Citations de Paul Celan (384)
Eloge du lointain
(in Pavot et mémoire )
Dans la source de tes yeux
Vivent les filets des pêcheurs des mers devenues folles
Dans la source de tes yeux
la mer tient sa promesse
J'y précipite
cœur ayant vécu parmi les humains
les vêtements que j'ai portés
l'éclat d'un serment
Plus noir que dans le noir, je suis encore plus nu
Je suis toi, quand moi je suis moi
Dans la source de tes yeux
j'erre et je rêve de pillage
Dans la source de tes yeux
Un pendu étrangle la corde
Le poème peut être une bouteille jetée à la mer, abandonnée à l'espoir - certes souvent fragile - qu'elle pourra un jour, quelque part, être recueillie sur une plage, sur la plage du cœur peut-être.
Fais que ton œil dans la chambre soit une bougie, ton regard une mèche,
fais moi être assez aveugle pour l'allumer.
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À la source de tes yeux
vivent les filets des pêcheurs d'eaux folles.
À la source de tes yeux
la mer tient sa promesse.
Je jette là
un cœur qui a vécu parmi les hommes,
jette bas mes vêtements et l'éclat d'un serment
Plus noir dans le noir je suis plus nu.
Infidèle seulement je suis fidèle.
Je suis tu quand je suis je.
À la source de tes yeux
je suis emporté et je rêve de rapine.
Un filet a pêché un filet :
nous nous séparons enlacés.
À la source de tes yeux
un pendu étrangle sa corde.
(Louange du lointain du Recueil Pavot et Mémoire)
Aussi nous voulons être là
dans un temps qui dit le mot amplifié
où le millénaire, juvénile, quitte la neige,
l’œil qui erre
repose dans son propre étonnement,
et refuge et étoile
voisins se tiennent alors dans la bleuité
comme si le chemin était déjà parcouru à grands pas.
(poème paru dans la revue Diérèse N°85 / traduction Joël Vincent)
Dans la jungle du sang, c’est là
que se tient l’adieu, doigts -
effilés, à
chaque bout, en forme -
de cœur, une
loupe, et là
les tigres capturent
du jour
« Du fonds posthume », extrait paru dans la revue Diérèse (85), traduction Joël Vincent
je sais
je sais et tu sais, nous savions ;
nous ne savions pas, nous
étions bien là et non là-bas, et parfois,
à condition qu’entre nous
le Rien se dressât, tout à fait,
nous nous trouvions
unis l’un à l’autre.
(traduction Maurice Blanchot)
Je ne fais pas de différence entre un poème et une poignée de main.
toi qu'au fond des temps,
dans le Rien d'une nuit,
j'ai dans la Non-nuit ren-
contrée, toi
Non-toi –
...
et parfois, quand
il n'y avait plus que le Rien entre nous,
nous nous trouvions
l'un l'autre tout à fait.
'RADIX, MATRIX', extrait, p. 63
& 'TANT D'ÉTOILES' / 'Soviel Gestirne', extrait, p. 21
L’art déplace le moi au plus loin.
Le méridien
“Un rien,
voilà ce que nous fûmes, sommes et
resterons, fleurissant :
la rose de Rien, la
rose de Personne.”
Rapport d’été
Le tapis de thym sur lequel
on ne marche plus, qu'on contourne.
Une ligne vide placée en travers
sur la bruyère des marais.
Néant porté dans les bris de vent.
Rencontres, de nouveau, avec
des mots isolés, comme :
éboulement, herbes dures, temps.
PSAUME
Personne ne nous pétrira de nouveau de terre et d'argile,
personne ne soufflera la parole sur notre poussière.
Personne.
Loué sois-tu, Personne.
C'est pour te plaire que nous voulons
fleurir.
À ton
encontre.
Un Rien,
voilà ce que nous fûmes, sommes et
resterons, fleurissant
la Rose de Néant, la
Rose de Personne.
Avec
le style, lumineux d'âme,
le filet d'étamine, ravage de ciel,
la couronne rouge
du mot pourpre que nous chantions,
au-dessus, ô, au-dessus
de l'épine.
Des régions les plus lointaines de l’esprit peuvent arriver des mots et des formes, des images et des gestes, voilés comme dans un rêve et comme dans un rêve dévoilés ; quand ils se rencontrent en pleine course, et que naît l’étincelle du merveilleux, […] je fixe la clarté nouvelle dans les yeux.
DANS LES FLEUVES au nord du futur,
je lance le filet
qu'hésitant(e) tu alourdis
d'ombres écrites par
des pierres.
Mandorle.
Dans l'amande- qu'est-ce qui est dans l'amande?
Le néant.
C'est le néant qui est et se tient dans l'amande.
Il est là et continue d'être.
Dans le néant-qui donc est là et se tient? Le roi.
C'est le roi qui est là, le roi.
Il est là et continue d'être.
Boucle de juif, tu ne seras pas grise.
Et ton œil - vers quoi se tient-il ton œil?
Ton œil se tient et fait face à l'amande.
Ton œil, c'est au néant qu'il fait face.
Il se tient et reste du côté du roi.
C'est comme ça qu'il est, tient, continue d'être.
Boucle d'homme, tu ne seras pas grise.
Amande vide, bleu roi.
Qu'est-ce que ?
Qu'est-ce que la solitude du poète ?
Un numéro de cirque qui ne figure pas dans le programme.
Qu'est-ce qu'une larme ?
Le plateau d'une balance en manque de poids.
Qu'est-ce que l'ivresse ?
Une page blanche parmi des pages colorées.
Qu'est-ce que l'oubli ?
Une pomme verte percée d'une flèche.
[in Georges Astalos, Héritage lyrique (sélection anthologique de la poésie israélienne d'expression roumaine), p. 48]
S’il venait,
venait un homme,
venait un homme au monde, aujourd’hui, avec
la barbe de clarté
des patriarches : il devrait,
s’il parlait de ce
temps, il
devrait
bégayer seulement, bégayer,
toutoutoujours
bégayer.
Les soirs se creusent
sous ton œil. Recueillies
avec la lèvre, des syllabes – beau
cercle en silence –
guident l’étoile qui rampe
vers leur centre. La pierre,
autrefois proche des tempes, ici s’ouvre
Une étoile de bois...
Une étoile de bois bleue,
cette forme de fins losanges.
Aujourd’hui, de la plus jeune de nos mains.
Le mot, tandis que
tu précipites le sel de la nuit, le regard
de nouveau cherche l’auvent vitré :
-Une étoile, mets-la,
mets l’étoile dans la nuit.
(- Dans la mienne, dans la mienne.)
À hauteur de Bouche
À hauteur de bouche, perceptible :
excroissance ténèbre.
(Pas besoin, lumière, que tu la cherches, tu demeures
le filet de neige, tu tiens
ta proie.
L'un et l'autre sont valables :
Touché et Non-touché.
L'un et l'autre, avec la faute, parlent de l'amour,
l'un et l'autre veulent et exister et mourir.)
Stigmates de corolle, bourgeons, blocs ciliaires.
Œil épieur, étranger au jour.
Cosse, vraie et ouverte.
Lèvre savait. Lèvre sait.
Lèvre finit de le taire.