Citations de Nadejda Mandelstam (73)
En poésie, on pourrait dire qu'il y a deux types de vers : ceux que l'on entend, et ceux que l'on écrit.
C'est une victime sacrifiée à l'idée qu'il faut refaire le monde afin de rendre tous les hommes heureux, or une tâche aussi immense n'est à la portée que d'un surhomme entouré de gens forts - une variante du surhomme, mais de seconde catégorie, à qui tout est permis. Que ne fait-on pas par amour des hommes.
A nos yeux, celui qui ne connaissait pas la peur était pire qu'un provocateur. Avec un provocateur, on peut ruser, il comprend de quoi il retourne, tandis que celui-là vous regarde de ses yeux candides, et il est impossible de le faire taire.
De nos jours, seule la peur faisait de nous des êtres humaines, mais uniquement à condition qu'elle n'entraîne pas une vile lâcheté. La peur était un principe organisateur, et la lâcheté un pitoyable abandon de ses positions. Cela, nous ne pouvions pas nous le permettre et à vrai dire, nous n'avons pas connu une telle tentation.
De tout ce que nous avons connu, le plus fondamental et le plus fort, c'est la peur et son dérivé - un abject sentiment de honte et de totale impuissance.
Ce lecteur n'a même pas remarqué qu'A.A. est le poète non de l'amour, mais du renoncement à l'amour au nom d'une humanité supérieure.
Car ces déformations, ces altérations individuelles mais propres à l'esprit humain se répandaient dans la société et constituaient ce qu'on appelle l'opinion publique. Sous leur forme extrême, ces altérations produisaient des légendes pleines de sensibleries et d'ignobles calomnies qui restaient souvent attachées à une personne même après sa mort, entrant ainsi dans l'histoire.
Elle a rédigé Mon Livre, ou l'étude des particularités de la pensée humaine, individuelle et collective, pendant plusieurs années, mais c'était une rédaction orale, et il n'a pas été couché sur papier.
Il me semble qu'il n'y a pas le lien aussi direct entre l'art et le sexe chez les peintres et chez les musiciens. La tension particulière de la poésie, sa nature sensible et prophétique transforment un homme beaucoup plus que les autres arts et que la science.
La simplicité, ce n'est pas un concept, et au fond, cela ne correspond à rien qui soit doté du signe "plus". Cela n'entraîne que des éléments de nature négative : un appauvrissement de la structure tant intérieure qu'extérieure, le rejet de la multiplicité des strates et des propriétés fondamentales de la langue et de la pensée - ce qu'elles ont de métaphorique et de symbolique. "La simplicité", c'est le souci du consommateur, autrement dit du lecteur, (...), et surtout des autorités qui ont tellement horreur de se compliquer la vie avec d'inutiles profondeurs si celles-ci ne sont pas directement liées à leurs fonctions dirigeantes.
"Écrivez avec simplicité, comme Pouchkine!" est une invention stupide de paresseux qui ne comprennent pas Pouchkine lui-même, et qui pousseraient des hurlements si un nouveau Pouchkine se présentait.
A.A. s'étonnait toujours du manque de rigueur des gens, de la façon dont ils déforment les faits dans leurs récits, des altérations qu'ils font subir aux événements qu'ils relatent. Elle exerçait son intelligence en essayant de découvrir les lois générales qui régissent ces déformations et ces altérations. Elle décortiquait chaque récit et chaque commérage, elle en isolait les ingrédients et mettait en évidence les éléments sur lesquels se construisent toutes sortes de dérives par rapport à la vérité.
Toutes les variétés d'assassins, de provocateurs, de mouchards, avaient un trait en commun: ils ne s'imaginaient pas que leurs victimes puissent ressusciter un jour et retrouver la parole.
La peur, c’est une lueur d’espoir, c’est la volonté de vivre, c’est l’affirmation de soi.
"A présent, tout est clair,disait encore Anna Andréievna: on vous met sur la tête un bonnet de fourrure et on vous expédie illico presto dans la taïga." De là sont nés les vers:
Là-bas, derrière les barbelés,
Au cœur de la taïga profonde,
On mène mon ombre à l'interrogatoire.
Mandelstam réunit un certain nombre de documents et alla les porter à Baltrusaïtis, puis il changea d'avis: de toute façon, on ne peut pas échapper à son destin, et il est même vain de le tenter...
J'adore la civilisation et l'eau courante, mais je m'en suis passée toute ma vie durant.
Un poème n'est ni un récit ni un compte rendu. Le lecteur y atteint la profondeur dont il est capable.
L'inertie du mal est trop puissante et les forces du bien sont faibles et passives.
J'ai été tel un fleuve,
Détournée de mon cours par un temps sans pitié.
J'ai été frappée par l'intonation déchirante de cette petite poétesse[sylvia plath] qui s'est suicidée quelque part en Angleterre: elle avait compris qu'il faut payer de sa peau chaque miette de joie.
En m'enlevant les mers , et l'envol et l'élan ,
Pour mettre sous mes pieds le sol et la contrainte ,
Qu'avez vous obtenu ? Un résultat brillant :
Ces lèvres qui remuent , sont hors de votre atteinte .