Citations de Nicolas Cavaillès (17)
… Ivresse, libération, secousse non moins absurdes, en dernier lieu, futiles, qui n’apaisent qu’un moment, qu’il faut toujours recommencer, et dont la baleine doit savoir dans son for intérieur, dans ce magma d’instincts, de mémoire et d’analyse, la grande vanité. Mais un monde qui n’est que poussière d’étoile remuée dans un trou noir, la créature, même bardée de ses instincts, gènes et neurones, même flattée par l’héritage multi-millénaire de la sélection naturelle, peut goûter un acte aussi gratuit que la totalité dans laquelle elle baigne. Ainsi la baleine sauterait-elle quia absurdum, parce que c’est absurde ?
Il était donc un fois un jeune homme d'à peine vingt ans, mais déjà versé dans la science des vices et des élégances, un solitaire, un paresseux amer et jouisseur, qui aux écoles et aux études préférait la nuit, les bistrots et la compagnie d'une prostituée sortie par ses soins du bordel. Il s'enivrait comme un vieux poète et dissipait son argent. Orphelin de son père, fils aimant et malin de sa mère, il était en outre affligé d'un beau-père, général de son état, qui un jour crut bon, pour extirper le garnement de ses périlleux égouts avant qu'il ne s'y ensevelît, de l'envoyer faire un long voyage spartiate en bateau, jusqu'aux Indes. Le jeune homme n'eut pas le choix, il dut partir. Lui à qui il était déjà arrivé de formuler le vœu intime de tout quitter, il se vit ainsi privé de l'échappatoire du reste du monde et des voyages, désormais souillés, accaparés par l'intention paternaliste du beau-père. Un voyage utile, formateur l'ignoble perversion ! De cette aventure imposée, disons-le d'emblée, il rapporterait une cravate comme nul n'en portait dans sa ville, en tissu de madras. (pp.86/87)
Un mélange de malédiction crue et de possibilités infinies tisse l’atmosphère du port d’Amsterdam. Errer là, hors du temps, malchanceux mais prêt à tout, malheureux mais rêveur, c’est flatter l’amertume sans bannir l’utopie.
La solitude et la mort cognent moins fort que cette sombre inutilité, cette oisiveté morbide.
L’engagement, la volubilité candide et la richesse documentaire des deux livres d’Eugénie leur valurent beaucoup de succès et d’attention, si bien qu’elle continua jusque dans sa profonde vieillesse à se tenir en dernier rempart de la famille dont elle était devenue, elle qui avait pris la plume, la représentante.
Tel Orphée se retournant vers Eurydice, l'humain perd ce dont il s'enquiert, il dénature ce qu'il veut connaître. Heureux celui qui contemple un ciel étoilé sans y distinguer des constellations prédéfinies, heureux celui qui traverse un paysage que ne défraîchissent aucune abstraction linguistique ni culturelle, aucun nom ni aucune anecdote historique, heureux et sage celui qui vogue sur une mer anonyme.
Au mois de janvier qui suivit, Robert travaillait à des "légendes" et à des "chants de l'aube". Au piano qui sonnait entre les parois de son crâne se mêlèrent alors des cris d'humanoïdes rougeoyanst et des chants d'anges invisibles. Il sentit la folie le gagner, le conquérir tout entier, et demanda à être interné chez les aliénés; on lui refusa ce refuge, le renvoyant ainsi à ses effroyables journées et à ses nuits infernales: maux de tête, hallucinations sonores, coups de tonnerre et mélodies célestes, ou démoniaques, toute une musique inlassable dont il ne parvenait pas à se libérer. Il ne travailla plus, ne dormit plus, attendit seulement que ces diables le laissassent en paix-ce qui n'arriva pas.
Océans de lassitude, toujours les mêmes vagues, les accalmies, les scélérates, les lames de fond, les abysses, flots de bleu et de noir sans fin, où il ne se passe, dans le fond, rien.
Nous ignorons pourquoi les baleines et autres cétacés effectuent parfois ces sauts stupéfiants au-dessus des mers et des océans, mais les hypothèses ne manquent pas, elles se renforcent même du seul fait que la question n'a pas été tranchée.
Si maintenant vous me demandez d'où vient cette brèche, je vous répondrai que c'est l'humain, jeté ici-bas comme un touriste sans guide, qui se l'est percée tout seul face à l'immense mutisme de son univers: élan mystique ou rigueur administrative, accès poétique ou besoin de se rassurer, il a voulu combler le silence, il a donné aux lieux des noms - et les lieux ont crevé comme de vieux pneus. Tout ce qui s'en est suivi, tautologies et malentendus, fantasmes et déceptions, délires et hurlements, tout procède d'un vide initial qui est l'absence de l'humain dans la démiurgie de la Terre qu'il veut et croit posséder.
Nul ne vit plusieurs vies; si l'on croit en commencer une seconde, c'est que l'on a pas vraiment vécu la première, qu'on l'a traversée sans y croire - ni à la mort, prématurée, distendue, qu'elle aura trahie. Et pourtant, sur le port, malgré les rires des mouettes et les grimaces des immigrés, on imagine une autre vie possible.
Le but ultime en cette vie, le seul, est de faciliter le départ. Soit que l'on se dise avoir bien ou assez vécu, soit que l'on soit certain de ne plus avoir rien à attendre ni à accomplir ici-bas, l'essentiel en ce monde se réduit à lever le plus d'obstacles possible pour en sortir.
Elles chantent moins qu'elles ne se lamentent, et dans leurs sauts aériens, se tordent comme des endeuillées théâtrales, comme des pleureuses.
Le bond : instant d'évasion, faux-fuyant, dérobade face au dégoût, aux flots glacés et aux sociétés de toutes les espèces - dans quoi l'on retombe hélas déjà, avec fracas, écume et amertume.
Sans Golo, Gogo coule sous les flots quand un cachalot le prend sur son dos et par un grand saut le porte hors de l'eau.
Ni la patience du gentihomme ni le silence du saint n'entrent dans la logique du loup de mer.
Au moindre accident, la gaieté la plus vive s'attriste et la tristesse la plus sombre s'égaye .
Notre monde n'est pas pour toujours...
Nos volontés et nos destinées se contrarient tellement dans leur course, que nos plans se renversent sans cesse.
Nôtre sont nos pensées, mais point leur issue...
Laissez-moi seul ici pour un moment. Mes esprits s'engourdissent, je voudrais tromper dans le sommeil la pesanteur du jour...