Petit essai extrêmement intéressant sur l'interprétation et le rôle de la photographie en temps de guerre, et l'impact différent qu'une image peut avoir sur l'opinion publique suivant l'époque à laquelle on la contemple.
Cet ouvrage met également en lumière un évènement peu connu du XXème siècle, à savoir le conflit entre l'Italie et l'Empire ottoman en Libye.
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Ferrari Jérôme et Rohe Oliver – "A fendre le cœur le plus dur" – Dernière marge / Babel, 2015 (ISBN 978-2-330-08652-7)
C'est là un essai relativement bref (109 pages), portant sur les photos faites par un "reporter" photo dénommé Gaston Chérau pendant la guerre que l'Italie mène contre la Turquie pour lui dérober ce qui deviendra la Libye de septembre 1911 à octobre 1912.
Selon les auteurs, il s'agit donc de l'une des toute premières manifestations d'un genre de photojournalisme appelé à connaître un développement de plus en plus important au fil des décennies, à savoir ce qu'il est convenu d'appeler le reportage de guerre.
Gaston Chéreau est financé par l'Italie pour témoigner de l'aspect "civilisateur" de sa guerre de conquête, ce qui est à l'époque couramment admis par toute la classe politique occidentale, quasiment de tout bord ; les auteurs ne le rappellent pas, mais quelqu'un comme Jules Ferry défendra la colonisation, puisqu'elle apporte "la civilisation", et soutiendra (28 juillet 1885, Chambre des députés) que
"les races supérieures ont un droit sur les races inférieures"
elles ont même
"un devoir de civiliser les races inférieures".
Ayant eu l'occasion de travailler sur l'histoire du photojournalisme, ainsi que sur les fonds de photos issus des grandes expéditions "ethnologiques" (genre "la croisière noire" organisée par Citroën en 1924-1925), ce livre ne m'apprend pas grand chose de nouveau, et la tentative d'analyse ou d'explication fournie par les auteurs n'a rien de bien originale.
Finalement, le mérite principal de cet opuscule réside dans le fait d'attester que Jérôme Ferrari s'est réellement concrètement penché sur un fonds de photographies relatifs aux guerres coloniales, et qu'il écrit donc sur ce sujet en connaissance de cause.
Mais c'est dans son roman ultérieur, publié en 2018 et intitulé "A son image" qu'il livre (ou commence à livrer) son ressenti, son analyse, sa connaissance de la problématique particulière à la photographie.
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Ce texte est paru, initialement aux Editons Inculte dont Olivier Rohe est l'un des créateurs, dans le cadre de l'exposition éponyme qui exploite des archives mêlant photographies et textes d'un écrivain-reporter de guerre, Gaston Chérau, envoyé en Libye lors de la guerre italo-turque en 1911. Quelques photos reproduites donnent un reflet de ce terrible corpus de plus de 200 clichés.
Passée la sidération de la découverte de clichés reproduisant la pendaison de 14 rebelles dans une mise en scène soigneusement organisée, les auteurs les mettent en perspective avec le reste du corpus, et réfléchissent à la propagande photographique en temps de guerre, et au sens à décrypter à travers ces cliches, à la question de la représentation de la violence dont l'obscénité même justifie, ici, la nécessité.
Ce texte est constitué de petits chapitres qui lui donnent un côté un peu disparate. Il laisse un petit goût de superficialité cachée derrière une rhétorique pompeuse, qui le mène parfois à la limite de l'obscur. On regrette que la seule réflexion soit mise en avant, au détriment d'une connaissance du photographe, Gaston Chérau, dont la position face à ces clichés n'est que vaguement ébauchée (à tel point qu'on ne peut savoir si elle s'appuie sur l'analyse des documents écrits, ou s'il s'agit d'une interprétation des auteurs). Il n'en demeure pas moins qu'il pose de bonnes questions, fait émerger des documents jusque là oubliés quoique primordiaux, et qu'on y trouve quelques idées à glaner. L'exposition devait être passionnante!
