AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Miguel Bonnefoy (596)


Cette déchirure qui s’agrandissait entre ses jambes, cette tête fétide et imbibée qui apparaissait, c’était la difficile offrande qu’elle faisait au monde, mais aussi la jalouse appropriation par laquelle la volière tout entière réclamait son baptême. Une petite boule couverte de sang et de plume sortit du ventre de Thérèse, et roula sur sa tête comme un œuf au milieu du tumulte des piaillements, d’un concert de cris et de hululements.
Commenter  J’apprécie          140
Elle ne connaissait d'Icare que l'ascension, car elle fermait toujours le livre avant la chute.
Commenter  J’apprécie          140
L'analphabétisme avait isolé le village du monde. Faute d'instituteur, on ne savait lire que les caprices du ciel et on comptait jusqu'à cinquante.
Commenter  J’apprécie          140
Avant de se coucher,elle évitait les romans d'aventure et les dialogues houleux.Elle choisissait plutôt des descriptions champêtres et cherchait toujours à s'assoupir sur une métaphore.p.28
Commenter  J’apprécie          140
De ce monde, il ne prenait que l’oxygène : au monde, il ne donnait que son silence.
Commenter  J’apprécie          140
Celui qui arriva jusque dans le jardin, après avoir traversé la maison sans dire un mot, fut un garçon famélique, avec un pantalon déchiré jusqu’au genou amarré par une corde, les vêtements en haillons, la chemise tachée de sang et le crâne rasé, couvert de cicatrices noires qu’il cachait sous un bonnet plein de trous. Ce garçon n’était plus un garçon, c’était le spectre de la dictature, c’était la métaphore rustre, terrifiante, effroyable, d’un peuple déjà meurtri.

