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Citations de Norbert Gstrein (31)


Il semblerait que le spectre humain soit moins large qu’on ne le pense, et quoique nous tirions tous la plus grande vanité de nos particularités, quelques traits suffisent pour dresser une caricature.
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Mon frère….insista pour me faire à manger, en mettant les petits plats dans les grands. Il me fallut prendre place à la table de la cuisine, et je n’eus pas à lever le petit doigt, cependant qu’il se tenait à ses fourneaux, vêtu d’un tablier, et préparait pour moi tous ces mets que jamais, pour un empire, je n’aurais consenti à goûter dans mon enfance, œufs brouillés à la cervelle, rognons de veau ou foie de veau grillé, et qu’à présent je mangeais de bon cœur, en éprouvant même une certaine délectation, tant la joie qu’éprouvait mon frère à me voir manger paraissait vive. Il alla jusqu’à me servir un jour des testicules de taureau, qu’il qualifia d’animelles, et que je connaissais pour ma part, depuis les années passées à Jackson, sous le nom de Rocky Mountain Oysters, et seule la hure de porc, dont il ne cessait de me vanter les mérites, m’avait été pour l’instant épargnée, mais il me suffisait de voir l’acharnement qu’il mettait à en parler pour comprendre que les attentions qu’il me prodiguait étaient tout ensemble l’expression de sa sollicitude, de sa supériorité, peut-être même d’une manière de violence qu’il exerçait contre moi, comme s’il s’efforçait chaque fois de me terrasser, et de m’étouffer dans l’étau d’une gentillesse dont je n’étais pas digne.
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Agir de façon répugnante était une des tares de son métier*, et si je me retins de le planter là, ce n’était que parce que je ne voulais pas m’en faire tout à fait un ennemi. Il disait « le Turc » comme d’autres disent « les nègres » ou « les pédés », sur un ton qui vous laissait entendre qu’ils avaient parfaitement saisi que c’était inconvenant, mais que, se situant sur un plan supposément ironique, ils s’octroyaient malgré tout cette liberté, pour se prouver à eux-mêmes qu’ils n’avaient pas rompu tout contact avec un monde sauvage et sans loi dont ils rêvaient, et pour lequel ils nourrissaient une nostalgie secrète.

*commissaire de police autrichien.
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Il etait neuf heures trente du matin, et la journée n’avait pas encore pleinement commencé, du moins aussi longtemps que l’un d’eux, s’avançant vers l’éphéméride qui trônait derrière le comptoir, n’en avait pas arraché la feuille portant la date de la veille, sacrifiant à une petite cérémonie qui était un reliquat du passé, comme s’il était toujours aussi simple de s’orienter dans l’espace et dans le temps.
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Je possédais une photo d’eux les représentant en mariés, terriblement jeunes, terriblement beaux, un portrait qui, plus que toute autre photographie de mariage, et je parlais en connaissance de cause, illustrait le peu de vérité et les abîmes de fausseté que recèlent ces instants, censément les plus beaux d’une vie.
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J’étais arrivé à la hauteur du terrain de football,....C’était un des chemins que j’avais coutume d’emprunter lors de mes promenades nocturnes, et, quand j’approchais du terrain, j’avais toujours l’impression qu’il suffirait d’un rien pour que les projecteurs s’allument brusquement, et soustraient à l’obscurité deux équipes qui, dans le rond central, prêtes à donner le coup d’envoi, attendaient seulement que le sifflet retentisse. Et les tribunes pleines expliqueraient que la ville, à cette heure, fût si morte......Derrière les buts, dans le clair de lune, le vent semblait faire vibrer le grillage, un léger sifflement dont je ne savais pas si je l’entendais ou me l’imaginais simplement, et qui m’évoquait des chauves-souris. Un mouvement ondulatoire animait tout entier le treillis métallique aux mailles serrées, c’était comme si l’on voyait le monde depuis les profondeurs marines, ou dans la chaleur vibrante d’un jour d’été, même si ce spectacle me faisait plutôt frissonner.
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« Dans la piaule d’à côté, ils se sont envoyés en l’air à en faire tomber les murs, dit-il. Je te jure que ça faisait un de ces raffuts ! »
Là-dessus, il se retourna vers le pick-up et, glissant la main sous le monticule de ferraille, se mit à tapoter la boîte renfermant la dépouille du professeur avec un geste qui avait quelque chose d’apaisant et de délicat.
« On n’imagine pas à quel point la gamme des plaintes et des soupirs peut être large. »
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Qu'y pouvait-on, si la vérité revêtait bien trop souvent l'aspect d'une mauvaise histoire, sinon d'une plate accumulation de clichés ? Aussi longtemps que les phrases restaient juxtaposées, sans que rien les unit, on devait se garder d'établir des liens, on devrait conserver à l'esprit que "parce que" était une locution dangereuse, peut-être la plus dangereuse de toutes, car elle laissait entendre qu'on avait compris de quoi il retournait, alors qu'il n'en était peut-être rien du tout, et que, après un bref et aveuglant éclair de lucidité, on avançait en réalité à tâtons dans l'obscurité.
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Si je me vois conduit à exposer ici le rapport existant entre les fait et la fiction dans le mon roman Le métier de tuer, c'est à cause des tentatives faites à force de révélations parfois hasardeuses des "clés" de ses personnages, pour transformer cet ouvrage en un objet de scandale.