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Actes Sud édite en poche ce court et remarquable essai de Jérôme Ferrari et Olivier Rohe, qui ont exhumé les photographies d'un reportage réalisé par Gaston Chéreau au cours de la guerre italo-turque (1911-1912) en Tripolitaine (actuelle Libye). Leur regard n'est bien évidemment pas le même que celui de Chéreau et de la grande majorité des Européens des débuts du XXe siècle. Ferrari et Rohe démontent la machine de propagande italienne de l'époque pour mettre à jour la barbarie coloniale et la mise en place d'un système judiciaire partial au service de la puissance dite "civilisée".
Ce texte est d'autant plus intéressant qu'il met en avant un conflit peu connu et qu'il nous aide à comprendre les enjeux libyens de l'après Khadafi.
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Kalachnikov. Sa vie son oeuvre. Ce fils de paysans modestes né en 1919 a d'abord connu la déportation en Sibérie. Amoureux de l'ordre et de la mécanique, il est l'inventeur du fusil d'assaut l'AK-47 dont le succès dépasse toutes les ambitions et les frontières, de la sphère étatique à la sphère privée. On n'arrête pas le progrès!
Récit très court à l'ironie froide et mordante. Un petit chef d'oeuvre!
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Ceci n’est pas une autobiographie, mais y ressemble par bien des aspects : l’auteur joue avec sa propre histoire pour inventer celle d’un autre et ses questionnements en particulier.
Un jeune homme, qui a fait toutes ses études en France, revient dans son pays d’origine, le Liban, sur la demande d’un ami, Roman. Alors que le narrateur n’avait jamais souhaité revenir, cet appel (dont le motif ne sera jamais donné) l’amène à prendre l’avion et, durant le trajet, à s’interroger sur son identité, sa langue, ses idées d’alors et d’à présent. Ce sont donc ses pensées, durant ce long vol Paris- Beyrouth, que nous livre le narrateur, non pas en vrac, mais en tous cas d’un seul bloc. L’absence de paragraphe marque l’absence de hiérarchisation des sujets, de leur enchaînement : tout se bouscule dans cet esprit à peine dérangé par un voisin de siège envahissant.
Le narrateur raconte la présence tout aussi envahissante de ce Roman dans ses propres réflexions avec des mises en abyme multiples qui brouilleraient presque l’énonciation. Reprenons : Oliver Rohé, jeune homme libanais, écrit le récit d’un jeune homme libanais qui revient au pays, qui lui-même raconte les pensées –devenues siennes- de/ d’un Roman qui lui-même affirme que, petit, il avait tendance à s’identifier aux autres et à leur prendre leurs tics. Et l’on se demande, comme le personnage, ce qui fait qu’un homme s’est constitué lui-même et a élaboré ses propres réflexions, quand on s’identifie à ces nombreuses instances narratives et qu’on partage les idées de Roman.
Pour le narrateur, ce brouillage est plus profond et plus violent car il s’opère avec un ami (Roman) resté dans ce pays que le narrateur a tout fait pour oublier : en essayant, vaille que vaille, d’oublier la langue et de s’approprier le français comme langue maternelle ; en refusant de revenir, en rejetant les stigmates de la guerre, les ruines, la violence quotidienne.
C’est en essayant de démêler ses idées de celles de son ami, en essayant d’exister seul dans son esprit que le narrateur ressasse tout ce qui l’éloignait du Liban. Ce faisant, il s’ancre chaque fois plus profondément dans son histoire et, sans faire la paix avec elle, semble pourtant l’accepter davantage.
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Je n’ai pas aimé le style d’écriture trop lapidaire parfois et qui ne rend pas le narrateur, ado, vraiment attachant. Quant au contexte, je pense que connaître un libanais qui a connu la guerre du Liban m’a aidé à y voir plus clair dans la lecture
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Un insupportable verbiage pseudo-intellectuel où l'on apprend rien ni sur le faits ni sur l'auteur (le journaliste). La confusion la plus totale où tout est mêlée (Libye et Chili !?!). Le seul point intéressant est la mise au point historique à la fin du volume par un autre auteur.
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Trois fragments de récits, trois voix pour suggérer la dislocation de soi, la dislocation du monde et la dislocation du langage.
Un comédien émietté par l'égoïsme et la maladie, un pays dévasté par une guerre aussi absurde et violente que les mâles qui en sont cause et protagonistes, un personnage obsédé jusqu'au non-sens par le langage : Oliver Rohe nous dit d'une écriture nerveuse et précise, toujours inventive, la déperdition entre l'intime et l'extime, l'à peu près de tout rapport humain, la difficulté à communiquer. Et la vanité du romanesque?
