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Citations de Oliver Rohe (14)


La perte de plusieurs milliers de ces soldats russes tombés dans les opérations de harcèlement constant et les innombrables traquenards mitonnés pour eux par des moudjahidin pareillement pourvus de fusils d’assaut AK-47 avait constitué une étape décisive, sans doute même la première, dans le processus de démantèlement de l’empire communiste ; ces pertes accumulées dans les rangs de l’Armée rouge étaient le signe manifeste d’un soulèvement de l’organisme soviétique contre lui-même, comme si la simple présence de ces armes parmi les ennemis intérieurs afghans contenait déjà la promesse biologique d’un cancer à venir.
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J’ai conscience de revivre la même journée depuis des mois. J’arrive à l’aube sur mon ancien lieu de travail en ruine et n’en repars que très tard dans la nuit. Cette régularité je le sais morne et inutile est un des rares liens que je maintiens avec ma vie d’avant. Je ne vois pas pourquoi ni comment je pourrais m’en défaire. Il n’y a presque plus que ce trajet et je ne suis plus très ambitieux. Jusqu’à quand tiendrai-je le coup – et que me voulait cette affreuse femme en noir ? Le martèlement. Le soleil. À présent la pièce est partiellement quadrillée de rayons de soleil et à quelques encablures de l’immeuble, derrière une station essence laissée à l’abandon depuis des années, des marteaux piqueurs – combien sont-ils ? trois ? quatre ? combien ? – dépècent bruyamment le bitume. La rumeur d’en bas commence de grimper jusqu’à ma fenêtre. Un lierre hostile. Sans doute estiment-ils qu’il est temps que je m’en aille. Que je vide les lieux et que je m’enterre quelque part. Qui était ce jeune homme dont elle tenait la photographie ? Pourquoi me la tend-elle tous les matins ?
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Il écrivait à nouveau des poèmes.
Sur le caoutchouc, la fonderie, les soudures.
Sur les femmes
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Tout l’attirail de la guerre, les tables, les chaises, les postes de radio et de télévision, les médocs, les bouteilles d’alcool pur, la diarrhée, les hurlements, les jeux de cartes, les conversations légères, tout le folklore est là, pareil à ma station balnéaire et à toutes les stations balnéaires de la côte, pareil à des endroits de la côte où il n’y a pas de stations balnéaires, où les stations balnéaires sont encore à l’état sauvage.
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Je ne peux pas continuer à vivre parmi ces murs jaunes mes souvenirs agonisants. Seul dans un bastion assiégé au milieu du boucan. Je ne tiendrai pas longtemps. Ils finiront bien par le raser mon immeuble encombrant. C’est dans leur plan. Je ne suis pas dupe. Il est même prévu que sur les cendres de mon refuge ils construisent une Place des Martyrs. Une place bien propre pour qu’on n’en parle plus. Pour que le souvenir des gens de mon espèce marginale soit définitivement balayé.
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Je ne rends visite à personne. Je ne supporterais pas de les voir tous si amoindris et méconnaissables. On les traite aux électrochocs et on les gave de médicaments. De temps en temps, dans une sorte d’élan de sympathie inexplicable, quand il fait beau, on leur tend des crayons de couleur et des feuilles blanches pour qu’ils y consignent leurs angoisses. Au terme de l’exercice ils finissent toujours par manger leurs fournitures. Tous mes amis internés ont définitivement perdu la tête et sont retournés en enfance. Une enfance abrutie et sans avenir. Ils ne sortiront jamais de là où ils sont c’est acquis. Que viendraient-ils faire dehors ? Constater que leur monde a disparu et que leurs vies ne se réduisent, comme la mienne, qu’à un fatras de souvenirs insaisissables ?
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Il était maintenant assis sur une couverture pliée et dans la paume de ses mains ouvertes et fébriles, délicatement recueilli comme une corneille blessée : un pistolet automatique qu’il avait déterré de sa cachette par accident, quelques minutes plus tôt, en heurtant une latte irrégulière du plancher. Il touchait là pour la première fois de sa vie à une arme à feu et ça avait été comme un jeune chien découvrant son aboiement. Stupéfait par l’étrangeté de cette soudaine profération, mais pressentant qu’à travers elle il coïncidait avec sa nature, rejoignait sa destination.
