Thomas Jorion - Silencio .
Thomas Jorion vous présente son ouvrage "Silencio" aux éditions La Martinière. http://www.mollat.com/livres/silencio-9782732460154.html Notes de Musique : 06 Sewing Song (by Weerthof). Free Music Archive
Ce n’est donc pas l’Europe en tant que telle qui est cause du malheur des peuples, mais l’idéologie agressive de ceux qui la dirigent et qui au lieu d’unir les nations dans un projet commun les dresses les unes contre les autres et, à l’intérieur de chacun de celles-ci, dresse chaque individu contre tous les autres, sous la bannière inhumaine des dogmes de concurrence-compétition-compétitivité.
Rousseau avait écrit : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : "Ceci est à moi", et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, que de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : "Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne" ».
Pour Freud, l'homme abandonne une part de sa liberté pour gagner en sécurité et, du coup, tandis que la civilisation progresse, sa satisfaction libidinale doit consentir des sacrifices de plus en plus lourds : plus la sécurité augmente, plus les société peuvent devenir densément peuplées, et plus la satisfaction libidinale se voit frustrée.
Hegel : « On recommande aux rois, aux hommes d'Etat, aux peuples de s'instruire principalement par l'expérience de l'histoire. Mais l'expérience et l'histoire nous enseignent que les peuples et les gouvernements n'ont jamais rien appris de l'histoire, qu'ils n'ont jamais agi suivant les maximes qu'on aurait pu en tirer. »
La nature ne résout pas les problèmes qui finissent par se poser : elle se débarrasse, dans sa splendide indifférence, de tout ce qui ne marche pas ; elle recommencera plus tard, car sa luxuriance sur une planète comme la Terre est une donnée.
Nous pouvons nous identifier à d'autres êtres humains - une disposition qui vient tout naturellement à certains d'entre nous -, mais nous sommes incapables de nous identifier au destin du genre humain tout entier, et donc de nous impliquer pleinement dans sa survie. Nous arrivons à donner un sens à notre propre vie, mais donner un sens à l'histoire de notre espèce dépasse les frontières de notre imagination.
Notez que le terme demandeur d’emploi reflète seulement le point de vue administratif. Si vous demandez à l’administration de faire un truc, vous êtes demandeurs (l’Administration est polie). Mais sur le marché de l’emploi, on devrait plutôt dire que Judith est une offreuse de travail, car elle offre sa capacité de travail à l’humanité. L’humanité n’est pas forcément intéressée. Et pour cause : grâce aux machines, l’humanité a de moins en moins besoin de travail. C’est un de ces problèmes complexes qu’il est plus simple de résoudre en décrétant que c’est la faute à quelqu’un. Dans le cadre de la compétition permanente, malheur au perdant (…). Outre le fait que ça élimine en priorité ceux qu’on estime être les moins utiles, ça incite ceux qui restent, quand on le leur demande gentiment, à courir plus vite
Le but du jeu : le but du jeu du partage du surplus est de partager le surplus le moins possible
S’il n’y a pas de prise de conscience générale, pas de rébellion dans les cinq années qui viennent, c’est cuit pour l’espèce humaine ! Se débarrasser du capitalisme était une question de justice au XIXe siècle, maintenant c’est une question de survie.

J’ai souligné, à l’adresse de mes amis de Lille, qu’au-delà du leurre à usage personnel que peut constituer l’espérance, au sens qu’a ce mot quand il renvoie à une projection de soi-même dans un espoir infatigablement renouvelé, elle contribue, si l’on pense à la communauté des hommes dans son ensemble, à une démobilisation générale. Parce qu’il y a un autre élément, malheureusement, dans la manière dont les catholiques envisagent la vie – même s’ils mettent le doigt, avec les paroles d’Évangile, sur une grande vérité quant aux ressorts de la condition humaine – qui va dans le même sens de la démobilisation : il existe, à l’arrière-plan de tout ce que l’on perçoit dans le monde sensible, un lieu où l’on se rendra après avoir passé l’épreuve de la mort – laquelle n’est pour les vrais croyants rien d’autre qu’une transition –, où justice sera enfin rendue, tous comptes soldés, où nous serons récompensés pour les vertus dont nous avons fait preuve ici-bas et punis pour les vices qui furent tristement les nôtres. Il y a dans cette croyance – « croyance » parce qu’il n’y a en sa faveur pas un atome de preuve – un facteur démobilisant.
Cette idée que, même si l’on cesse un beau jour de se retrousser les manches, même si l’on finit par baisser les bras, une récompense vous sera cependant accordée, quelque part, le moment venu, pour ce qui aura été accompli durant la vie terrestre, constitue un facteur de démobilisation pour ce qu’il convient d’accomplir ici et maintenant.
Mais ce n’est pas ainsi que le voit le christianisme dans sa dévalorisation du monde qui est le nôtre. Il est écrit dans l’Évangile de Jean : « N’aimez point le monde, ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui, car tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et l’orgueil de la vie, ne vient point du Père, mais vient du monde… » (1 Jean 2 : 15-16). Ce dénigrement du seul séjour qui nous soit véritablement offert est exprimé plus crûment encore dans L’Imitation de Jésus-Christ : « Celui-là est vraiment sage qui, pour gagner Jésus-Christ, regarde comme de l’ordure, du fumier, toutes les choses de la terre » (I, 3, 6).