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Du mythe de l'ingénieur global au triomphe du marchand fragmenteur, avec l'AK 47 et son inventeur...
Paru en mars 2012, ce court texte (80 pages) est l'adaptation de la pièce radiophonique "AK-47" réalisée pour France Culture.
Deux fils, étroitement et brillamment enchevêtrés : d'une part, la vie de l'ingénieur mécanicien Mikhaïl Kalachnikov, inventeur, passionné, patriote fervent, conducteur de char, protégé de Joukov et de Voronov, général sur le tard après avoir été fils de déporté dékoulakisé et fugueur par deux fois (au moins), d'autre part, le destin de sa création la plus célèbre, l'AK-47, symbole du progrès mécanique technique, de la robustesse pensée, des luttes de libération, avant de devenir, dans un de ces tragiques ou ironiques retournements de l'histoire, celui des conflits incessants du capitalisme triomphant et parcellisant, celui des enfants-soldats ivres de drogue et de rage, celui d'une consommation quasiment ultime.
Si Oliver Rohe nous laisse un peu sur notre faim, c'est que l'on sent bien qu'il pouvait nous en dire beaucoup plus, tant ses réflexions sur l'imagination technicienne et les paradoxes du capitalisme marchand, ancrées dans les ordres de Lénine sur la poitrine du vieil inventeur et les nécessités du calibre 7,92, font virevolter nos neurones, entre nombreux sourires et yeux stupéfaits...
"(...) et tenteront alors, non sans difficulté, de s'adapter à leur tour aux temps nouveaux qui exigeaient ainsi, pour des raisons de configuration spatiale et temporelle des combats, de stratégie d'attaque et de défense, qu'on règle une bonne fois pour toutes ce terrible dilemme des munitions et qu'on adopte par conséquent un armement individuel inédit.
Maintenant nous tenions enfin le nouveau calibre."
"À observer maintenant une carte répertoriant pour nous les usines de fabrication, les arsenaux et les centres de stockage, les zones de conflits et les routes officielles ou clandestines de la distribution des armes, de ces quelque cent millions de Kalachnikov certifiées ou contrefaites inondant le marché mondial, sans qu'aucune réglementation et qu'aucun contrôle sérieux ne vienne encadrer leur circulation, leur circulation libre et effrénée, à observer les trajets compliqués et les circonvolutions de ce flux incessant de Kalachnikov sur le marché, il devient encore plus aisé de comprendre que ce fusil d'assaut imaginé par un paysan russe bientôt centenaire n'épargne aucun continent et aucune région, que sa dissémination forme un réseau d'échanges de plus en plus dense et touffu, à l'image de n'importe quelle autre marchandise d'envergure planétaire, d'une boisson gazeuse, d'un téléphone mobile ou d'un produit immatériel. (...) Mais cette impression est évidemment fallacieuse, parce que la marchandise AK-47 ne travaille au contraire qu'à la fragmentation permanente des territoires, à leur fractionnement en portions, en parcelles toujours plus réduites sur le modèle de la guerre civile infinie (...)"
Et on n'hésitera donc pas, le cas échéant, à relire l'opuscule sur la route improbable du musée Kalachnikov d'Ijevsk, ou sur celle, un peu plus vraisemblable, de la salle du même nom du Musée d'Artillerie de Petersbourg.
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Lire ce livre d'une traite - comme une salve d'AK 47.
Faire appel à ses réminiscences géopolitiques de la fin du siècle passé pour apprécier le cheminement de cette arme mythique qui passe des mains du brave soldat soviétique, à celui des révolutionnaires anti-coloniaux puis des anti-impérialistes, puis des terroristes de tous bords, puis, comble de l'ironie, des talibans anti-communistes pour finir entre celles des truands de banlieue.
Réfléchir à l'énorme industrie générée par cette arme, à son marché mondial, et ses réseaux de distribution.Unique.
Penser que tout cela n'a été rendu possible que par la volonté d'un fils de koulak, échappé d'un camp de Sibérie, devenu symbole d'un régime dont il était exclu au départ.
Refermer le livre, le rendre à la bibliothèque ou le ranger dans la sienne.
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