Citations de Mohamed Mbougar Sarr (1043)
« Si je prenais la littérature et la poésie au sérieux, si je voulais écrire, me disait Gombrowicz, il n'y avait pas d'autre voie que l'exigence, le don absolu de soi à la création. Il me citait une phrase de Vladimir Holan, un poète tchèque: De l'esquisse à l'œuvre, le chemin se fait à genoux. Et il ajoutait: Ce chemin est sans fin » . [p358]
Je m'abritais derrière la littérature comme derrière une vitre ou un bouclier; et de l'autre côté se tenait la vie: sa violence, sa corne, ses coups de bélier à l'estomac. (p. 95)
Un grand livre n'a pas de sujet et ne parle de rien, il cherche seulement à dire où découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà tout, et ce quelque chose aussi est déjà tout.
Inventez votre propre tradition, fondez votre histoire littéraire, découvrez vos propres formes, éprouvez-les dans vos espaces, fécondez votre imaginaire profond, ayez une terre à vous, car il n'y a que là que vous existerez pour vous, mais aussi pour les autres.
Tout le monde en prit pour son grade : le pauvre Salifu et son Noir d'ébène, bien sûr, mais aussi les journalistes et les critiques, qui n'évaluaient plus les livres mais les recensaient, entérinant l'idée que tous les livres se valent, que la subjectivité du goût constitue l'unique critère de distinction et qu'il n'y a pas de mauvais livre ; seulement des livres qu'on n'a pas aimés ; et les écrivains qui avaient banni de leur travail toute exigence de langue ou de création, se contentant de produire de plates copies du réel qui ne demandaient aucun effort poussé à l'abstraction omnipotente et tyrannique qui s'appelait le "Lecteur" ; et la masse des lecteurs, qui cherchaient dans les livres un plaisir facile, divertissant, cousu d'émotions simples moulées dans des phrases simplifiées - celles, disait Sanza, qui excédaient rarement neuf mots, ne s'écrivaient toujours qu'au présent de l'indicatif et bannissaient toute subordonnée ; et les éditeurs, valets du marché, occupés à susciter et vendre des produits formatés plutôt que d'encourager la singularité littéraire.
– La France gagnera vite [la guerre 14-18] avec l'aide de ses fils et frères africains.
– Fils ? Frères ? Non : vous êtes ses esclaves. Vous allez mourir pour elle. Elle vous oubliera.
– Je ne mourrai pas.
– Ne défie pas l'avenir. Tu ne le connais pas.
– Je reviendrai pour mon enfant.
– Il vaudrait mieux ne pas partir pour lui.
Ce n'est pas parce que je serai pardonné que je saurai ce que vaut ma vie et si je suis à sa hauteur.
Mourir pour ses idées est la plus honorables des morts, car cela prouve qu'on en avait.
C'est ça notre vie : essayer de faire de la littérature, oui, mais aussi en parler, car en parler est aussi la maintenir en vie, et tant qu'elle sera en vie, la nôtre, même inutile, même tragiquement comique et insignifiante, ne sera pas tout à fait perdue.
Ici ce n’était pas la mort, mais la vie qui menaçait de vous cueillir à un coin de rue et de se déverser sur vous jusqu’à vous couper le souffle.
Et pourquoi n'y a-t-il plus de chiens?
- On les a tous tués et entassés à la sortie de la ville, vers le sud. (...) On les a tués, car on dit que ce sont des animaux sataniques, qui attirent le Diable.
L'exilé est obsédé par la séparation géographique, l'éloignement dans l'espace. C'est pourtant le temps qui fonde l'essentiel de sa solitude ; et il accuse les kilomètres alors que ce sont les jours qui le tuent. J'aurais pu supporter d'être à des milliards de bornes du visage parental si j'avais eu la certitude que le temps glisserait sur lui sans lui nuire. Mais c'est impossible ; il faut que les rides se creusent, que la vue baisse, que la mémoire flanche, que des maladies menacent.
J'entends quelquefois dire qu'il faut rester fidèle à l'enfant qu'on a été. C'est la plus vaine ou funeste ambition qu'on puisse avoir au monde. Voilà un conseil que je ne donnerai jamais. L'enfant qu'on a été jettera toujours un regard déçu ou cruel sur ce qu'il est devenu adulte, même si cet adulte a réalisé son rêve. Cela ne signifie pas que l'âge adulte soit par nature damné ou truqué. Simplement, rien ne correspond jamais à un idéal ou un rêve d'enfance vécu dans sa candide intensité. Devenir adulte est toujours une infidélité qu'on fait à nos tendres années. Mais là réside toute la beauté de l'enfance : elle existe pour être trahie, et cette trahison est la naissance de la nostalgie, le seul sentiment qui permette, un jour peut-être, à l'extrémité de la vie, de retrouver la pureté de jeunesse.
Au dessert, l’ambiance se détendit et Béatrice mit de la musique. Ritualités, spiritualités : on s’offrit d’abord aux secousses galvaniques de la nuit à peine nubile, verte comme une jeune mangue. Puis tout s’adoucit : la lune mûrit, prête à tomber du ciel.
Croiser un silencieux, un vrai silencieux, interroge toujours le sens - la nécessité- de sa propre parole, dont on se demande soudain si elle n'est pas un emmerdant babil, de la boue de langage.
On ne devrait jamais approcher de trop prêt les artistes qu’on aime. Admirer de loin, en silence : c’est l’élégance qu’il faudrait avoir.
Pourquoi risquer de perdre ma vie contre une organisation qui m'assure la paix tant que je ne lui désobéis pas? Obéir est facile pour un homme qui n'a aucun souci personnel. Le faire désobéir seulement parce que la situation générale de tous les hommes est indigne, c'est impossible. Les hommes sont éternellement égoïstes, ils ne se préoccupent pas de la situation générale ; ils ne se soucient pas du sort des autres et ne pensent qu'à leur confort même si ce confort est empoisonné.
p 184
Je dis : Les anars vont enfin prendre le pouvoir ? Il dit : Non, le renverser. Je dis : Et après ? Il répondit : Le rendre. Je répliquai : À qui ? Il affirma : Au peuple. Je demandai : Qui est le peuple ?
Il n'avait peut-être qu'une seule oeuvre en lui; une seule grande oeuvre. Il se peut qu'au fond chaque écrivain ne porte qu'un seul livre essentiel, une oeuvre fondamentale à écrire, entre deux vides.
Nous ne pensions pas du tout que la littérature sauverait le monde ; nous pensions en revanche qu'elle était le seul moyen de ne pas s'en sauver.