Wladyslaw Sklodowski s'adressant à ses quatre enfants de quatorze, treize, douze et onze :
"-Ce que vous avez dans la tête, martelait-il, c'est une richesse que jamais personne ne pourra vous enlever, pas même les Russes. On peut vous voler beaucoup de choses : votre porte-monnaie, votre manteau et même votre maison. Mais ce que vous savez, ce que vous avez appris, c'est à vous pour toujours."
page 23 - Varsovie 1878 - 1882 - littérature jeunesse
Marie 18 ans - Gouvernante des deux filles de Monsieur Zorawski, dans la bibliothèque de ce dernier au sein de la campagne polonaise
- Me permettriez-vous d'emprunter un livre ? demanda Marie, fébrile. Vraiment ?
- Je vous en prie !
L'ouvrage que Marie avait choisi portait un titre prometteur : Traité de chimie. Elle dévora jusque tard dans la nuit, puis tous les autres livres de la bibliothèque, les uns après les autres. Après quoi, elle les relut intégralement en prenant des notes. Elle recopiait des formules, dessinait des atomes, repérait les noms des métaux, des gaz, des minerais. Quelle frustration de ne pouvoir reproduire les expériences évoquées en ces pages! Son imaginaire était son seul laboratoire. Ainsi Marie se forma-t-elle à la chimie moderne : seule, armée d'une plume et d'un simple cahier.
C'est ainsi qu'en grandissant avec un père favorable à l'égalité des sexes, à l'éducation de tous les enfants et à la culture générale, les enfants de Wladyslaw acquirent un trésor; la confiance en soi. Le plus beau cadeau que l'on puisse espérer.
Partager, cela est essentiel. Plus les enfants seront nombreux à recevoir un bon enseignement, mieux cela sera. Ce n'est qu'ainsi que l'on fera avancer la société.
[...]
L'éducation, insista Marie, c'est le progrès. Elle te permet de te forger tes propres idées, d'apprendre à réfléchir par toi-même. Tu peux t'ouvrir sur le monde, comprendre ton époque, t'enrichir.
Elle ressemblait à un croisement entre un hérisson et un épouvantail.
Peintre animalière ? Pas question ! Qui achèterait le portrait d’une vache ou d’un cochon ? Non, non, tu ferais mieux de t’atteler à la peinture d’histoire. Des rois et des reines, des saintes et des saints, des dieux romains et des déesses grecques.
- Que dois-je faire ? demanda Pierre.
- Tout dépend de ce que tu veux, analysa son frère.
- Marie est la meilleure chimiste que je connaisse.
- C'est tout ? Ne me dis pas qu'il n'y a rien d'autre entre vous. Tu ne serais pas dans un tel état.
- C'est vrai.
- Tu dois la convaincre de rester en France à tout prix, Pierre. Évidemment, ce serait plus simple si elle était française. Elle pourrait enseigner dans un lycée ou une école supérieure de jeunes filles.
- Tu as raison.
- Mais elle pourrait le devenir, ajouta Jacques, un sourire dans la voix.
- Quoi ?
- Française.
- Comment ?
- Épouse-la !
Raimond Bonheur leur enseigna aussi que les couleurs transparentes, associées à de l’huile grasse, formaient un glacis. Qu’il fallait toujours placer les tons sombres, les ombres, avant les teintes claires. Que la patience était mère de sûreté aussi, que respecter le temps de s’échange était absolument primordial. Et ce temps, justement, dépendait des couleurs. Certaines séchaient en deux jours ; à d’autres, comme la laque de garance, il fallait près d’une semaine. Ensuite seulement, viendrait la couche de vernis.
Rêveuse, Rosa guignait les flacons de pigments en poudre. Leurs étiquettes étaient si prometteuses ! Bleu de cobalt, rouge d’Inde, terre de Sienne, vermillon de Chine, jaune de cadmium, noir d’ivoire…
- Ne rougissez pas. Soyez fière, au contraire. Si vous saviez comme nous avons lutté pour que les femmes aient le droit d'aller à la Sorbonne ! Ça n'a pas été facile. Les députés, les sénateurs, les conservateurs de l'université, les journalistes... Ils étaient tous contre. L'égalité, je ne sais pas pourquoi, ça les énerve. Ils ne veulent même pas nous accorder le droit de vote.
Tant que les femmes ne pourront pas se promener ou travailler en étant traitées avec respect, sans penser sans cesse à défendre, même en secret, leur espace intime, mental ou physique, il faudra condamner ces pratiques, ces sifflements, ces remarques inappropriées.