VLEEL 293 Rencontre littéraire avec Éditions Fugue, Olivier Bellamy, Caroline Bouffault, J.P Ancèle
"Heureux qui trouve un véritable ami. Plus heureux qui en sa femme trouve une véritable amie", écrit-il dans son journal le 8 septembre 1816. L'amitié est un besoin vital, un moyen de s'élever ensemble vers le Beau (...). C'est de l'amour grand et vrai qui ne dit pas son nom. "Jamais je ne calculerai avec mes sentiments. Ce qui est en moi, je le donne tel quel", écrit-il à son frère Ignaz.
Plus que tout autre compositeur de l'histoire de la musique, Schubert est délicat à interpréter et cette difficulté provient essentiellement du son. Dès qu'un pianiste pose les mains sur le clavier, on sait s'il a le toucher ad hoc ou s'il ne l'a pas. (...) Schubert ne se donne pas à tout le monde. Il est essentiellement vocal. Mais d'un chant intérieur, simple et immémorial. (...) Pour jouer Schubert, il faut accepter d'être seul dans la multitude, il faut réellement l'éprouver. C'est la musique la plus proche du silence.
La douceur de l’amitié est un réconfort, mais l’apprentissage de la souffrance dessine un chemin solitaire. C’est le drame de l’homme pensant et ressentant. « Personne qui comprenne la douleur d’autrui et personne la joie d’autrui, écrit-il encore. On croit toujours aller l’un vers l’autre et on ne va jamais que l’un à côté de l’autre.
Qui c'est le père, demande Marius, celui qui donne la vie ou celui qui paye ? Et César a cette réponse inspiré par le ciel : "Le père, c'est celui qui aime."
L’amitié n’est pas seulement pour Schubert, comme hélas pour de nombreux êtres humains, une alliance d’intérêts circonstanciels, un succédané provisoire au manque d’amour, une camaraderie prétexte à des beuveries, une échappatoire au poids de l’existence. C’est plus profond que cela.
C'est alors que j'entendis pour la première fois la Symphonie inachevée de Schubert, pur diamant tombé d'un ciel de charbon.
Qu'une douleur que l'on sent si vive ait pu chez ce génie musical faire éclore une œuvre si belle a changé et allégé ma vie.
Je rencontre Philippe Claudel pour son livre L'Arbre du pays Toraja, que j'ai adoré. Nous bavardons. Il me demande aimablement sur quoi je travaille. Je lui parle de Margot. Son visage change. Il me dit qu'il a beaucoup pleuré la mort de son chat. "En plus, c'est lui qui nous avait choisis." C'était un chat vagabond qui avait élu domicile chez eux. Il me rappelle ce mot de Jean-Luc Godard : "Avec les humains, on communique, avec un animal, on communie."
Les larmes sont comme l'amour : inutile de les maîtriser ou de chercher à les analyser, c'est un irrépressible abandon.
L’héroïsme de Schubert se trouve tout entier dans sa recherche de la vérité en dehors de toute ambition de carrière. Sans trembler devant la censure et sans chercher à s’attirer les bonnes grâces du régime. Quoi de plus noble que d’offrir tout son génie à l’élaboration d’un monde plus beau en retirant tout juste de quoi subsister ? C’est sa réponse aux dangers qui menacent, aux valeurs qui s’effondrent, à la lumière qui faiblit.C’est une réponse d’artiste et de musicien. C’est aussi une réponse humaine. Il est un résistant parmi les autres, pas au-dessus des autres, un soldat de l’intime intégrité qui se défend jour après jour.
En savourant le livre Un été avec Montaigne d’Antoine Compagnon, je me suis dit sur le mode de la plaisanterie : à condition de passer l’hiver avec Schubert. Et je me suis piqué au jeu. Schubert m’est toujours apparu comme une sorte de chaînon entre Mozart et... Proust