Citations de Pascal Garnier (531)
Une fois vêtu il fait quelques pas de la fenêtre au lit, du lit à la fenêtre. Puis il débarrasse la corde à sauter de son emballage. Le carton bariolé représente une fillette en robe rose batifolant dans un pré vert semé de pâquerettes. Il l’a achetée hier soir dans le magasin de souvenirs qui jouxte l’hôtel, juste avant la fermeture. La vendeuse avait souri au curieux achat de son dernier client. La corde est blanche avec des poignées rouges. Il en vérifie la solidité en tirant dessus à petits coups secs. Made in China, méfiance. Ensuite il place la chaise à l’aplomb du lustre, un bouquet de tulipes stylisées en verre dépoli, et grimpe dessus, noue soigneusement une extrémité de la corde au crochet de la suspension et l’autre autour de son cou.
Simon n’est toujours pas parvenu à régler correctement le mélangeur de la douche. Eau glacée ou brûlante, au choix. Peut-être parce qu’il se sent déjà déserté, son corps répond mal aux ordres de son cerveau. Le verre à dents lui échappe des mains et se brise sur le carrelage, il se cogne au coude, au genou, se coupe en se rasant de trop près. Le miroir ne reflète plus que les contours d’un visage flouté en quête d’anonymat. Un nuage d’after-shave et il n’en reste plus rien. Il change de sous-vêtements par respect envers ceux qui bientôt se chargeront de sa dépouille.
— C’est toi qui as voulu venir dans une ville d’eaux. On n’aura qu’à aller au cinéma. »
Il a entendu ça hier soir, au restaurant de l’hôtel, à la table voisine de la sienne. Un couple de retraités. Elle, dodelinait de la tête en consultant le menu ; lui, se cachait derrière les pages du Dauphiné. À la une, on parlait du décès d’un célèbre producteur.
On le voyait sourire de toutes ses fausses dents entre deux starlettes dorées sur tranche.
Le ciel est bas, s’accroche en filaments cotonneux au flanc des montagnes qui entourent Vals-les-Bains, Ucel, Saint-Julien-du-Serre. Plus loin, tout n’est plus que suppositions. Entre les rigoles de pluie qui ruissellent sur la vitre on distingue vaguement la Volane charriant ses eaux boueuses derrière le kiosque de la source Béatrix.
« C’était trop beau, ça pouvait pas durer. À la radio ils annoncent de la pluie pour le restant de la semaine.
(...) dans les chambres d’hôtel, le temps n’a plus cours, il stagne, pareil au bras mort d’un fleuve.
Sa pendulette de voyage à côté de la lampe de chevet indique six heures onze. Il avait programmé la sonnerie pour sept heures. Quelle importance ? À présent il est tout à fait réveillé.
Il a dormi calmement, d’une traite. Si le moteur à deux temps n’était pas venu rompre le charme, sans doute dormirait-il encore.
Chaque meuble, chaque objet semble dépourvu de volume, comme si on en avait tracé à la hâte les contours à même les murs. Couvre-lit, couverture, draps sont à peine dérangés.
L’aube grise derrière les ondulations du voilage filigrané de motifs végétaux baigne la chambre d’une teinte uniforme.
À tâtons il cherche ses lunettes sur la table de nuit. Il n’y voit guère mieux après les avoir chaussées.
L’une après l’autre il soulève ses paupières, lourdes et rouillées, semblables au rideau de fer des vieilles boutiques.
Allongé sur le dos, mains croisées sur le ventre, Simon a tout du gisant d’église
l n’a pas ouvert les yeux, pas esquissé un mouvement, tout juste une crispation au coin de la bouche pour manifester son agacement au passage de l’insecte mécanique.
C’est à peine audible, une vague rumeur montant du fond de la nuit mais suffisante pour faire voler son sommeil en éclats. Le ronflement de la mobylette croît inexorablement jusqu’à devenir en passant sous sa fenêtre aussi intolérable que la fraise du dentiste sur une dent cariée. Puis elle s’éloigne et disparaît comme elle était venue ne laissant derrière elle qu’une longue déchirure dans la ville endormie.
-Tu veux plus de ta côtelette, maman ?
- non, c’est trop gras.
- L’agneau c’est toujours un peu gras, c’est ça qui donne du goût. Tu manges rien.
- On peut pas tout faire, boire ou manger, faut choisir.
- Tu bois trop, tu fumes trop aussi. C’est normal que tu sois tout le temps fatiguée.
- J’aime bien être fatiguée, ça me repose.
Tout cela n’a pas de sens. Si l’existence n’est qu’un passe-temps, alors rien ne dit qu’il y aura un demain, tout comme on peut douter d’avoir vécu un hier. C’est un jour à tuer quelqu’un sans raison.
Yolande peut avoir entre vingt et soixante-dix ans. Elle a le grain et les contours flous d’une vieille photo. On dirait qu’une fine poussière la recouvre. Il y a une jeune fille dans cette carcasse de vieille femme. On la devine parfois dans une façon de s’asseoir en tirant le bas de sa jupe sur ses genoux, une manière de se passer la main dans les cheveux, un geste gracieux qui surprend dans ce gant de peau ridée.
La pluie s'était calmée, à peine un crachin, un chagrin d'étoile qui lui vaporisait le visage.
La vie, c'est être là quand ça se passe, sinon c'est le désert. Les gens apparaissent et disparaissent sans qu'on sache vraiment d'où ils viennent et où ils vont. On se croise.
La vie a beau être ce qu'elle est, parfois elle fait des cadeaux, même à ceux qui ne le méritent pas...