Citations de Olivier Liron (344)
J’aime les mots à trait d’union que je découvre comme « pont-levis », « tire-bouchon » ou « ramasse-miettes ». Le trait d’union est une merveille de la langue française : les mots se tiennent par la main.
(page 161)
Carmen est sublime dans sa robe blanche. À son bras, Paco est l’élégance même. Bernarda se tient à côté d’eux, toute de noir vêtue, avec la peineta dans sa mantille et un œillet couleur rouge sang. Les invités chuchotent, terriblement jaloux :
- Como une que tiene dinero ! (En voilà une qui a de l’argent !)
Pour le repas de mariage, on a fait simple. Un verre de lait et un petit pain pour tout le monde.
(page 23)
Nieves ne comprend pas le bon Dieu. Elle refuse de tout son être, et cette évidence ne la quitte pas, qu’un dieu bon, réellement bon, puisse tolérer la souffrance. C’est pour elle une question fondamentale qui la poursuit tous les jours. Comment Dieu peut-il tolérer autant de désolation ? La misère partout ? Tous les culs-de-jatte ? Et sa propre famille qui crève la faim ? Pourquoi cela ?
(page 37)
Est-ce à l’école franquiste que Nieves a commencé à ne plus croire en Dieu ? Est-ce parce ce que la religion lui donnait trop de crampes qu’elle est devenue, plus tard, une scientifique ? Est-ce cela qui l’a poussée à se tourner vers une autre religion, celle de la nature ?
(page 30)
Ce que nous ne voulons pas savoir de nous-mêmes, ce que nous évitons de reconnaître en nous-mêmes, tout ce qui n’est pas formulé, pas su, tout ce qui est ignoré, effacé, tout ce qui se love et se cache dans les silences brûlants du passé, tout cela, je crois que nous le rencontrons, un jour ou l’autre, et que nous devons l’affronter.
J’ai pensé que le bonheur, personne ne peut en forcer la porte, le trouver artificiellement. Il ne s’ouvre pas de l’extérieur, le bonheur. Il est malin. Il est beaucoup plus malin, mille fois plus que vous. Il est fermé à clé depuis l’intérieur. Et personne n’a la clé. Le bonheur ne s’ouvre que de l’intérieur.
Carmen et moi, on se couvre de bisous. Personne ne s’embrasse à la maison parce que les bisous ne sont pas un concept mathématique opérationnel. Je m’en fous, je fais toujours entre cent et deux cents bises à Carmen sur le palier. Ça énerve légèrement Neige, qui aimerait pouvoir entrer dans l’appartement.
(pages 146-147)
Elle ne comprend pas la guerre, ou plutôt elle comprend que c’est exactement cela, la guerre, ne plus rien comprendre.
Elle est écœurée par le rôle de l’Église dans la colonisation. Ce qu’on peut faire au nom de Dieu pour imposer la foi. C’est monstrueux. Elle fait le parallèle avec ce qu’elle a vécu en Espagne. Là-bas, l’Église est toujours la béquille de Franco. Cette association avec le pouvoir politique, cela disqualifie l’Église. La spiritualité, c’est autre chose, ça n’a rien à voir.
(page 91)
Nieves ne comprend pas le bon Dieu. Elle refuse de tout son être, et cette évidence ne la quitte pas, qu’un dieu bon, réellement bon, puisse tolérer la souffrance. C’est pour elle une question fondamentale qui la poursuit tous les jours. Comment Dieu peut-il tolérer autant de désolation ? La misère partout ? Tous les culs-de-jatte ? Et sa propre famille qui crève de faim ? Pourquoi cela ?
Le jour de la communion, en mai, Nieves… Elle pénètre dans l’église sous les yeux de sa mère qui la regarde avec fierté.
Devant elle, le dieu sur sa croix souffre et expie. Elle ne lui a rien demandé pourtant ! Elle préfère être responsable de sa vie. Pas besoin que quelqu’un d’autre prenne sa souffrance à sa place. Toujours cette image culpabilisatrice. Cette culpabilité qu’on porte depuis l’origine. Pourquoi ? S’ils ont fait des conneries, les premiers humains, on n’est pas responsables. On n’a pas à endosser !
Être triste, c’est avoir épuisé toutes les façons possibles de parler à ceux qu’on aime.
- Je déteste les jeux de société.
- tu n'aimes pas les jeux ?
- Si, j'aime les jeux. C'est la société que je n'aime pas.
Nieves a la pudeur des sensitives, Mimosa pudica, dont les feuilles se rétractent lorsqu’on les effleure. Elle étudie avec passion. Ce qu’elle apprend lui ouvre des horizons, lui permet d’échapper à la trivialité de son quotidien, lui donne à rêver mille vies. Les disciplines scientifiques la fascinent. La littérature la transporte.
Au début de l’année 1939, les forces républicaines s’effondrent. Des centaines de milliers de réfugiés espagnols s’enfuient pour gagner la France. Ils seront parqués dans ces camps de la honte que l’État français appelle des camps de concentration.
Les yeux de ma mère disent tout le chagrin du monde, ils disent que mon grand-père est parti trop vite, qu’elle n’a pas pu lui faire ses adieux comme elle le voulait. C’est peut-être cela, le plus triste : elle voudrait encore lui parler, et elle sait que ce n’est plus possible désormais. Je me demande si c’est ça, la mort. Un truc qui empêche de se dire au revoir. Et qui creuse des trous. Des trous dans la vie, dans l’avenir et dans notre cœur.
Je m’évade… Un livre, ça s’ouvre comme une fenêtre, comme une porte. Une façon de vivre d’autres vies.
Je ne sais pas ce que veut dire, faire son deuil. Déjà que faire son lit, c’est super difficile.
(page 174)
En Espagne, la famille était très pauvre, c’est vrai, et cette pauvreté était douloureuse, mais ils étaient pauvres comme des millions d’autres gens.
Nieves découvre que c’est relatif la pauvreté. Être pauvre là-bas et être pauvre ici, cela n’a rien à voir. Au milieu du seizième arrondissement de Paris, c’est différent.
Ici, Nieves est une pouilleuse.
L’exil est une blessure, une condamnation, un bannissement, une destitution, une indignité, un rejet.
Maria, prénom de paria.
Et puis, l’existence même des quartiers pauvres dérange. Comment surveiller les milliers d’immigrants ? Comment les gérer ? Et comment justifier l’hypocrisie… qui veut que l’on tolère cette immigration, à condition qu’elle vive dans la misère ?
(page 76)
Depuis quelques années, Nieves saisit l’importance des droits récemment acquis par les femmes. Le droit, depuis 1965, de travailler sans l’autorisation du mari. Celui d’avoir un chéquier. Celui de posséder un compte bancaire à son nom. La loi Neuwirth, en 1967, a autorisé la contraception. En 1971, pourtant, la plupart des grandes écoles sont encore fermées aux femmes.