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Elle était au courant et elle m'a tout bonnement intimé l'ordre, car à cet âge-là on ne peut pas distinguer un ordre d'un conseil, de mentir effrontément en remplissant ces fiches de renseignements. Dis-leur qu'il est homme d'affaires international mondialement introduit me conseillait ma mère, dis-leur qu'il s'absente souvent pour affaires mondiales, dis-leur aussi que ce sont ces affaires internationalement répandues qui le poussent à voyager très souvent et que les affaires mondiales et internationales passent avant tout, voilà ce qu'elle m'enseignait ma mère. Ne leur dis surtout pas ce qu'il fait en vérité, ce qu'il fait est ici jugé honteux comme tu l'apprendras plus tard, d'ailleurs laisse-moi te dire mon fils que ce qu'il fait il ne le fait qu'en parfait dilettante, voilà ce qu'elle jugeait bon de rajouter. Il faut que tu apprennes à garder un secret me répétait toujours ma mère, ce qui se passe à la maison n'a tout de même pas besoin d'être divulgué à tous, le plus important dans la vie d'une famille bien soudée est de savoir garder un secret car un secret bien gardé est la garantie d'une famille bien soudée. Ce qu'il fait ou ne fait pas doit donc rester un secret connu de nous uniquement, les autres n'ont pas besoin de la savoir, voilà comment ma mère me préparait à l'épreuve des fiches de renseignements.
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Un territoire à occuper, à surveiller et à défendre, c'est à dire un débouché potentiel pour les fusils d'assaut AK-47.
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Je suis dans ma pièce dans ma petite pénombre et ne peux que regretter toutes ces années où nous étions rois. Nous étions quelques-uns à survivre – à nous épanouir même – dans un monde malade. Nous partions dès la tombée de la nuit pour des rondes qui souvent ne s’achevaient qu’aux aurores parmi les ruines et sous des averses ininterrompues, embarquant dans nos voitures déglinguées des passants choisis au hasard. À l’époque j’avais dix-neuf vingt ans j’avais une vie. Des visages défilaient devant mes yeux s’offraient à mes mains. Des postures et des expressions exceptionnelles. En écoutant Mahler de surcroît. Qu’est devenu le souvenir autrefois si précis autrefois si prégnant de ces visages ? Nous roulions à vive allure et dans le dédale d’une ville sans lumières, en rond en rond pour vite nous étourdir, nous et nos passagers désignés au hasard. Nos nuits de travail ne prenaient fin qu’au petit matin et nous longions ensuite paisiblement le littoral avant de céder au sommeil. Personne ne parlait tout le monde ou presque jouissait du silence.
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Souvent il m’arrive de venir dans cette pièce et de regarder la mer. Depuis ce fauteuil et en louvoyant entre les immeubles autour je n’ai pas grand-peine à la voir : cette vue est à peu près tout ce qui me reste. En passant mes journées dans cette pièce et en regardant bêtement la mer à travers la fenêtre j’ai la certitude d’avoir existé. Ici je me dis que j’ai peut-être eu un passé une histoire une vie et c’est déjà beaucoup. Pendant que cette ville en dessous change radicalement de visage et que rien ne semble ralentir sa refonte complète je pense détenir ici, parmi ces murs toujours inchangés et immobiles, comme insensibles à l’écoulement stupide et aveugle du temps, la preuve irréfutable de mon passage. Voilà pourquoi je monte aussi souvent que possible m’asseoir sur ce fauteuil et pense à ces années-là et me dis que tant que ces murs résisteront le temps n’aura absolument aucune espèce d’importance. Quoique.