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Ce n'était pas la première fois que nous sortions ensemble, même si les occasions s'espaçaient de plus en plus ; cela tenait à moi, ou à elle, à chaque fois, l'un de nous semblait reculer, et les mois passant, il en était résulté une facture en attente de règlement plutôt qu'une sorte de promesse non tenue. Comme si j'avais une obligation, comme si je devais lui faire la cour et m'exposer nécessairement à des blessures, les choses n'étant pas envisageables autrement, je m'était mis à l'éviter, mais dans cette tactique de l'évitement, elle n'était pas en reste, cela faisait des semaines que je ne l'avais plus vue, et je fus surpris qu'elle ne cherche pas d'excuse et se réjouisse même de me voir.
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Je me souviens tout particulièrement de certains jours de fin d'année, quand la nuit tombait tôt, que la ville se nimbait d'une brume jaunâtre, que je regardais les lumières s'allumer une à une sur les rives, sur les bateaux dispersés à la surface de l'eau, et que j'avais la sensation, après avoir lu des heures durant, que la réalité allait se dissoudre sous mes yeux et que je pénétrais dans un monde intermédiaire, désamarré, ni dans l'histoire que j'étais en train de lire, ni dans le monde des passants qui, entre Beyoglu et Sultanehmet, déambulaient, et ne pouvaient voir ce que je voyais.
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"On dit toujours que le pire, c'est le silence avant ou après une attaque, mais en réalité, c'est beaucoup trop poétique, dit-il. Seuls ceux qui n'ont encore jamais eu dans les oreilles le vrai bruit du combat peuvent avoir une idée pareille."
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Il y avait quelque chose d'un profond chagrin en elle, une bouche déçue, péniblement arrangée par le maquillage comme si cette bouche pouvait, sans ce maquillage, fondre à tout moment, des yeux pleins d'une nostalgie désespérée, comme brûlés de l'intérieur, et quand en riant elle cacha son visage derrière un rideau de cheveux comme une fillette, je me demandais si l'on pouvait vivre ainsi sa vie, s'humilier comme elle parce que sa propre chair devenait un obstacle, pensais-je, parce qu'elle voyait les années fuir, parce qu'on lui avait dit si souvent qu'elle était belle et que pourtant cela ne la préservait de rien.
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Je me demande si c'est par hasard qu'il était tombé sur moi ; s'il ne m'avait rencontré moi, peut-être eût-il choisi quelqu'un d'autre qui se serait encore moins défendu contre lui, peut-être cette rencontre était-elle due à mon origine qui, à ses yeux, nous rapprochait l'un de l'autre, peut-être avait-il pris confiance, pressentant que j'étais saisi du même mal que lui, du rêve d'écrire un jour un roman qui nous rendrait la vie supportable et nous dédommagerait, sans que je puisse dire de quoi.
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Je les avais tous lus ou relus à Istanbul, ces dizaines et dizaines de romans que je lui avais conseillé au fil des ans, le lui offrant d'abord, avant qu'il pût se les acheter lui-même. Ils étaient à mes yeux la chose la plus intime qui subsistât de lui, la plus personnelle, celle à quoi je croyais pouvoir me raccrocher, sans naturellement y parvenir jamais.
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Le spectacle de la grand-rue plongée dans la nuit me donnait toujours le frisson. De nombreux magasins ont fermé ces dernières années, aussi y avait-il toujours quelque chose d'un peu angoissant à passer devant ces locaux vides où, parfois, à l'étage, une lumière inattendue perçait l'obscurité, renforçant encore cette impression. Les vitrines des autres boutiques semblaient n'avoir pas changé depuis des années, ici une enseigne au néon vacillante, là une lumière clignotante, et, comme surgie de très loin, une voiture solitaire contournait les bacs à fleurs paradoxalement disposés là pour ralentir le trafic. C'était comme si j'étais le seul homme en chemin dans la rue, pas seulement ce soir-là, et pas seulement à cause de la pluie, mais parce qu'il en était ainsi tous les jours, sauf peut-être le samedi, et il y a deux, trois ans encore, ç'aurait été suffisant pour que je me demande s'il ne valait pas mieux partir, à Vienne ou quelque part à l'étranger ; mais deux, trois ans, c'était déjà un bout de temps.
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J’évitai son regard. Tout, plutôt que de sentir sur moi ses yeux qui me dévisageaient. Je lui fis observer que cela n’aurait contribué qu’à rendre la situation encore plus complexe qu’elle n’était.
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Depuis, j'ai porté si souvent ces deux complets qu'ils pochent aux coudes et aux genoux, qu'ils sont lustrés à maints endroits, mais ils me font encore de l'usage, et il me semble que, d'être si vieux, si élimés, ils n'en remplissent que mieux leur fonction. Car ils me transportent aussitôt dans un monde parallèle et me rendent visible d'une façon qui évoque parfois cette invisibilité à laquelle croient les enfants, quand ils se cachent le visage dans les mains.
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"C'est l'absurdité que je ne comprends pas, continua-t-il. Parfois, j'ai l'impression qu'une vie ne se distingue d'une autre que par sa mort."
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Ce n’était pas du mépris, pas davantage du dégoût, peut-être une sorte de dédain dicté par l’instinct.
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