Citations de Michèle Gazier (162)
Cette histoire lue quelque part d'un condamné de la Terreur révolutionnaire lisant un livre dans la charrette le conduisant à l'échafaud, et qui marqua la page ou il en était avant de monter vers la guillotine.
Je ne crois pas avoir saisi tout de suite combien derrière son apparente façade de tranquillité Saint-Julien pouvait être une terre hostile et indéchiffrable pour qui n'y avait pas quelques accointances. Les gens d'ici ne m'aiment pas .Et je leur rends bien. Mais je m'inscris dans leur histoire. Je suis celui qui est parti celui qui《 s'en croit, comme on dit dans ce pays. Le fils de, petit-fils de, etc...Je ne partage rien de leurs centres d''intérêts mais ,d'une certaine manière, je parle leur langue. Cette langue intime des gestes, des manières de se comporter. Des silences. Une langue enrichie de connaissances géographiques anciennes-- les noms des boutiques aujourd'hui disparues, les vieux surnoms des rues--,des querelles ancestrales, des secrets de famille. Même si je sais très peu de leurs secrets qui, en outre, ne m'intéressent pas en dehors de leur interaction sur l'histoire qui m'occupe. Je tiens mon lointain et vague savoir villageois de mon grand-père. Cette mémoire-là de l'enfance, de nos promenades, m'accompagne fidèlement. Il m'arrive encore lorsque je parcours les rues à la nuit tombée d'entendre la voix de mon aïeul me racontant ses jeunes années de petit paysan.
Il a quitté Paris sur un coup de tête. Quelque chose entre le ras-le-bol et le burn out. Le sentiment d’étouffer comme au temps du pensionnat, lorsqu’on lui faisait avaler ces platées de riz au lait dont il avait horreur. Trop ! Tout était trop.
Éviter le regard de l’autre, plonger en lui, se perdre. Puis elle s’était rhabillée très vite, sans un mot, tandis qu’il allumait une cigarette. Et elle était repartie, presque en courant, à peine rassasiée de tout ce désir qui la rongeait depuis sa rupture.
Il est arrivé au milieu de l'hiver 2000, quelques semaines à peine après la tempête. Les gens du village se souviennent de ces choses -là. De la tempête, qui a déraciné les trois platanes de la place,mais épargné un acacia maigrichon qu'un des maires avait planté dans les années 1980, à la mémoire d'une paysanne retrouvée morte sur le trottoir.Une femme qui avait mérité, disait-on au village,même si plus personne ne se rappelait ses mérites.Et l'Acacia avait résisté, juste perdu quelques feuilles.
Sans doute me suis-je construite sur ces demi-silences dont je n'ai jamais souhaité réveiller les murmures. Car les silences bruissent pour qui sait les entendre.
L'hôpital entre avec nous chez les vieux, insidieusement, sur nos talons. Et ils passent, sans à peine y penser, du confort voluptueux du lit profond à la rigueur du lit médicalisé. Tout un trajet de vie est là, dans ce simple passage, dans ce changement de décor.
C'est étrange comme la nudité, les corps fatigués, meurtris, déformés, blessés de mes patients me semblent plus difficile à regarder, à toucher, ici dans les lieux de leur vie ordinaire, leurs appartements parfois vétustes, parfois opulents, meublés, décorés et qui sont les écrins plus ou moins plaisants de leur longue vie.
J'avais oublié la règle d'or de mon métier. Faire le maximum puis oublier, ne pas s'attacher.
On a souvent évoqué ma générosité, mon empathie, mais c'est oublier que donner, se donner est le moyen le plus sûr de garder de la distance. De se soustraire.
Partir est le mot clé de mon vocabulaire intime. Partir pour fuir. Se fuir. Quelle blague. On n'est jamais plus soi-même que lorsqu'on est loin de son port d'attache, de ses racines, de sa vie ordinaire. Ce qui me plaît dans le partir, c'est quitter le quotidien et tous ceux qui en sont la chair. Les individus, pas ma fonction auprès d'eux. Je suis infirmière et j'aime l'être car je crois encore qu'on peut réparer les vivants. Au propre et au figuré.
L'infirmière passe d'un patient à un autre. Elle ne cesse de partir et d'arriver. D'arriver et de partir.
Il faut d'abord chercher en nous les racines de nos malaises.
Les gens ne sont plus que leur maladie, leur vieillesse, les soins qu'ils requièrent. La déshumanisation s'exprime plus qu'ailleurs dans la langue.
Ensemble, nous avons partagé des lumières bleues, le silence absolu de la nature et ces nuits artificielles où tout semble s'arrêter, avant que peu à peu la lumière ne revienne en quartiers d'oranges vives dans le ciel bouleversé.
Le premier jour de pause est toujours porteur d'angoisse. Je me sens comme une voiture lancée à deux cents à l'heure, obligée de freiner net. Alors, je dérape un peu. Me voilà confrontée sans douceur à la solitude qui est la mienne. Solitude voulue, recherchée, c'est du moins ce que je me plais à répéter.
Je ne voulais plus faire plaisir mais me faire plaisir.
Le malheur fait fuir la jeunesse.
Les deux femmes étaient complètement les mêmes. Et à partir de ce moment-là,je n'ai jamais pu savoir si c'était la vraie que je voyais assise sur les coussins en train de lire ou de dessiner, qui s'installait au soleil sur un transat dans le jardin, ou qui partait marcher dans le jardin, sur la petite route qui longe la palmeraie
Elle avait pensé non pas de le perdre, mais qu'il se perde dans ce corps de femme qu'il habitait avec sa petite cinquantaine et ce désir infini de la rendre invulnérable encore un temps.