(Rivages, p.197)
Commenter  J’apprécie          130
Ses cheveux gris étaient coupés presque à ras, et bien qu'il ait dépassé la quarantaine, une lueur vive dans ses yeux lui donnait comme une jeunesse tardive.
Commenter  J’apprécie          130
Elle ouvrit la porte en grand et déplaça les oiseaux les plus fragiles sur l'herbe. Certains s'envolèrent aussitôt. D'autres se recroquevillèrent, immobiles et patients. Petit à petit, affolés par ce mouvement inhabituel, ceux qui étaient encore dans la cage commencèrent à voleter, à s'ébouriffer, à jaillir dans un tumulte de plumes. Margot libéra cent oiseaux cette nuit-là, comme si elle se libérait elle-même d'une vie ancienne, puis retourna dans sa chambre. Elle fit un cauchemar au fond de son lit, cernée de remuements sournois, où elle entraperçut la volière brûler dans un grand feu vert et des carabiniers achever les oiseaux à l'intérieur. Elle se réveilla toute couverte d'écorces de pin, comme au jour de sa naissance, et se précipita dans le jardin pour s'assurer que la volière était bien vide. Mais lorsqu'elle descendit, elle découvrit avec étonnement que tous les oiseaux étaient revenus pendant la nuit, ne sachant où aller, et se tenaient sur le toit de la cage comme une chevelure de bronze.
Commenter  J’apprécie          130
La rumeur courut qu’on donnerait trente francs à celui qui ramènerait une information du front ennemi. Rapidement, dans les pires conditions, des fantassins affamés tentèrent leur chance en rampant au milieu des cadavres couverts de larves. Ils se traînaient dans la boue comme des bêtes, en veillant dans une crevasse pour tendre l’oreille, par-dessus les chevaux de frise, afin de saisir une date, une heure, un indice d’attaque. Loin de leur cantonnement, ils se faufilaient le long des lignes allemandes, tremblant de peur et de froid dans leur poste de guet clandestin, et passaient parfois des nuits entières recroquevillés dans un trou d’obus. Le seul à avoir touché les trente francs fut Augustin Latour, un cadet qui venait de Manosque. Il racontait avoir découvert une fois un Allemand au fond d’un ravin, le cou cassé par une chute, et il lui avait fouillé les poches. Il n’y avait rien trouvé d’autre que des lettres en allemand, des marks papier et de petites pièces en métal avec un trou carré au centre, mais dans un double fond en cuir, au niveau de la ceinture, il vit trente francs, soigneusement pliés en six, que l’Allemand avait sans doute volés à un cadavre français. Il les brandissait alors, fier de lui, en répétant :
– J’ai remboursé la France.
Ce fut plus ou moins à cette époque qu’on découvrit un puits à mi-chemin entre les deux tranchées. Jusqu’à la fin de sa vie, Lazare Lonsonier ne sut jamais comment les deux lignes ennemies s’étaient accordées sur un cessez-le-feu pour y accéder. Vers midi, on suspendait les tirs, et un soldat français disposait d’une demi-heure pour sortir de sa tranchée, s’approvisionner en eau avec de lourds seaux et faire marche arrière. La demi-heure passée, un soldat allemand se ravitaillait à son tour. Une fois les deux fronts fournis, on recommençait à tirer. On survivait ainsi pour continuer à se tuer. Cette danse noire se répétait tous les jours avec une exactitude militaire, sans aucun dépassement de part et d’autre, dans un strict respect des codes chevaleresques de la guerre, au point que ceux qui revenaient du puits disaient entendre pour la première fois, après deux ans de conflit, le chant lointain d’un oiseau ou la meule d’un moulin.
Lazare Lonsonier se porta volontaire. Chargé de quatre seaux pendus aux avant-bras, de vingt gourdes vides en bandoulière et d’une bassine à vaisselle entre les mains, il atteignit le puits après dix minutes de marche, en se demandant comment il rebrousserait chemin avec les mêmes récipients pleins. Le puits, entouré d’une vieille margelle et d’un muret décrépi, avait la tristesse d’une volière vide. Tout autour gisaient quelques bassines trouées de balles et une vareuse militaire que quelqu’un avait abandonnée sur le rebord.
Il attacha l’anse du seau au bout d’une corde et le fit descendre jusqu’à entendre un clapotement. Il tirait pour le remonter, lorsqu’une masse apparut subitement comme un rocher devant lui.
Lazare leva la tête. Debout, couvert de boue de camouflage, un soldat allemand pointait son arme sur lui. Terrifié, il lâcha la corde, laissant tomber le seau, se redressa d’un bond, voulut s’échapper, mais trébucha sur une pierre et cria: – Pucha!
Il attendit le tir, mais il ne vint pas. Lentement, il rouvrit les yeux et se tourna vers le soldat. Il fit un pas en avant, Lazare recula. Il avait sans doute le même âge que lui, mais l’uniforme, les bottes, le casque, tout lui en donnait davantage. Le soldat allemand baissa son pistolet et lui demanda : – Eres chileno ?
