemment ou de définitivement tourner la page, parfois en enfouissant. Onze ans après, le narrateur revivra donc ces moments et en tirera ses propres conclusions, tout en nous laissant la place d’en tirer les nôtres.
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La qualité lumineuse de l’écriture est sans conteste, dotée à la fois du sens du rythme et de l’art de d’amener et de maintenir une ambiance d’attente, de questionnements, de suspense, dans un climat à l’image de cette tempête qui s’annonce. Les usages métaphoriques entre le climat qui se déchaine pas à pas et ce point de rupture intérieur qui plane et se précise sont en cohérence avec ce travail de deuil qui franchit ses étapes avec son temps, le deuil initial et celui de l’enfance qui l’accompagne.
Un seul bémol toutefois réside sans doute dans le décalage ressenti entre cette attente insoutenable de découvrir quel était cet acte tant redouté et placé au centre du franchissement de toute limite bien amenée, et la confrontation à la scène en question qui m’a laissé un arrière-goût de passage trop rapidement éludé, peu développé en lui-même tant sur les émotions que sur la description matérielle des faits. Peut-être pour laisser au lecteur sa liberté d’imaginer, d’interpréter. Mais personnellement, certaines zones d’ombre ou certains ressentis sont restés là-bas, en suspens perdus dans cette nuit ou mal éclairés au jour du retour.
Amis Babelionautes, je serais heureuse d’avoir des retours sur votre propre lecture de ce récit et d’échanger, n’hésitez pas !
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