Citations de Pascale Quiviger (123)
Les séparations, les frontières, ce sont aussi des inventions. Je vais te donner un exemple. Plus loin, là-bas, quelque part dans le sable, un autre empire commence. On a planté un poteau de métal pour marquer la frontière. Il est là-bas. Debout. Tout seul. Il invente la frontière. Un peu partout dans ta pensée, il y a des poteaux comme celui-là. Des frontières entres les pouvoirs, entre les races, entre le générations, entre les genres, entre les mondes, entre les temps. Entre les morts et les vivants. Entre aujourd'hui et demain. C'est la peur qui met des poteaux partout.
Malek, dans la vie, trois choses seulement n'ont pas de frontière. Lesquelles ? La mort, d'abord. La musique, ensuite. Et puis l'amitié. Par amitié, tu sais, on peut soulever des montagnes.
Selim avait honoré deux formes de pouvoir - politique et religieux. Elle avait complètement occulté celui qui les précédait et les rendait possibles : la nature. La nature devant laquelle, tôt ou tard, nous devrons tous nous incliner.
- Vizir, je te plains. Moi je n'ai rien, donc je suis libre. [...]
- Il faut un minimum de confort matériel pour être vraiment libre, Sourcier.
- C'est vrai. J'ai mangé, j'ai bu, je vais dormir au chaud près de ma famille. J'ai déjà tout ce qu'il me faut.
Toutes nos actions entraînent des conséquences.
L'origine, il faut s'en souvenir. Parce qu'autrefois, Vizir, l'humain pouvait penser un monde qui continue après lui. Il pouvait endurer faim et soif pour les enfants encore à naître. Il craignait leurs guerres à venir, il voulait à tout prix leur laisser un monde habitable.
La vie était dure, fatigante, terrifiante par moments. Malgré tout, les marins s'en contentaient. Un peu comme on s'attache à une vieille chaussette, ils trouvaient le navire familier, sa puanteur rassurante, sa charpente intime. Ils savaient comment bouger, comment parler et quand se taire. Surtout, ils révéraient la mer, sa puissance, son immensité, sa profondeur. Elle leur donnait de la nourriture, des horizons et une frayeur sans bornes : une vraie déesse.
Ici, on dansait beaucoup et on mangeait tard. Les souverains aimaient séduire et être séduits, ils aimaient mentir et être crus. Lorsque Thibault avait quitté Pierre d'Angle pour la toute première fois, son père lui avait donné un conseil qui s'appliquait à Villaines mieux qu'à tout autre royaume : «Amuse-toi, mais méfie-toi. »
Lorsque le soleil ne se lèvera plus, ce que vous consommez vous consumera.
— Eh bien quoi ? Mon amie Mathilde agonise et j'ai son sauveur devant moi en train de manger une grosse tranche de pain ! Je serais bien folle de ne pas traire la vache.
— C'est moi la vache ?
— Toi-même, mon gars.
— Pourquoi une vache ?
— Parce qu'on ne trait pas les poules. Allez, Mathilde t'attend.
- Le temps court malgré tout, tu sais.
- Il court, c'est vrai, mais il est différent pour toi et pour moi. Toi, il te sert de sac. Dans le sac, tu ranges tes activités. Pour moi, c'est le contraire. Le temps existe à travers mes activités. Je marche, je mange, je parle, j'écoute. J'habite le jour, j'habite la nuit. Tu mets des choses dans le temps, alors que moi, je mets du temps dans les choses.
- Pourquoi toi ? s'exclama l'Ange dont la prescience devenait énervante. Mais parce que, Malek ! Parce que tu n'as pas d'idées préconçues. La vie t'a durement appris à ne rien attendre de personne. Alors tu n'attends rien. Rien ! Attendre, tu vois, c'est se rapporter à l'avenir. Quand on attends pas, on est disponible au présent. On remarque ce qui est au lieu de fantasmer ce qui sera. L'esprit des gens est encombré. Ils pensent à leur repas du soir, aux marchandises de leur échoppe, au bonheur de leurs enfants. C'est naturel, je te l'accorde, dès qu'on a une maison, une échoppe, une famille. Mais quand on n'a rien, Malek ! C'est quand on a rien qu'on est disponible.
- Vas-tu répondre à une seule de mes questions, Sourcier ? Je viens de loin, tu sais.
-Je sais. Ça dépend de tes questions. Ça dépend de la réponse que tu souhaites. Parfois la réponse est pire que la question.
- Nous préférons toujours les réponses, assura Arash.
- Il y en aura. Plus tard. Elles vont vous décevoir.
- Pourquoi ?
- Parce qu'elles vont déplacer les questions. (p.403)
Comme bien des contrées dites civilisées, l'empire de Selim classait ses habitants par couleurs. Les tanneurs étaient jaunis par l'ammoniaque et les esclaves, rougis par le sel. Gris de poussière, les mineurs de diamants ; bruns, les domestiques des grandes demeures de Borhan. Entre cuivre et porcelaine, les gens libres, mais alors que porcelaine dégustait des salades de fruits sur une terrasse fleurie, cuivre importait des marchandises pour les revendre dix fois leur prix. Seule l'oasis de Toutiè absorbait, tolérait et mariait toutes les couleurs entre elles. Toutes, sauf l'ébène refoulée en bordure du désert. (p.23)
La liberté des uns coûte parfois beaucoup aux autres.
La normalité... Une notion bien ridicule, je pense.
La valeur d'une personne n'a rien à voir avec ses origines.
" Examine le mal. Apprends à le connaître. Cherche sa racine. Comprends ce qu'il veut, d'où il vient. D'un désir frustré ? D'une blessure inguérissable ? D'un adieu mal formé ? Souvent la racine n'est pas mauvaise en soi. Elle n'est pas le mal, non, non. Elle a mal, plutôt. "
Entrer dans la salle de bal par un soir de juin, c’était comme plonger dans un verre de limonade : la lumière du dehors entrait à flots par les hautes fenêtres, se déversait entre les murs jaune pâle et se dédoublait dans les miroirs.
Les morts demandent parfois qu'on les ressuscite. Je ne leur permets pas de s'attarder. Les muscles sont faits terre, ils retournent à la terre. Le sang est fait d'eau, il retourne à l'eau. L'oxygène retourne à l'air et les os à la pierre. Ce n'était qu'un emprunt de matière compostable.
Et la conscience ?
Sa route est secrète, mais mon chant la prépare.
Ensuite, je me tais.
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