Peter Levine

LeDoux [...] : "Le cerveau n'est pas intéressé par le fait de disposer d'un jeu parfait de souvenirs du passé... le souvenir revient sous une forme de remise à jour qui permet de savoir si cette information qui occupe une place importante dans nos têtes est toujours utile. Cela peut rendre nos souvenirs moins précis, mais certainement plus adaptés au présent et au futur [c'est-à-dire plus pertinents]".

L'implication spectaculaire de la découverte de Nader est que les souvenirs ne sont pas formés puis maintenus dans leur intégrité comme on le croyait jusque-là. Les souvenirs sont plutôt formés puis réécrits à chaque fois qu'on y accède, c'est-à-dire qu'on s'en rappelle.

En d'autres termes, si de nouvelles protéines ne pouvaient être crées pendant l'acte de remémoration, le souvenir originel cessait d'exister !

Par contre, la mémoire à long terme implique des changements fonctionnels et structurels durables, dus à la croissance de nouvelles connexions synaptiques.

Pour qu'un souvenir existe, des cellules jusque -là indépendantes doivent devenir plus sensibles à l'activité d'autres cellules.

La fonction du cerveau est de faire des choix dans le passé,
de le diminuer, de le simplifier, et non pas de le préserver.
Henri Bergson

La véritable question est la suivante : dans quel but et par qui les souvenirs sont-ils réécrits ?

Quoi qu'il en soit, el travail d'Elizabeth Loftus et ses collègues [...] montre que l'implantation de faux souvenirs, de même que celle de "faux souvenirs traumatisants", est relativement facile à faire par différentes techniques suggestives. Même si les thérapeutes doivent rester vigilants quant à la possibilité d'induire de faux souvenirs, ce que Loftus semble ne pas comprendre pleinement est la nature essentielle et l'importance (et fixité) des souvenirs procéduraux dans le cas du traumatisme. Elle ne semble pas non plus considérer suffisamment les implications thérapeutiques de la façon dont les souvenirs sont intrinsèquement en flux constant, sans cesse réécrits tout au long de notre existence à mesure qu'ils progressent vers plus de sentiment de puissance et de paix. La véritable question est la suivante : dans quel but et par qui les souvenirs sont-ils réécrits ?

Encore une fois, c'est la stabilisation de son expérience ici et maintenant qui lui a permis de retourner au souvenir procédural dissimulé sous ces sensations et images déstabilisantes et de découvrir les actions protectrices qu'il était nécessaire de mener à leur terme pour passer d'un état de détresse à un sentiment de puissance et de compétence.

La Somatic Experiencing "dé-potentialise" (retire leur puissance et donc élimine) les souvenirs procéduraux et implicites liés au traumatisme par la titration et l'évocation en parallèle d'expériences intéroceptives soutenantes et renforçantes. Ensemble, le thérapeute et le client diminuent et régulent les états d'activation extrêmes, facilitant ainsi l'achèvement des réponses biologiques de défense.

Encore une fois, quand nous sommes capables de prendre du recul, d'observer et de réduire l'intensité de nos sensations et de nos émotions, nous avons aussi la possibilité de sélectionner et de modifier les réponses de survie elles-mêmes.

La vulnérabilité à la génération de souvenirs fallacieux est aussi, en grande partie, due au besoin "désespéré" qu'ont les gens en détresse de comprendre pourquoi ils ressentent ces sensations et ses émotions profondément troublantes. Cette "compulsion à vouloir expliquer" découle du devoir impératif, donné sur la survie, de rechercher dans notre banque de mémoire toute information antérieure qui puisse fournir des stratégies motrices appropriées (c'est-à-dire des engrammes de souvenirs procéduraux s'étant avérés des réussites) pour augmenter les chances de survie.

... des souvenirs inventés aussi puissants et durables que ceux de Brad peuvent aussi être accidentellement implantés par la suggestion, plus subtile, d'un thérapeute. Parfois, la graine apparemment anodine peut être implantée suite à une question bienveillante telle que "pouvez-vous me parler un peu de votre relation avec votre père?" au moment où la personne fait l'expérience de sentiments pouvant être associés à une forme quelconque de manquement. Ces faux pas thérapeutiques sont davantage susceptibles de se produire quand les clients sont dans des états de forte activation, particulièrement quand ils dont l'expérience de niveaux intenses ("non-contenus/non-limités") de peut/terreur ou de colère/rage.

Pour revenir brièvement au pouvoir des faux souvenirs considérés comme vais, même quand leur fausseté peut être démontrée, étudions un exemple particulièrement déplorable de faux souvenir implanté : en usant (abusant) de forte pression avec agressivité et en inspirant une peur extrême aux suspects qu'ils interrogent, les policiers peuvent délibérément introduire dans le récit des suspects des éléments qu'ils savent être faux (ou tout au moins inconsistants). Puis, quand le suspect est interrogé à une date ultérieure, il va parfois ressortir la version de son interrogateur, croyant qu'elle est la vraie et qu'elle est la sienne.

Pour ceux qui pratiquent l'hypnothérapie (ou hypnoanalyse), il y a souvent un facteur suggestif intrinsèque. L'hypnose est en effet quelques fois définie comme un état accru de suggestibilité. De ce fait, ce type de thérapies nécessite une formation poussée, des compétences et beaucoup de prudence.

... plus une émotion est forte, plus elle conforte nos convictions. D'où le fait que toutes les images, les suggestions ou les croyances que nous expérimentons en même temps qu'une forte émotion nous apparaissent comme vraies, c'est--dire comme des faits réels.

... quand quelqu'un a une expérience religieuse extatique (souvent provoquée par des rituels de groupe avec des exercices intenses de respiration et des mouvements corporels), les gens peuvent prendre leur croyance consensuelle pour une vérité absolue, c'est-à-dire "la vérité". En conséquence, les "croyants" sont susceptibles (particulièrement quand ils sont guidés par un chef charismatique) de considérer que toutes les autres religions sectes, groupes, etc.) sont intrinsèquement mauvaises et constituent une menace vitale. N'avons-nous pas vu assez de ces croisades et de ces guerres sanguinaires animées d'une telle intensité de ferveur émotionnelle ?

En tant que thérapeutes et soignants, nous devons aider nos clients à libérer la forte énergie de survie contenue dans leur système nerveux - quelles que soient les caractéristiques de leur traumatisme - de telle sorte qu'ils puissent croître avec plus de liberté et de paix.

... en thérapie, la question de savoir si ces souvenirs sont aux ou non ne devrait pas être la préoccupation principale. Ce qu'il est essentiel de reconnaître, c'est que le client est bloqué dans un engramme imprimé dans son cerveau et son corps - un souvenir procédural et émotionnel qui contrôle ses affects, son humeur et ses comportements. Dans tous les cas donc, que l'attribution soit véridique ou le résultat d'une fausse interprétation, nous devons comprendre qu l'impact et la signification de son expérience ont une valeur et les tenir pour vrais.

Comme nous n'avons qu'une capacité limitée à prendre de la distance, à observer et à évaluer quand nous vivons d'intenses émotions, nous nous laissons facilement entraîner à des attributions potentiellement erronées. Nous devenons alors de plus en plus certains que ces choses se son réellement passes, parfois même contre toute évidence.