Cette phrase fut chuchotée dans un espagnol parfait, un espagnol où apparurent des condors furieux et des arrayanes, des cormorans et des rivières qui sentent l’eucalyptus.
– Si, répondit Lazare.
Le soldat eut une expression de soulagement.
– De donde eres ? demanda-t-il. – De Santiago.
L’Allemand eut un sourire.
– Yo también. Me llamo Helmut Drichmann.
Lazare reconnut le jeune voisin de la rue Santo Domingo qui lui avait demandé, dix ans auparavant, l’origine de son nom. La nouvelle de la guerre était tombée sur eux en même temps. Tous deux avaient cédé à la tentation de traverser un océan pour défendre un autre pays, un autre drapeau, mais à présent, devant ce puits, l’espace d’un instant, ils revenaient en silence pour s’abreuver à la source qui les avait vus naître.
– Escuchame, dit l’Allemand. On prépare une attaque surprise vendredi soir. Débrouille-toi pour être malade ce jour-là et passe la nuit à l’infirmerie. Ça pourrait te sauver la vie.
Helmut Drichmann prononça ces mots d’un seul souffle, sans calcul ni stratégie. Il le dit comme on donne de l’eau à un autre homme, non pas parce qu’on en a, mais parce qu’on connaît la soif. L’Allemand ôta son casque d’un geste lent, et seulement alors Lazare put le voir avec netteté. Son visage était d’une beauté marmoréenne, lourd et mat, d’une couleur sobre, dont la patine rappelait le charme discret des vieilles statues. Lazare se souvint de tous ces soldats qui dormaient dans des fosses dans l’espoir de surprendre une conversation, de révéler la cachette d’un peloton ou la position secrète d’une mitrailleuse, et il mesura le prix de cette confidence, qui lui apparut tout à coup évidente et absurde, jetée avec ses grandeurs et ses bassesses dans les véritables dimensions de l’histoire.
Commenter  J’apprécie          130
Ainsi, les marécages, les passions, les profondeurs de la nature, avalèrent si bien la frégate de Henry Morgan que l'on ne récupéra aucun vestige, et son trésor resta enfoui là, entre des morceaux de voile et le cadavre d'un pirate, conservé dans le ventre des Caraïbes.
Commenter  J’apprécie          130
Si les étoiles étaient en or, je creuserais le ciel.
Commenter  J’apprécie          130
- L'avantage d'être pauvre, sourit-il, c'est qu'on peut toujours s'enrichir.
Commenter  J’apprécie          130
Hélas, les saints ne passaient pas par les bidonvilles vénézuéliens. Ils ne s'asseyaient pas à cette table. Ils ne participaient pas à la lente et désolante construction du bonheur de pauvres qui, levant la tête vers la lumière, égrenaient leur rosaire en noyaux d'olive et tendaient tous leurs sens pour entendre le ciel répondre à leurs prières.
Commenter  J’apprécie          130
Les plus petits écueils font couler les plus grands galions.
Commenter  J’apprécie          120
Lazare recula. Son corps tout à coup se ferma comme un poing. Ses muscles se tendirent, sa bouche se froissa, et un vertige entra dans l’instant, accompagné d’excuses confuses. Il se leva du lit, marcha à travers la pièce avec des gestes gênés, embarrassés, livrant ainsi à Thérèse aussi bien les imperfections de son corps que celles de son cœur.
Elle soupçonna à cet instant que cet homme portait une plaie muette que chaque mouvement imprudent, chaque senteur inattendue, chaque parole déplacée, pouvaient ranimer. Elle commençait à le connaître dans son silence gauche, plein de blessures secrètes. Bien qu’elle n’eût pas connu les affres et les angoisses de la guerre, elle avait l’impression de pouvoir reporter dans son esprit les mêmes sacrifices et les mêmes vénérations qui habitaient le sien.
Commenter  J’apprécie          120
Elle avait l'âge où l'on pense que les arbres volent autour des oiseaux.
Commenter  J’apprécie          122
Il était arrivé à un âge où l’existence est un déracinement.
Commenter  J’apprécie          120
« La canne à sucre, c’est comme l’espoir. […] Il faut la brûler pour qu’elle repousse avec plus de force. » (p. 51)
Commenter  J’apprécie          120
Ce n'est pas de vivre dans la misère qui rend misérable, mais de ne pas pouvoir la décrire .
Commenter  J’apprécie          120
On y trouvait des officiers sans bannières, des bagnards borgnes, des esclaves noirs qui, les dents cassées par la crosse d'un fusil, avaient été enchaînés sur la côte du Sénégal et achetés sur un marché londonien.
Commenter  J’apprécie          120



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Miguel Bonnefoy Voir plus

Quiz Voir plus

et mon tout est un homme

Le livre est écrit sous forme de lettre ou rapport , à qui est-elle adressée ?

Au préfet
Au Dr Marek
Au président de la république

10 questions
363 lecteurs ont répondu
Thème : Et mon tout est un homme de Boileau-NarcejacCréer un quiz sur cet auteur

{* *}