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Le ramassage passe par la vieille route côtière de Jounieh dont la beauté coupe le souffle à l’endroit où elle surplombe les bateaux de plaisance et les navires phalangistes mouillant ensemble dans le port. Les jours de grand vent, quand le vent est plein d’origines, le conducteur roule exprès au ralenti pour me laisser regarder les mâts pris de démence se cogner les uns contre les autres quand les vedettes bougent à peine. Au sortir du paysage portuaire, dès qu’elles sentent le trajet approcher de sa fin, les deux gamines blondes s’enferment à l’arrière dans la langue maternelle. Je les sème toujours sans un mot à l’accueil du Bloc A. L’allemand est une langue qui n’arrive pas à fonctionner en dehors du football.
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Le grondement arrive dans le bungalow.
Le sol tremble et me contamine.
Un grondement chronique, profond, à peine amorti par la distance qui nous sépare de l’autoroute.
C’est la douleur ancestrale du goudron écrasé par les chars.
Les deux se réveillent dans un même halètement barbare. Leurs jambes nues se détachent à cause des vibrations dans le sol. Elles se lèvent et s’habillent sans méthode, à toute vitesse, quand les chars sont lents et réfléchis.
À travers la baie vitrée l’herbe bouge, les palmiers bougent, les végétaux sont contaminés.
La douleur poursuit son essor dans le goudron, les chars sont suivis de dizaines d’autres chars, c’est un cortège de chenilles invincibles, une procession de tanks qui s’étire sous la grisaille, qui retentit jusque dans les piscines vides.
J’échange un regard complice avec la salle de bains.
La ville arrive au rythme lent d’un jour de combats, elle vient racheter les structures vaines et les équipements de crachat.
C’est notre première sortie commune.
Nous courons tous les trois dans les couloirs du Bloc A. Joseph est dans un uniforme kaki qui exagère la quantité de ses cuisses dans des proportions phénoménales. Il se tient les bras croisés devant l’ascenseur. La croix biseautée autour de son cou repose sur un bûcher de poils noirs.
Il assure à la poignée d’inconnus sur le point de dégringoler au parking que la station balnéaire ne craint rien, que les combats auront lieu à distance, autour de casernes en ville et en montagne, que les rafales entendues dans les parages c’est la joie de nos tankistes allant régler son compte à H.K.,
Elie Hobeika,
félon des phalangistes,
Judas de la cause chrétienne.
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J’arrive à la station balnéaire.
C’est l’automne.
Le vent arrive de la mer.
Personne dans les allées.
Les piscines sont vides.
Les terrains crevés d’herbes folles.
Les blocs de bungalow sur le chemin sont vacants, désertés du spectre de leurs anciens occupants, revenus dans leur béton d’origine.
Les structures de loisirs sont vaines.
La station balnéaire est plus morte à l’automne que Beyrouth Ouest un jour de combats.

Je ne sors pas du réduit. Il sent la corruption marine et l’insecticide. Rien ne bouge à travers la baie vitrée. Rien que des lambeaux de nuages blancs et des feuilles de palmiers. Je ne veux pas aller dehors. Je ne veux pas consentir à la station balnéaire plus morte à l’automne que Beyrouth Ouest un dimanche de combats.
Je m’enlise dans la chauffeuse tandis que ma mère et ma sœur ne cessent de bouger.
Ma mère partie en chasse me trouve une place dans une école de la région. Il ne faut pas perdre une année scolaire de plus.
Je suis d’une immobilité invincible. Mes yeux sont rivés sur la bonde de la salle de bains. À travers le ballet incessant de leurs jambes. Près de la bonde, dans le giron du trou, je reste au contact de voies souterraines qui me relient à notre ancien appartement. À celui que je suis chargé d’éliminer si je veux un jour aller dehors, me jeter dans les équipements dépeuplés de la station balnéaire.
Une école catholique, sur une colline de conifères, afin de ne pas manquer une année scolaire de plus.
Se représenter la perte d’une année scolaire de plus demande un sens de la durée et une capacité de projection dans l’avenir dont je suis complètement dépourvu.
Je n’ai pas l’intelligence du temps.
La guerre m’a libéré des horloges.
C’est à une liquidation qu’appelle la station balnéaire et il est trop tôt pour passer à l’acte.
La liquidation de soi.
Dans l’attente que l’acte ne vienne jamais je regarde la bonde, je parle à la bonde.
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